La revue Sciences Humaines s’intéresse ce mois aux motivations du vote avec un titre choc : « dans la tête de l’électeur ». Un article se demande « pourquoi les pauvres votent ils contre leurs intérêts ». Il ne s’agit pas ici de savoir pourquoi ils préfèrent Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy à François Hollande ou JL Mélenchon : l’article reprend des études de chercheurs américains.
En France, est ce l’intérêt des pauvres de voter à droite ou à gauche, pour les extrêmes ou les modérés de ces deux camps ? Une telle question demanderait une longue analyse, et il est probable que les tenants de chaque camp auraient une idée différente sur la question. Nous n’avons pas à nous interroger ici puisque l’étude est américaine, dans un contexte différent de celui de notre pays, où aucun des camps ne remet vraiment en cause les principaux principes de la redistribution social démocrate qui domine le vieux continent.
Les chercheurs se demandaient donc pourquoi des électeurs pauvres votent en masse pour des républicains qui prônent une politique fiscale favorable aux riches et refusent les politiques de redistribution (par exemple pour la santé).
Plusieurs explications sont d’abord avancées dans l’article : depuis la thèse marxiste de l’hégémonie idéologique de la classe dominante jusqu’à l’idée d’imitation de la « classe de loisir » en passant par l’imprégnation du rêve américain de croire que tous peuvent devenir riches un jour.
Les chercheurs avancent une autre explication, en s’appuyant, comme souvent dans ce paradis des études comportementalistes, sur une expérience de mise en situation. L’expérience consiste à attribuer un salaire à chacun (selon des montants s’échelonnant de 25 cents et 25 cents) puis à chaque tour de faire choisir entre une augmentation certaine mais faible du salaire (25 cents) et une loterie qui donne la possibilité (dans 3 cas sur 4) d’une forte augmentation (1 dollar) mais aussi un risque (dans un cas sur 4) de diminution encore plus forte (2 dollars).*
Si tous les joueurs choisissent la solution « prudente », la hiérarchie des salaires ne bouge pas, alors que la solution « loterie » permet de changer de place dans la hiérarchie salariale
Les chercheurs constatent que les joueurs placés en haut de la hiérarchie choisissent la prudence alors que ceux placé tout en bas ou juste au dessus privilégient la solution loterie.
Leur interprétation est que « les joueurs sont motivés moins par une envie de monter dans la distribution salariale que par la peur de se retrouver tout en bas ». Ils parlent de la « honte d’être dernier ».
On peut rapprocher cette expérience de ce sondage qui notait que 49% des Français craignaient de devenir SDF : quel conséquence cela peut il avoir sur leur vote ?
On pensera aussi à l’importance donnée à l’idée d’interdire les licenciements économiques, alors que ceux ci ne représentent que quelques pour cent des sorties d’entreprises, bien après les fin de CDD ou les démissions. Les salariés en CDI craignent en perdant leur travail, de perdre ce qui les range de fait dans une catégorie protégée et privilégiée, et de rejoindre la grande cohorte des précaires.
L’augmentation depuis les années 70 du ratio SMIC/ salaire moyen a conduit à un écrasement de la hiérarchie sociale qui a pu accentuer, chez les salariés qui se retrouvent entre le SMIC et le salaire moyen, le sentiment d’être proche du bas de la hiérarchie salariale. Conjugué au fait que le nombre de smicards (ou suffisamment proches de celui ci pour être affecté par les augmentations du SMIC) est monté jusqu’à 15% des salariés, cet écrasement participe certainement du sentiment que l’ascenseur social est en panne et qu’il y a un déclassement des classes moyennes, celles ci ne se sentant plus solidaires des classes les plus populaires. Mais l’analyse de ce vote devrait distinguer les classes « moyennes inférieures », qui se situent en dessous du revenu médian de celles qui se retrouvent au dessus.
On pourra aussi remarquer que dans une école française qui dévalorise les derniers plus qu'elle ne valorise les premiers, ceux qui ont du mal à suivre finissent par dénigrer une institution qui leur enlève toute confiance en soi.
Ce sont les mêmes quii une fois adultes se réfugieront le plus souvent dans l'abstention, comme si le système démocratiques n'était pas pour eux.
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