Le duel Copé Fillon pour la direction de l’UMP a pris fin provisoirement. Jean François Copé ne pourra s’appuyer sur des municipales gagnées par son camp pour asseoir son leadership. Mais il voulait rester le plus longtemps possible à la tête de son mouvement pour faire prévaloir ses supposées qualités de leader.
A droite comme à gauche, il n’est jamais facile de s’imposer à la tête de son camp. François Mitterrand avait réussi à être la candidat unique de la gauche en 1965 avant de prendre la direction du Parti Socialiste en 1971 : cela ne l’a pas empêché d’être contesté par Michel Rocard, qui se voyait bien en candidat à la présidentielle de 1981.
Plus tard, Lionel Jospin, premier ministre en place et candidat incontesté du PS en 2002, se verra entouré d’un tel nombre de candidats à gauche qu’il ratera le coche de la présence au second tour. Candidate en 2007, Ségolène Royal ne semble pas avoir bénéficié d’un soutien inconditionnel de son parti, qu’elle n’avait il est vrai guère ménagé. Son duel avec Martine Aubry lors du congrès de Reims, objet de contestations, a peut-être contribué à ce que ce soit François Hollande qui l’emporte aux primaires de 2011.
Ceci dit, le duel fratricide à la tête de l’UMP ne paraît incroyable qu’à ceux qui manquent de mémoire ou connaissent mal l’histoire de la droite sous la cinquième République.
En 1974, c’est un véritable acte de traîtrise, un coup de poignard dans le dos, que commet Jacques Chirac envers le candidat officiel de son parti, Jacques Chaban-Delmas, en soutenant Valéry Giscard D’Estaing dès le premier tour, à la tête de 43 députés ou anciens ministres de l’UDR. Cela ne l’empêchera pas de prendre triomphalement la tête de ce qui devient le RPR le 5 décembre 1976, avec 96.52% des suffrages des militants réunis à la porte de Versailles.
En 1975, le RPR fait pire, puisqu’il a deux candidats à la présidentielle, Edouard Balladur et Jacques Chirac ! Vainqueur, ce dernier ne pourra pas empêcher douze ans plus tard le principal soutien de son adversaire de lui succéder à la tête du parti et du pays !
On peut se demander quelles sont les qualités (si tant est qu’il s’agit de qualités…) pour être choisi par son camp pour la présidentielle et pour la gagner. Manifestement, la première est de le vouloir intensément, (on pourrait dire ne penser qu’à ça !). Jacques Delors a montré qu’à défaut, on pouvait refuser d’y aller.
Sur le sujet, on a évidemment tout lu à l’occasion du duel Copé Fillon, en particulier sur le charisme supposé nécessaire d’un leader à droite. En réfléchissant aux exemples passés il m’a semblé que l’énergie affichée était un élément clé : elle caractérise Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, alors que Balladur n’en donne pas l’image. C’est justement pour souligner ce point qu’il est surnommé « Ballamou » par ses adversaires. On peut faire beaucoup de reproche à Ségolène Royal, mais pas celui de manquer d’énergie, alors que l’énergie n’est pas la qualité à laquelle on pense en premier pour Mitterrand, Jospin ou Hollande.
Il est cependant difficile de reprocher à Jacques Chaban-Delmas son manque d’énergie, lui qui se fit connaître pendant la Résistance, ce qui lui permit d’être général de brigade à 29 ans, et fut un sportif de haut niveau, en rugby mais surtout au tennis, lui qui « montait quatre à quatre les trois marches du perron de l’Elysée » ! En 1974, il n’avait encore que 59 ans, certes beaucoup plus que Chirac qui en avait 42. Rappelons que Copé a actuellement 48 ans et Fillon 58 ans.
Le numéro de décembre du mensuel Sciences Humaines fait son titre principal du thème de l’autorité et explore en particulier celle de l’enseignant. Et il pointe le politique en mal d'autorité
Le dossier commence par un rappel de quelques théories de l’autorité :
- celle de Max Weber qui distingue trois sources principales de légitimité du pouvoir : la légitimité traditionnelle (respect des coutumes et des anciens), la légitimité charismatique (celle du héros) qui repose sur « des qualités personnelles (force, courage, sagesse etc.) qui subjuguent les foules » et la légitimité « légale traditionnelle » qui « repose sur les règles universelles de compétences telles que le savoir de l’expert »
- celle de Hannah Arendt qui considère que « l’autorité est la capacité à se faire obéir sans recourir à la force ni à la persuasion ». L’auteur considère que « l’autorité a disparu avec la modernité et la fin de l’autorité traditionnelle », ce qui a été contesté par d’autres chercheurs.
