La hausse quasi ininterrompue de l’espérance de vie depuis le milieu du dix-huitième siècle est régulièrement annoncée comme arrivant à son terme, prédiction jusqu’à présent toujours démentie par les faits. Les chercheurs de l’INED qui se sont penchés sur la question ont été plus prudents mais voient bien cette espérance aller jusque 100 ans, dans un avenir indéterminé.
Les débats sur les retraites ont popularisé ce constat : dans les pays développés, l’espérance de vie augmente d’à peu près 3 mois par an depuis très longtemps. Les guerres n’ont pu qu’interrompre temporairement ce phénomène, au point qu’elles ne se traduisent que par un à coup dans les courbes, et qu’on puisse regarder les tendances à long terme sans y faire la moindre allusion.
Une étude de l’INED parue en décembre 2010 (l’avantage avec ce genre de sujet, c’est que l’étude est toujours d’actualité près de 2 ans après !) se pose donc la question : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ? Elle tente d’y répondra à partir d’une analyse de ce que nous connaissons depuis bientôt trois siècles.
Les auteurs rappellent d’abord des études parues respectivement en 1928, 1952 et 1990, qui évaluèrent successivement l’espérance de vie maximale pour les femmes à 64.7 ans, puis 78.2 ans et enfin 85 ans, toutes prévisions démenties par les faits. Forcément cela rend prudent, et nos auteurs se gardent bien de prédire qu’il y aura ou non une limite et encore moins à quel niveau elle se situera, tout en concluant leur article par ces mots : « Il est très probable que l’espérance de vie dépasse un jour 100 ans, mais il est déraisonnable d’affirmer que ce sera précisément le cas de telle ou telle génération déjà née ».
Avant d’aller plus loin, peut être faut il rappeler que l’espérance de vie est une moyenne qui s’appuie sur les taux de mortalité à chaque âge à une époque donnée. Vers 1750, l’une des raisons de la faible espérance de vie (en France, 27 ans pour les hommes, et 28 ans pour les femmes).était la faible mortalité infantile : la moitié de ceux qui naissaient mourraient avant l’âge de 5 ans. Ceux qui avaient survécu aux maladies infantiles avaient des espoirs raisonnables de connaître leurs petits enfants. L’espérance de vie à 40 ans (donc pour la minorité qui avait atteint cet âge) était en 1790 de plus de 25 ans.
Pour mémoire, Fontenelle, premier secrétaire perpétuel de l’Académie Française est mort centenaire ! La question de l’âge maximal auquel peuvent parvenir les plus solides des humains est une autre question que celle de l’espérance de vie moyenne. On sait que la Française Jeanne Calment a établi un record probablement durable à 124 ans : la doyenne actuelle de l’humanité n’a « que » 117 ans et la doyenne française « que » 114 ans. Apparemment, l’âge maximal augmenterait d’environ 1 mois par an en moyenne, et l’INED évoque la possibilité qu’il atteigne un jour 150 ans.
On connaît l’anecdote de la fixation par Bismarck de l’âge de la retraite (et de la pension qu’il met en place) à 65 ans parce que c’est l’âge moyen de décès. Effectivement vers 1890, l’espérance de vie des femmes de 40 ans se situe en France (et probablement aussi en Allemagne) autour de 30 ans, ce qui correspond à peu près à 65 ans pour les hommes s’ils sont 5 ans en dessous. Mais contrairement à ce que laissent parfois entendre ceux qui rapportent l’histoire, cela ne signifie pas que personne ne profite de sa pension : la moyenne est une moyenne, certains vivent plus longtemps et d’autres moins. A la même époque, l’espérance de vie à 60 ans est d’envron 15 ans, toujours pour les femmes.
Mais revenons à notre étude.
Une étude du début des années 2000 donnait une augmentation de l’espérance de vie de 3 mois par an (soit 1 ans tous les 4 ans et 25 ans par siècle) de manière continue depuis 1841 ! Nos auteurs ont repris et corrigé ces travaux qui reposaient en partie sur des données erronées et les ont fait démarrer vers 1750, époque où il y avait semble t’il déjà une augmentation mais très légère.
Ils ont donc fait apparaître 3 périodes successives, marquées chacune par un événement qui a contribué à augmenter l’espérance de vie :
- de 1790 à 1885, la diffusion de la découverte de Jenner (le vaccin contre la variole) explique le décollage de l’espérance de vie. Mais ce sont aussi les progères de l’agriculture et de la circulation des denrées, ainsi que la première transition sanitaire : la lutte contre la famine et les maladies infectieuses commence à être efficace. Pendant cette période, l’espérance de vie augmente de prés d’un mois et demi par an, ce qui fait une dizaine d’années sur la période.
- De 1885 environ à 1960 environ, et avec la révolution pasteurienne, puis les sulfamides et les antibiotiques ainsi que les progrès de l’instruction qui accompagne la diffusion des pratiques d’asepsie, le gain d’espérance de vie est très élevé : la pente de 32 % citée par les auteurs correspond à un gain de 4 mois par an !
- Au début des années 60, les chercheurs pensent que la transition précédente, baptisée épidémiologique, se termine et que l’espérance de vie va se stabiliser du fait des maladies dégénérescentes et de société (avec la diffusion du tabac par exemple). En fait il n’en est rien, et si les gains se font un peu plus lentement, ils se chiffrent cependant à près de 3 mois par an. En fait, ce que les auteurs appellent la révolution cardiovasculaire va relancer l’évolution gagnante dans les pays développés (mais pas en URSS par exemple).
On comprend aisément que si l’espérance de vie a d’abord augmenté grâce à la réduction de la mortalité infantile, il arrive un moment où elle ne peut progresser que parce que les adultes vivent plus longtemps ; c’est bien parce qu’ils n’imaginaient pas cette évolution possible que des chercheurs ont fixé vers 65 ans la limite des progrès de l’espérance de vie.
Il y avait en effet de quoi s’interroger : dans la deuxième période identifiée par nos auteurs, de 1885 à 1960 environ, au moment où l’espérance de vie augmente de 4 mois par an, le gain à 40 ans n’est que de un mois par an, et seulement de deux semaines par an à 60 ans. Il faut un siècle pour gagner un an d’espérance de vie à 80 ans ! Avant 1880, le gain à 80 ans est encore plus faible (0,3 jours par an !), au point de n’être pas vraiment significatif
Or, ce que montre l’étude, c’est que les gains à 40, 60 et 80 as ne cessent d’augmenter : à 40 ans, ils sont de 5% par an (soit un an tous les 20 ans) sur la première période, de 9% sur la deuxième et de 17 % (soit environ deux mois par an) sur la période actuelle. L’évolution est encore plus spectaculaire pour les plus de 80 ans, puisque sur les mêmes périodes, les gains sont respectivement de 0.1%, 1% et 7 %, mais surtout que les auteurs identifient une nouvelle période depuis le milieu des années 90 où les gains atteignent 20% soit un an tous les 5 ans !
On comprend à lire cette étude que l’INED puisse imaginer des gains d’espérance de vie d’environ 8 ans d’ici 2050. Et on comprend aussi pourquoi il faut réfléchir à l’avenir de nos systèmes de retraite !
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