Jean Pisani-Ferry nous propose sous ce titre (l’éditeur l’a surmonté d’un probablement plus marketing « le réveil des démons ») un ouvrage extrêmement pédagogique sur ce qui se passe sous nos yeux, mais également très inquiétant sur ce qui nous attend, que la zone euro éclate ou non.
Bien que relativement court (184 pages, si on met à part l’introduction, le glossaire et la chronologie), l’ouvrage contient de nombreuses explications utiles, et je ne vois pas comment les rapporter toutes ici : le mieux pour celui que le sujet intéresse est de le lire (après tout, il ne coûte que 15 euros, et on doit commencer à le trouver en bibliothèque !). La première moitié m’a parue remarquablement claire (j’avais vraiment l’impression de comprendre ce qui se passe aujourd’hui), la deuxième un tout petit peu moins, en particulier je crois parce qu’elle aborde non pas ce qui s’est passé hier mais ce qu’on pourrait faire demain.
Je dois préciser que j’avais un a priori très favorable pour l’auteur. Je l’ai découvert à travers son étude pour le CAE en 2001(qui a fait l’objet d’un livre « la bonne aventure. L’emploi, la gauche, le marché »). Sur un sujet que je connais professionnellement, j’avais trouvé une œuvre remarquable de clarté, de réalisme et de pragmatisme. Ses chroniques dans le Monde n’ont fait depuis que renforcer mon opinion.
Au delà d’une qualité pédagogique que je comparerais volontiers à celle de Daniel Cohen, j’apprécie aussi son pragmatisme de modéré, que l’introduction de son chapitre 12 illustre à mon avis trop parfaitement pour ne pas le citer :
« En 2008, les Etats ont sauvé les financiers. En 2011, les financiers mettent les Etats à genoux. Le raccourci est exact. Il est profondément choquant. Mais il ne fournit pas un guide pour l’action »
Exit donc les postures idéologiques. La question n’est pas de savoir qui sont les méchants et les gentils, mais que se passe t-il et que peut-on faire ? Ce que l’auteur résume dans son introduction « qu’elle est la vraie question ? »
Ce qui s’est passé ?
La mise en place d’une monnaie commune entre onze pays n’a été possible que parce que ces pays ont fait des efforts de convergence, en particulier pour s’aligner sur les principes de sagesse budgétaire et monétaire de l’Allemagne (principes qu’elle a mis provisoirement un peu de côté pour gérer la réunification).
Alors que tout indiquait que les conditions privées de régulation (mobilité forte des travailleurs au sein de la zone par exemple) ne seraient pas remplies, les décideurs n’ont pas su aller suffisamment loin dans la mise en place d’instruments de régulation et d’harmonisation institutionnels (ils sont en train de mes mettre en place progressivement et dans la douleur sous la pression de la crise).
L’Allemagne plaidait pour une union politique, sans lui donner un contenu clair, la France pour une gouvernance économique, sans plus de précision. Au final, il n’y a rien eu. Pas non plus de mécanismes de solidarité puissants entre Etats (au contraire) faute de confiance mutuelle suffisante.
L’objectif avoué était de continuer les efforts de convergence, l’espoir était que la monnaie commune provoque une prise de conscience, conduise à impulser des réformes et suscite. des coopérations.
Il n’en a rien été : les pays ont profité des avantages de l’euro (notamment les bas taux d’intérêts) mais ont menés des politiques économiques indépendantes, sans le moindre souci de cohérence avec leurs partenaires de la zone, contrairement à leurs pratiques pendant la période de préparation.
Aujourd’hui la crise oblige à tout devoir faire dans la précipitation, à un rythme de toutes manières beaucoup trop lent pour les marchés financiers, qui s’inquiètent du fait que les dirigeants européens ne semblent pas savoir où ils vont et ne prennent que des décisions trop partielles et trop tardives. L’inquiétude des marchés se traduit logiquement par une montée des taux d’intérêts, montée qui devient une calamité pour les Etats les plus endettés.
J’y reviendrais, mais je voudrais conclure provisoirement sur ce que j’ai retenu au final de la situation aujourd’hui.
Face à des situations dégradées d’endettement et / ou de compétitivité, la solution ancienne de la dévaluation n’est plus possible au sein de la zone euro.
Deux solutions s’offrent donc aux pays concernés (et rien ne garantit que la France n’en fait pas partie) : sortir de l’euro et dévaluer, ou bénéficier d’une évolution des mécanismes internes à la zone euro.
La première solution a bien sûr tous les inconvénients d’une dévaluation (perte de pouvoir d’achat notamment) largement accentués par les conséquences de la sortie de l’euro : en particulier des difficultés techniques qui rendront le processus long, quand on sait qu’il faut aller vite quand on dévalue, et le fait que l’essentiel des dettes publiques sont libellées en euro, ce qui augmentera d’autant le montant dans la monnaie dévaluée.
La seconde solution n’est pas du ressort de la seule Grèce ou de l’Italie mais de l’ensemble des pays de la zone, qui devront faire évoluer leurs traités et définir de nouvelles institutions et règles plus appropriées à la gestion de la zone, qui devront mettre en place des mécanismes de solidarité. Ce qui suppose un vote favorable de tous les parlements concernés. La BCE pourra intervenir sur les marchés pour éteindre la crise de confiance et faire revenir les taix d’intérêts à des niveaux plus supportables. Les efforts pour redresser la compétitivité et diminuer l’endettement n’en resteront pas moins indispensables(et j’avoue ne pas voir comment pourra être annulé le déséquilibre de compétitivité avec l’Allemagne).
Dit autrement, la crise dans laquelle nous sommes plongés est particulièrement catastrophique. Elle se traduira par beaucoup de sang et de larmes. Si la solution de maintien de l’euro apparaît manifestement à l’auteur comme largement préférable, elle nécessite des choix politiques forts qui ne pourront pas être pris si le problème n’est pas mis clairement sur la table (d’où sa décision de publier ce livre). Il devrait être au cœur du débat électoral de 2012. Il ne semble pas qu’on en prenne le chemin.
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