La campagne électorale semble avoir pris un nouveau tournant, avec la mise en avant de propositions qui ont très peu de chances d’être mises en œuvre. Il est vrai que le candidat sortant peut difficilement proposer une politique en rupture avec celle menée depuis 5 ans et que son principal challenger a déjà imprimé et diffusé depuis longtemps ses 60 engagements.
En se demandant ce que Hollande gardera de Sarkozy, le Monde de mardi 28 février faisait en creux un bilan des réformes de celui-ci. La liste non exhaustive de 20 réformes menées sur des sujets très divers, de la sécurité à l’international, en passant par l’éducation, la Fonction publique ou la justice, confirme l’impression que ce quinquennat a été beaucoup plus actif que le précédent, marqué par l’immobilisme (l’un des plus beaux succès de Jacques Chirac est la baisse de 40% des morts sur la route, entre 2002 et 2007, et ce n’est pas le résultat d’une grande réforme !).
La gauche ne garderait pas grand-chose des réformes très contestables dans le domaine de la justice ou de la sécurité, mais serait beaucoup plus conservatrice dans d’autres domaines, où elle a pourtant été très critique, depuis la loi sur les universités à celle des retraites (l’âge légal serait maintenu à 62 ans) en passant par la création de Pôle emploi.
Mais tout cela manque visiblement de perspectives (je pense revenir sur ces fameux 60 engagements). D’ailleurs Michel Rocard a écrit le livre qu’il vient de publier (Mes points sur les « i ») parce qu’il était « effaré par l'inanité des conversations, la vacuité du débat .., on parle de nos petites affaires sans vouloir regarder le reste du monde. ».
Mon financier préféré citait récemment une étude de la Société Générale sur les perspectives économiques mondiales à long terme. Pour les auteurs de l’étude, la forte croissance des 30 dernières années s’est appuyée sur des conditions démographiques extrêmement favorables : forte augmentation de la population en âge de travailler(les 15-64 ans sont passés de 2.6 milliards en 1980 à 4.5 milliards en 2010) et de sa part dans la population totale (c’est la conséquence de la diminution de la natalité qui limite la part des 0-14 ans), et importance des 45/65 ans qui peuvent épargner grâce aux revenus élevés que leur procure leurs compétences(les baby boomers des pays développés). La tendance se serait inversée depuis 2008, avec une diminution relative de ces deux populations. Dans les 40 prochaines années, l’âge médian va augmenter de 9 ans et la population totale de 30% (c’est l’effet du vieillissement). Et dans les pays développés, la part des épargnants (les 45/65 ans) va sérieusement baisser. Les 15 prochaines années connaîtront donc une croissance faible : la Société Générale rejoint le pronostic de Michel Rocard, pas forcément pour les mêmes raisons.
L’un des meilleurs connaisseurs du monde syndical notait il y a peu que celui-ci, construit pour négocier les fruits de la croissance, était désarmé devant la nécessité de répartir la pénurie. Les partis politiques sont devant la même difficulté et y arrivent aussi mal.
Comme il faut bien trouver des arguments pour attirer les électeurs, on va chercher les mesures les plus improbables, avec le risque (assumé) de stigmatiser une catégorie de français, celle des détenus à garder plus longtemps en prison ou celle des riches à faire payer, même si cela ne doit rien rapporter en fait.
Dans cette course à la proposition la plus populaire, mais dont on sait très bien qu’elle ne sera pas mise en œuvre, le risque est d’aller trop loin, avec une proposition tellement déconnectée de la réalité que même l’électeur le plus endormi devant son téléviseur s’en aperçoit. Dans ce domaine, le record à battre est celui de Ségolène Royal proposant de ramener chez elles tous les soirs les femmes fonctionnaires de police pour leur éviter d’être agressées.
Le matin des magiciens, publié en 1960 et qui se voulait une « introduction au réalisme fantastique », proposait déjà une vision complotiste du monde, en n’hésitant pas à intégrer une nouvelle de science-fiction comme si c’était une histoire vraie.
Nos politiques d’aujourd’hui veulent faire croire eux aussi qu’ils sont des magiciens, que leur science leur donne des idées efficaces, alors que ce n'est que fiction. Ils ne sont évidemment que des illusionnistes, qui contrairement aux vrais illusionnistes, essayent de nous faire croire qu’il n’y a pas de « truc ». Faute d’alternative sérieuse, les électeurs font encore semblant de croire à leurs tours de passe-passe, alors que les ficelles sont grosses. Mais il ne faudra pas s’étonner demain si l’abstention continue d’augmenter.
Les commentaires récents