Depuis l’introduction de l’euro, l’inflation ressentie par les Français est largement supérieure à celle que mesure l’INSEE. Ce phénomène qui contribue à, ou participe de, la méfiance vis-à-vis des élites a fait l’objet d’une étude de l’INSEE, à un moment où celle-ci affiche que le pouvoir d’achat a baissé en 2010.
Un de ces reportages « sur le terrain » que le Monde publie de temps en temps, paru le 16 septembre sous le titre « à Melun, l’angoisse des habitants confrontés au chômage », commence par ces mots : « lorsqu’elle fait ses courses, ce matin du mercredi 12 septembre, Amina El-Amoudi n’en revient pas de la hausse des prix »
Contrairement à ce que laisse entendre (probablement sans le vouloir) l’auteur de cette introduction grotesque, les prix n’ont pas augmenté de 10% pendant la nuit qui a précédé sa visite, ou depuis la dernière fois que la personne qu’elle accompagne a fait ses courses. Mais sa remarque illustre une impression que l’INSEE essaie de mesurer depuis 2004.
L’INSEE a entre autres pour mission de mesurer un indice des prix à la consommation (IPC) selon des méthodes « strictement codifiées internationalement et suivies en permanence par des organismes tels que Eurostat et le FMI. Depuis 2004, il mesure aussi les opinions personnelles sur l’inflation (OPI) par enquêtes mensuelles, lors desquelles est demandé à la personne sondé d’évaluer le niveau de l’inflation depuis 12 mois.
Le graphique 1 page 5 montre que les deux indices IPC et OPI évolue de manière parallèle, c’est-à-dire que si les sondés exagèrent systématiquement le montant de l’inflation, le montant de leur estimation diminue quand l’inflation mesurée par l’INSEE baisse, et augmente dans le cas opposé. L’écart se situe à peu près à 6 points, c’est-à-dire que les Français estiment l’inflation autour de 8% quand elle se situe autour de 2% seulement. Il faut noter, ce que ne font pas les auteurs, que l’écart a tendance à légèrement diminuer depuis 2 ans.
Les auteurs ont donc étudié dans le détail (la note fait 22 pages, sans compter la bibliographie et les annexes !) les explications possibles du phénomène, en s’appuyant sur des travaux théoriques et des recherches menées pour vérifier ces théories.
Avant de les balayer succinctement, il est bon de regarder le graphique II page 6, qui donne la répartition des réponses. Comme on pouvait en douter, celle-ci comporte des pointes, les sondés ayant tendance à exprimer des valeurs non seulement entières mais aussi rondes (10% plutôt que 9 ou 11 par exemple)
Selon les années, il se trouve entre 12 et 17% de sondés pour estimer l’inflation à 10%, et 4 à 10% pour la situer à 20% (alors qu’elle n’a jamais atteint le niveau de 4% sur la période). Il est observé dans le texte que certains vont jusqu’à citer des valeurs de 100%, ce qui pourrait correspondre à une incompréhension du concept même de pourcentage. La valeur la plus souvent citée est 5%, mais l’OPI est obtenue en prenant la moyenne des réponses, les valeurs les plus élevées la tire vers le haut.
La première explication examinée est celle d’une construction collective suivant le modèle de la rumeur. On observe en effet que l’écart entre l’IPC et l’OPI apparait lors du passage à l’euro, est seulement dans les pays de l’UE qui ont abandonné leur monnaie nationale alors que l’écart est quasiment nul dans certains des pays qui ont gardé leur monnaie. Dans plusieurs pays, comme l’Irlande ou le Portugal, l’écart dispariat progressivement, ce qui est la caractéritique d’une rumeur qui se révèle fausse. Peut-être peut-on expliquer ainsi la réduction faible et récente de l’écart en France, mais en fait les auteurs écartent cette explication.
La deuxième explication part de l’hypothèse que les consommateurs sont au contraire parfaitement rationnels, mais qu’ils estiment l’inflation appliquée à ce qu’ils achètent individuellement, ce qui peut être assez différent de la consommation moyenne des Français : par exemple, l’indice ne prend pour le logement qu’un poids limité, du fait du grand nombre de propriétaires pour qui il range les dépenses d’achat dans les investissements. Là aussi, les auteurs montrent que cette explication ne tient pas.
Les auteurs développent donc une troisième explication, celle d’une rationalité limitée : les consommateurs sont plus sensibles aux évolutions des prix produits qu’ils achètent souvent, et aux mauvaises nouvelles : les baisses seraient comptées pour la moitié de leur valeur réelle. Ils sont également sensibles aux événements des dernier mois (alors qu’on leur demande une valeur sur 12 mois) comme le montre le cas de l’essence qui connait des mouvements erratiques.
Il faut noter que le pessimisme est plus important dans les populations aux plus faibles revenus, qui raisonnent en fait en capacité à boucler le mois : une perte de pouvoir d’achat, même minime, même sur un seul produit, est ressentie durement.
Et puisque l’on parle de pouvoir d’achat, on pourra lire le n° 1412 d’INSEE Première, paru en septembre, qui analyse les niveaux de vie en 2010.
Comme le montre le premier graphique, seuls les personnes au dessus du 9ème décile (donc les 10% qui ont les revenus les plus élevés) ont vu leur pouvoir d’achat augmenter quand tous les autres l’ont vu baisser : on comprend que tous les indices d’inégalités soient à la hausse comme cela est expliqué ensuite.
Le graphique partant de 1996, on observe qu’en 14 ans, le niveau de vie médian a augmenté de 17%, celui des plus riches de 23% et celui des plus pauvres de 20% : ce sont bien les revenus intermédiaires qui sont défavorisés, le plus bas étant le décile (donc les classes moyennes supérieures).
Le dernier tableau aborde le niveau de vie en fonction de la composition des ménages. Sans surprise, le taux de pauvreté est le plus bas pour les couples sans enfants et le plus haut pour les familles monoparentales. Mais la situation s’est aggravée en 2010, la part des pauvres diminuant dans la première catégorie (de 7 à 6.5%) et augmentant dans la seconde (de 30.9 à 32.2%).
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