De nombreuses entreprises ont attendus la fin de l’élection présidentielle pour lancer des plans de suppressions d’emploi, c’est du moins ce qui se dit partout. Ces suppressions sont le signe des difficultés des entreprises dans la conjoncture maussade que traverse le pays. Elles peuvent être une étape de plus dans la dégradation du tissu économique ou une étape normale de transformation vers une économie plus prospère.
Pour chacun des salariés concernés, une destruction d’emploi est potentiellement synonyme de période plus ou moins longue de chômage, de nouvel emploi moins bien rémunéré et/ ou de la nécessité de réapprendre un métier ou de déménager. Mais cette situation individuelle ne traduit qu’imparfaitement ce qui se passe à un niveau macroéconomique.
Le plan de transformation des emplois annoncé par Auchan et dont Libération et le Monde nous ont donné quelques aperçus, est plus révélateur de la transformation schumpétérienne de l’économie et de l’emploi, et mérite à ce titre d’être analysé, en n’oubliant pas qu’il s’agit d’une facette parmi d’autres des processus de transformation de l’économie.
Donc Auchan, qui emploie 50 000 personnes en France (dommage que Libé ne nous le dise pas) et a réalisé en 2011 un bénéfice net de 810 millions d’euros (soit donc 16 000 euros par emploi en moyenne, avant participation et intéressement), a présenté un plan qui prévoit de créer environ 3200 emplois dans de nouveaux magasins et d’en détruire environ 1700 dans le réseau en place.
Les nouveaux magasins sont des drive-in (50 doivent ouvrir), ces magasins où l’on vient retirer une commande faite par Internet. La CGT leur reproche de vampiriser les ventes en magasin. J’avais entendu dans une émission que les clients achetaient moins, parce qu’ils n’étaient pas tentés en passant devant tel ou tel article. La direction d’Auchan répond que c’est «un vecteur de croissance, un service complémentaire» qui attire des «clients additionnels» et Libération se demande gravement, « Dans quelle mesure ? Le chiffre n’est pas disponible ».
En réalité, la question ne se pose pas ainsi à long terme pour le groupe. Si le mode de distribution des « drive » correspond à une demande client en croissance, il se trouvera des acteurs de la distribution, en place ou entrant, pour le développer. C’est une question stratégique majeure. De toutes manières les ventes en hyper seront vampirisées, autant que cela soit par les magasins du groupe ! Auchan n’a pas été dans le hard discount où dominent les marques allemandes (Lidl ou ALDI) alors que Carrefour ou Casino ont fait le choix de s’y positionner avec ED et Leader Price.
Les 1700 suppressions d’emploi dans les hyper pourraient sembler marginales à l’échelle d’une enseigne de 50 000 emplois : le turn-over naturel (4 à 5% par an) devrait permettre sur le papier d’absorber facilement ces suppressions (3.4% de l’effectif), sans que cela se traduise par des licenciements. Mais cette vision est trompeuse, car les emplois sont concentrés sur certains métiers.
Une partie des suppressions correspond à une organisation plus fine des plannings ce qui répartira les suppressions de manière assez uniforme. Il en est de même de l’automatisation des caisses. Une autre partie est concentrée sur les postes administratifs (300 postes) et sur les services d’appui (standard, SAV, livraisons…), avec un processus de mise en place de plates-formes régionales, ce qui suppose de la mobilité géographique pour les salariés concernés, dont certains seront pour cette raison obligés de quitter l’entreprise, s’ils ne veulent pas se retrouver sur des postes de manutention ou de vente.
Les services d’après-vente sur l’électroménager, voire les rayons de vente eux-mêmes sont menacés. Carrefour a d’ailleurs déjà supprimé son après-vente. En effet, les consommateurs achètent de plus en plus sur Internet, au point que Darty a vu son chiffre d’affaires baisser de 10% au premier trimestre 2012.
Comme on le voit, ce que la direction d’Auchan appelle le plan de transition de l’emploi est la conséquence, d’une part de recherche de gains de productivité par la technologie (planning, caisses automatiques, plateformes administratives…), d’autre part des efforts d’adaptation au marché (SAV et électro-ménager, drive in). Ces mesures sont les meilleures pour assurer la pérennité de l’entreprise et donc de ses emplois. Par ailleurs l’entreprise affirme prendre les moyens pour accompagner au mieux les personnes individuellement concernées par l’évolution de l’emploi. On espère que les organisations syndicales sont très attentives à ce dernier point.
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