Dans son livre sur la crise de l’Euro, Jean Pisani-Ferry consacre un chapitre complet à la longue pénitence que s’est infligée l’Allemagne entre 2003 et 2010, et qui la rend aujourd’hui trop compétitive avec les autres pays de la zone Euro, alors qu’elle ne peut pas réévaluer pour rétablir la situation.
En 1999, au moment de l’entrée dans l’euro, la France a un excédent de sa balance des paiements de 43 milliards quand l’Allemagne affiche un déficit de 25 milliards. En 2010, le déficit français est de 33 milliards alors que l’excédent allemand atteint le sommet de 141 milliards ! L’auteur décrit ce qui se passe en Allemagne mais passe sous silence le cas de la France (ou du moins ne le distingue pas de ses voisins).
Les années 90 ont été défavorables à l’Allemagne : le coût de l’unification et les transferts massifs vers les nouveaux Länder se sont traduits par une inflation plus élevée que d’habitude. La France a pendant le même temps continué, sous les gouvernements de droite comme de gauche, la politique de désinflation compétitive promue par Jean Claude Trichet. L’inflation durablement plus faible en France qu’en Allemagne a fini par profiter aux produits français.
Depuis, l’Allemagne a connu en même temps deux transformations qui ont redonné largement l’avantage à ses produits.
La première transformation porte directement sur les prix : le plan concocté sous le nom d’Agenda 2010 par Gérard Schröeder et poursuivi par Angela Merkel se traduit par une maîtrise des salaires et des prix, mais aussi par une évolution de 4 points du partage entre les salariés et les profits, en faveur de ces derniers.
Cette évolution bien connue et résultat d’un choix politique, est aussi venue d’une action peut-être moins médiatique des industriels eux-mêmes, qui les a conduits à délocaliser dans les pays voisins (à l’Est) les activités les plus intenses en main d’œuvre. Mais il s’agit d’une sous traitance qui s’est intégrée dans la chaîne de production des produits allemands et a profité à ceux-ci en baissant leurs prix de revient. De 1998 à 2008, les importations sont passées de 27% à 41% du PIB. Mais dans le même temps les exportations sont passée de 29 à 47% du PIB. Dans le même temps, en France, la part des importations dans le PIB a augmenté de 5%, quand celle des exportations n’augmentait que de 1%.
La pénitence que s’est infligé l’Allemagne explique aussi le boom des pays du Sud : l’épargne augmentant et ne trouvant pas d’emplois sur place s’est logiquement déportée vers les pays du Sud en plein boom, chez lesquels elle a créé de l’inflation. La dépression allemande a incité la BCE a garder des taux d’intérêts très bas quand l’inflation des pays du Sud aurait justifier une hausse des taux.
Notons que le passage aux 35 heures sans baisse de salaires au moment même où l’industrie allemande évoluait en sens inverses n’a pas aidé la France à garder la compétitivité chèrement acquise la décennie précédente. En fait, la politique de désinflation compétitive est abandonnée depuis la fin des années 90 !
On notera ici que l’industrie française se bat sur deux fronts différents : pour certains produits, notamment les moins évolués, la concurrence vient des pays émergents, qui ont des salaires dix ou vingt fois plus faibles ; dans certains cas, ce n’est même pas la peine d’essayer de lutter. Dans d’autre cas, il y a une possibilité de continuer à maîtriser l’amont (la création de l’offre) et l’aval (la distribution, tout en faisant fabriquer au Maghreb et dans les pays de l’Est.
Au contraire, pour les produits les plus évolués, la concurrence est pour l’instant limitée à des pays qui ont à peu près les mêmes coûts que nous, en Europe, en Amérique du Nord ou au Japon. Airbus en est un des exemples.
Pour ces produits évolués, un déplacement de 10 à 20% des prix peut avoir des impacts forts, les niveaux de technicité étant assez semblables. Aujourd’hui, l’Allemagne nous concurrence directement, comme elle le fait avec les autres pays.
Comme il n’est pas possible dans le cadre de l’euro de réévaluer la monnaie allemande par rapport à celle de ses voisins (dont la France), il faut que les allemands augmentent leurs prix plus vite que leurs voisins, ce qui n’est pas gagné quand on connait l’horreur des allemands pour l’inflation ! Mais sans une telle évolution, il n’y a pas d’avenir pour l’euro.
La politique énergétique de remplacement du nucléaire par le renouvelable va certes dégrader la compétitivité allemande, mais ce ne sera probablement pas suffisant. D’où les réflexions menées pour rétablir la situation en notre faveur, par exemple avec la TVA dite sociale, dont personne n’accepte de dire qu’elle a pour but d’aider nos industriels à concurrencer les produits allemands.
L’équation sera de toute manière difficile pour le futur locataire de l’Elysée, quel qu’il soit.
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