Le taux de chômage ne cesse de baisser en Allemagne, pour atteindre aujourd’hui un niveau proche de celui du plein emploi, le plus bas observé depuis la réunification des deux Allemagnes en 1990. A l’occasion de la publication de sa note de conjoncture, l’INSEE s’interroge sur les raisons de la baisse du taux de chômage dans ce pays depuis 2007, malgré la crise.
Depuis 2007, l’Allemagne est le seul pays économiquement avancé qui voit son taux de chômage baisser.
En 2005, le taux de chômage allemand se situait à 11.4%, environ 2 points au-dessus de celui de la France et de la moyenne de la zone euro, environ 5 points au-dessus de celui de la moyenne des pays de la l’OCDE.
En 2008 le taux allemand est passé en dessous de celui constaté en France et dans la zone euro, et en 2009 de celui de la moyenne de l’OCDE
Fin 2012, le taux allemand se situe à 5.3%, environ 6 points plus bas que 7 ans auparavant, alors que dans le même temps le taux moyen en zone euro a augmenté d’environ 2.5 points et frôle les 12%, que le taux dans l’OCDE a augmenté d’environ 1.5% pour se situer à 8%.
L’INSEE analyse cinq hypothèses généralement avancées pour expliquer le résultat à contre-courant des autres économies de l’UE et de l’OCDE.
La première consiste à pointer les particularités de la démographie allemande : entre les effectifs nombreux du baby-boom et la faible fécondité constatée depuis maintenant plus de 30 ans, la population potentiellement active, celle des 15/64 ans baisse de 0.9 millions entre 2005 et 2012. Et encore, l’augmentation de 0.9 millions des 55/64 ans évite que la chute ne soit encore plus forte.
Et pourtant, sur la même période, la population active a augmenté d’environ 1.1 millions (ce qui se traduit par une forte hausse du taux d’activité), dont près de 2 millions de 55/64 ans. Il y a eu un report de l’âge de la retraite, mais aussi une augmentation du taux d’activité féminin (y compris dans la population des 25/54 ans.
La population en emploi augmente sur la période de plus de 3.2 millions, ce qui explique aussi qu’il y ait dans le même temps augmentation de la population active et baisse du taux de chômage.
L’INSEE évoque dans un encadré la question du lien entre baisse de la population active et chômage, pour conclure qu’il n’y a aucun lien : Les principaux modèles théoriques du marché du travail vont à l’encontre de la conception malthusienne selon laquelle un ralentissement démographique diminuerait le taux de chômage. Les exemples à l’appui de cette thèse sont les mêmes que ceux pris dans l’article que j’avais publié dans le Monde avec A Delaigue en 2006.
Expliquer la baisse du taux de chômage allemand par la baisse de la population alors qu’il y a un million d’actifs en plus prouve évidemment une absence totale d’observation des faits. Mais elle renvoie à une idée tellement implantée que les hommes politiques et les médias continuent à la reprendre en boucle. Et pourtant, pendant des décennies, les mesures prises en déclinant cette idée reçue ont démontré leur inefficacité !
Ce n’est pas non plus la croissance qui explique la baisse du chômage : certes, depuis 2005, l’Allemagne a bien mieux résisté à la crise que ses voisins de la zone euro (en moyenne +1.4% par an contre +0.8% en France). Mais avec le même taux de croissance, la création d’emploi avait été deux fois plus faible avant 2005.
La note montre qu’il y a eu une rupture dans l’évolution des gains de productivité, au-delà des aléas de la conjoncture (progrès fort de la productivité en 2005/ 2007 et recul au début de la crise). La productivité se situe plus bas que ce qu’on pourrait atteindre au regard des modèles prédictifs, ce qui se traduit par un surcroît d’emplois.
Mais cette évolution limitée de la productivité ne vient pas d’une évolution générale plus faible de celle-ci (qui serait contre-productive à long terme) mais de la composition de la population active
Si dans une entreprise les salaires des cadres, des ETAM et ceux des ouvriers augmentent de 5% , mais si dans le même temps la proportion d’ouvriers augmente fortement, le salaire moyen peut baisser. C’est le même phénomène qui s’est passé en Allemagne : grâce aux réformes structurelle du marché du travail, ce pays a réussi à remettre dans l’emploi de nombreuses personnes à la productivité faible, ce qui a fait baisser la productivité moyenne et fait baissé le taux de chômage.
Avec ses réformes, l’Allemagne a réussi à faire baisser fortement le chômage structurel, et fait évoluer la courbe de Beveridge (qui mesure le lien entre taux de chômage et tension sur l’emploi) vers la gauche. Rappelons qu’en France, les années 70 à 90 ont vu une forte évolution de la courbe vers la droite et que depuis, les politiques menées n’arrivent pas à inverser la tendance.
La note ne fait qu’évoquer rapidement une autre conséquence des réformes, à savoir l’augmentation des inégalités et n’aborde pas la répartition des taux de chômage entre les lans de l’ex RFA et ceux de l’ex RDA.
La note n’aborde pas non plus un sujet explosif : quelles conséquences pour notre pays. Faut-il appliquer les mêmes méthodes chez nous, pour réduire le chômage structurel ? On notera simplement que les responsables gouvernementaux et les médias vantent la première place de la France en terme de productivité, en omettant de dire qu’elle s’obtient au prix de l’exclusion du marché du travail des moins productifs. Et on rappellera que le ratio entre le SMIC et le salaire médian a atteint des niveaux qui ne peuvent que conduire à un chômage structurel élevé.
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