Le débat public privé dans la santé ressurgit régulièrement dans les médias : il était au menu d’un débat de France Inter la semaine dernière, il est dans le programme de François Hollande, et Le Monde consacrait mardi 3 une page aux centres de santé menacés de fermeture. Peut-on sortir de l’idéologie sur le sujet ?
On connait les principaux termes du débat : les partisans du privé sont favorables à une tarification identique des actes effectués par le public ou le privé (ce qui est prévu par la loi HSPT) et les partisans du public accusent le privé de sélectionner les actes et les patients les plus rentables.
Certains, comme une auditrice de France Inter pendant le débat, s’indignent que des actionnaires puissent avoir comme seul objectif dans l’affaire de récolter des dividendes, pendant que d’autres clament que l’hôpital n’a pas à être rentable ! François Hollande a écouté cela puisque son 19ème engagement précise : « je réformerai la tarification pour mettre fin à l’assimilation de l’hôpital public avec les cliniques privées. Je le considérerai comme un service public et non comme une entreprise ».
Comme on pouvait s’y attendre, JL Mélenchon va plus loin et veut abroger la réforme hospitalière, supprimer les ARS, créer un pôle public du médicament, mettre fin en priorité aux fermetures et démantèlement et rétablir le remboursement à 100% en y incluant les lunettes et les frais dentaires
L’article du Monde sur les centres de santé donne quelques explications sur ce qui peut expliquer les surcoûts du public (ici par rapport aux cabinets libéraux) et le déficit enregistré par presque tous les centres de santé. Les principaux arguments sont les suivants
- Les besoins en locaux sont plus importants (je n’ai pas compris pourquoi)
- Le public est plus fragile, les populations plus précaires accueillies ont un état de santé plus dégradé que la moyenne et nécessitent plus de temps
- La gestion du tiers payant, qui permet de dispenser les patients d’avancer les frais, a un coût
Il manque une explication qui n’est que rarement avancée et qui semble taboue : les populations les plus précaires sont aussi les moins cultivées, et il est plus compliqué et plus long de leur demander leurs signes cliniques puis de leur expliquer le protocole de soin. La difficulté peut être accentuée quand le patient ne parle pas le français ou le comprend et le parle mal.
Les explications de la directrice d’une association qui arrive à équilibrer ses comptes montre aussi une difficulté rencontrée par tous, public comme privé : l’absentéisme, c’est-à-dire les gens qui ne viennent pas à leur rendez-vous, et qui pourraient représenter entre un quart et un tiers des patients.
La fin de l’article aborde la question qui fâche : celle de la rémunération des médecins, à l’acte (comme le pratique l’association en question) ou au forfait, comme le réclame l’association des médecins qui se réfugie devant la qualité de la médecine pratiquée et le besoin de temps pour la population la plus fragile.
Il se trouve que j’ai récemment travaillé pour les centres de santé d’une mutuelle qui ne veut plus financer l’énorme déficit qu’ils enregistrent depuis toujours (de l’ordre de 50% du chiffre d’affaires). Le rapport entre le salaire chargé des médecins et le total des actes qu’ils produisaient variait entre 0.35 et 1.6 ! Ceux qui engendraient le plus fort déficit ne se faisaient pas remarquer par la longueur et la qualité de leur consultation mais par les démarrages tardifs d’activité (il faut bien lire le journal…), le refus de donner à l’avance leurs dates de congés (pratique pour prendre les rendez-vous, hein ?), les périodes sans consultation dans leur agenda etc.
Je discutais hier avec le directeur des soins infirmiers d’un hôpital important avec lequel je travaille. Il m’expliquait la situation d’un pôle de chirurgie comprenant quatre ailes, avec matin et soir deux infirmières et deux aides-soignantes par ailes. L’activité étant assez variable, il était théoriquement possible de fermer une ou deux ailes, de manière à éviter d’avoir du personnel en sous charge de travail. En pratique, les chirurgiens refusaient cette solution et les mélanges de patients, apparemment pour ne pas avoir à parcourir plusieurs ailes pour faire leur visite (ou pour garder leur aile « à eux »). Il se trouve que ce cadre avait travaillé dans une vie antérieure dans une clinique ou un simple système de marque permettait à chaque praticien de savoir où étaient « ses » malades.
Quand les acteurs du public freinent tout effort d’organisation et de recherche de productivité, ceux du privé concentrent au contraire leur énergie sur l’organisation. Après des décennies de cette différence, le privé est devenu dominant dans tout ce qui est programmable (et donc où une bonne organisation fait de fortes différences, laissant au public le plus difficile à gérer, c’est-à-dire le non programmable !
Une des différences importantes entre public et privé, c’est que les salariés ne peuvent pas dans le privé décider de travailler moins que les autres pour protéger leur confort, sous peine de sanction. Manifestement, en particulier pour ceux qui sont dans des postes importants, dans le public , on peut tout en prétendant vouloir « préserver le service public » !
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