Le titre du dernier ouvrage de l’économiste Laurent Davezies en résume le message clé : certains territoires qui vivent avant tout du financement public vont connaître des années très difficiles du fait de la crise de la dette et de la nécessité de réduire les déficits
Laurent Davezies est un spécialiste de l’économie des territoires, une question apparemment relativement peu étudiée et même documentée. Il part de la manière dont se constitue le revenu disponible brut des ménages(RDB, selon la définition de l’INSEE) en distinguant quatre origines
- Les revenus d’activité marchande.
- Les prestations sociales (à l’exception des pensions de retraites)
- Les salaires publics
- Les pensions de retraite
La production marchande classique assure des revenus à des personnes habitant sur le territoire(mais aussi de plus en plus à des personnes venant travailler sur le territoire sans y habiter). Elle est alimentée par la consommation des habitants, par les ventes à l’extérieur du territoire (autres territoires français ou autres pays) et par les dépenses de ceux qui ne travaillent ni n’habitent sur le territoire mais y viennent y consommer (tourisme ou résidences secondaires), ainsi que par les dépenses des administrations publiques hors salaires.
La « crise qui vient » comprend 3 chapitres :
- la crise financière et bancaire
- la crise des dettes publiques
- la croissance contre l’égalité territoriale
Dans le premier chapitre, l’auteur analyse la manière dont les territoires ont été affectés par la crise financière en 2008/ 2009, et en particulier les conséquences qu’a eu cette crise sur l’emploi.
Entre 2007 et 2009, le PIB recule de 2.5% en France (soit un recul plus faible que dans la moyenne des pays de l’OCDE). Dans le même temps, l’emploi salarié privé a diminué de 2.2% (ce qui signifie que la productivité a baissé), ce recul étant très partiellement compensé par des créations d’emplois non salariés et des créations d’emplois publics. Mais l’auteur note que l’emploi public a moins joué son rôle d’amortisseur que pour les crises précédentes : on commence déjà à rencontrer la difficulté d’augmenter encore les déficits et le nombre de fonctionnaires.
Malgré le recul du PIB, le revenu brut disponible des ménages a progressé de 2.2% (1.1% par habitant) entre 2008 et 2009, c’est à dire au plus fort de la crise.
Les entreprises ont vu chuter leur excédent brut d’exploitation, mais le revenu des salariés a été maintenu : l’auteur estime qu’un maintien de la marge des entreprises aurait coûté 53 milliards d’euros aux ménages, par rapport à ce qui s’est réellement passé. Malgré tout, le revenu du travail marchand a reculé de 0.1%. Ce recul a été largement compensé par l’augmentation de 6% du revenu du travail non marchand et par l’augmentation de 10% des prestations sociales. Les ménages ayant plutôt augmenté leur épargne, c’est la dépense publique qui a servi d’amortisseur à la consommation.
Du fait des caractéristiques de l’évolution des revenus des ménages, l’évolution de l’emploi a été variable selon les régions. Le maintien de la consommation permet le maintien voire la croissance de ce que l’auteur appelle « les emplois domestiques purs », ou liés à la demande locale : on pourrait parler d’emplois de proximité (ce que ne fait pas l’auteur). Ils comptent une cinquantaine de secteurs sur 272 et représentent 31% de l’emploi salarié privé avec des variations notables selon les régions : l’emploi y a aussi augmenté pendant la crise.
Ce sont les territoires les plus industriels, les plus liés à la mondialisation et les moins résidentiels qui ont le plus soufferts de la crise, à l’instar de la vallée de l’Arve ou des Herbiers. Ce dernier bassin d’emploi a vu son taux de chômage passer de 3.6% à 5.9% : il reste un de ceux qui a le plus faible taux de chômage du fait de la forte présence industrielle, mais il a souffert, du fait de cette présence justement.
D’autres territoires, plus résidentiels voire touristiques (comme les façades atlantiques ou méditerranéennes) ou plus dominés par l’emploi public, ont beaucoup mieux résisté à la crise.
L’auteur tire deux enseignements de cette analyse.
D’abord le fait qu’il y a un effet de redistribution territoriale des dépenses publiques. Cet effet est mal documenté mais il est très important, au point que « malgré la dureté de la restructuration de l’économie française, les inégalités de revenu par habitant entre les régions, les départements ou les zones d’emploi, n’ont cessé de se réduire ». Plus prosaïquement, l’Ile De France « subventionne » massivement les autres régions.
Ensuite que les années qui viennent risquent de voir une évolution très différente de celle observée en 2008/ 2009. La crise de la dette ne fera pas du tout les mêmes gagnants et perdants parmi les bassins d’emploi que la crise financière ne l’a fait en 2008/2009.
C’est là qu’il faut revenir à la répartition que fait l’auteur entre quatre type de zones(ou quatre France) :
- les territoires marchands dynamiques, soit 16% du territoire et 36% de la population
- les territoires non marchands dynamiques soit 57% de la superficie et 44 % de la population
- les territoires marchands en difficulté, soit 7% de la superficie et 8 % de la population
- les territoires non marchands en difficulté, soit 20 % de la superficie et 12 % de la population.
Les deux derniers types de territoires se trouvent globalement au nord d’une ligne qui va du Calvados à la Loire. Ils ont déjà souffert du déclin de leur appareil productif, ont une démographie ralentie et un solde migratoire négatif. Ils ont été jusqu’à présent protégés par les mécanismes de redistribution, mais ils risquent fort de ne plus l’être demain. Ils sont déjà durement affectés par la perte de leur potentiel productif, et ont vu leur emploi salarié privé reculer trois fois plus qu’ailleurs.
La deuxième « France », celle des territoires non marchands dynamiques, la plus importante en surface et en population, compte 41% des emplois du pays, 32% des cadres et 34% des salariés de ce que l’INSEE appelle l’appareil productif mais 49 % des retraités et 66% des résidences secondaires !
Ces territoires et leur « économie résidentielle » ont beaucoup profité d’une politique économique protégeant la consommation en période de récession et la favorisant encore en période de croissance, au détriment des finances publiques. Ils pourraient bien souffrir demain d’une politique nouvelle de réduction des déficits.
C’est que la croissance n’est plus au rendez vous, comme l’analyse l’auteur au troisième chapitre. Pour la relancer, il faudra bien compter sur les territoires marchands dynamiques, concentrés sur les grandes métropoles. Paris bien sûr, mais aussi Lyon, Marseille, Toulouse, Nantes…C’est là qu’on trouve les proximités génératrices de développement.
J’ai entendu Laurent Devzies à la radio il y a quelques semaines : il disait crûment que dans la situation économique de la France, nous n’avons plus les moyens d’à la fois protéger les zones en difficulté et d’aider à la croissance des zones dynamiques. Le seul choix réaliste est le second, car le seul qui permet de financer au moins partiellement la protection future des autres territoires !
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