- Celle du philosophe Theodor Adorno (auteur dont je n’avais jamais entendu parler mais qui apparemment a eu grand retentissement en psychologie sociale), qui s’est intéressé aux personnalités autoritaires (notamment pour comprendre les motifs de l’adhésion des allemands aux thèses nazies)
- Celle de Stanley Milgram, connu pour son expérience sur la soumission à l’autorité
Je recommande la lecture des deux articles suivants, qui portent sur la manière pour un enseignant de s’imposer en classe. Les méthodes de décryptage de situations réelles qui y sont décrites (qui sont une illustration du classique échange de pratiques) mériteraient d’être beaucoup plus utilisées qu’elles me semblent l’être dans l’Education Nationale aujourd’hui. L’article « éduquer n’est pas séduire », fait la différence entre la séduction, qui pour l’auteur repose sur le pouvoir comme la coercition, et une véritable autorité éducative.
Le dernier article nous ramène à notre sujet initial, puisque son titre est « comment devient-on un leader ? ». Il décrit l’histoire de plus d’un siècle de recherches sur la question, en particulier aux USA, où il fait l’objet de nombreuses études et enseignements, suivant le cas pour identifier ceux qui ont les aptitudes pour cet exercice ou pour identifier les moyens d’en apprendre les méthodes. On retiendra notamment cette définition du leader : celui qui rêve d’un autre monde et parvient à enrôler les autres dans son rêve. Belle définition pour un homme politique (enfin, cela dépend du rêve, mais on pense à Martin Luther King « j’ai fait un rêve ») mais dont l’exemple donné ici est celui de Steve Jobs
Après avoir souligné la diversité des figures du leader, selon les époques, les situations, les besoins de l’organisation ou du groupe, l’article fait sa conclusion autour de la question de la fin possible des leaders, dans un monde moderne et des sociétés démocratiques qui ont remis en cause la figure du chef, la désacralisation des institutions et aujourd’hui, la montée d’internet et de son fonctionnement horizontal.
L’auteur fait cependant remarquer, qu’étrangement, c’est dans le cœur de la contestation, la Californie des mouvements contre culturels, qu’est apparu celui qui est considéré comme une des figures les plus représentatives du leader : Steve Jobs, fondateur d’Apple. Et de rappeler que l’historien écossais du XIXème siècle Thomas Carlyle, le premier à avoir mis en avant la notion de leader, avait remarqué avec ironie que la Révolution Française qui voulait mettre les maîtres à bas et donner le pouvoir au peuple avait débouché sur la prise de pouvoir d’un jeune général au nom de Napoléon Bonaparte….
Ce même Thomas Carlyle considérait que la première qualité du leader est l’intelligence stratégique (anticiper, voir loin, prendre la bonne direction), mais qu’il lui faut aussi de la volonté (être un homme d’action) et savoir mener ses troupes.
On notera que si la recherche d’un leader correspond bien à la partie bonapartiste de la droite, l’existence d’un leader reconnu a aussi son importance à gauche : il n’y a qu’à analyser les scores obtenus par Lutte Ouvrière avec ou sans Arlette Laguiller, par la LCR puis le NPA avec ou sans Besancenot, par le PC avec ou sans Mélenchon, ou par les Verts avec ou sans Daniel Cohn-Bendit !
Aujourd’hui, je ne pense pas que l’intelligence stratégique dont notre pays a besoin conduise d’abord à prendre les bonnes décisions ou à choisir les bonnes personnes (même si tout cela est bien sûr utile). Ce qui est vital, c’est de faire évoluer le système, pour que l’action des différents acteurs soit orientée dans le bon sens, et que par exemple, on ne renouvelle pas la crise de l’euro.
C’est ce type d’action qu’a toujours recherché mon politique préféré, Christian Blanc, quand il a négocié les accords de Matignon sur la Nouvelle Calédonie, qu’il a transformé la RATP en prenant le pouvoir des fonctionnels du siège pour le donner aux responsables de ligne de bus ou de métro, quand il a lancé l’idée des pôles de compétitivité ou celle du métro du grand Paris.
Christian Blanc ayant 70 ans, c’est ailleurs qu’il faut chercher nos futurs leaders : je dois avouer que je n’en vois guère qui aient le profil !
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