Publier des articles et payer leurs auteurs quand ils sont journalistes mais pas quand ils sont blogueurs est une pratique très répandue dans les médias en ligne. Elle reflète des différences importantes entre ces deux types d’acteurs, au-delà de ressemblances parfois fortes dans les produits livrés, c'est-à-dire les articles publiés.
Il y a plusieurs années, lors d’une réunion de la République des blogs, j’avais discuté quelques minutes avec une jeune femme qui s’était présentée comme journaliste (ou élève journaliste, je ne sais plus) et qui m’avait expliqué avec beaucoup de virulence que les blogueurs n’étaient pas des journalistes. Comme je n’accordais strictement aucune importance à cette question que je ne m’étais jamais posée, je l’avais laissée dire sans chercher à creuser plus avant ses arguments.
La polémique sur la rémunération des blogueurs publiés par les médias a été l’occasion pour moi de me poser enfin cette question : en quoi (et dans quelles conditions) les blogueurs peuvent ils ou non être comparés à des journalistes ?
Quel est le rôle d’un journaliste ? Rechercher et trouver l’information, la vérifier, la rapporter et l’expliquer et enfin la commenter.
En pratique ces quatre étapes sont rarement faites par les mêmes personnes : il y a des journalistes spécialisés dans la première et la deuxième étape, et d’autres dans la troisième. Dans la presse écrite, le rôle d’éditorialiste, qui correspond à la quatrième étape, est souvent réserve à un dirigeant du journal.
Or, la distinction entre explication et commentaire est assez théorique. Pour expliquer, il faut structurer, donc donner du sens. Commenter, n’est ce pas aussi d’abord donner du sens ?
Du côté des blogueurs, la diversité est évidemment beaucoup plus grande : un blog peut avoir pour tout contenu quelques photos de la chambre de celui qui le tient ! Des blogueurs racontent simplement leur vie : cela peut donner des articles sans aucun intérêt, ou au contraire de pures merveilles, au point que certains ont été publiés par des éditeurs de livres, parce que la manière dont ils racontent leur métier de caissière, de policier, de médecin ou d’avocat est remarquable et intéresse des milliers de lecteurs.
Il y a des blogueurs spécialisés dans un domaine, comme il y a des revues spécialisées. Leur spécialité peut être les animaux, la musique, le droit, l’économie ou bien d’autres choses encore.
Il y a enfin d’autres blogueurs qui commentent l’actualité et j’imaginent que ce sont ceux là (ou au moins les plus brillants d’entre eux) que l’on compare avec des journalistes
Une comparaison qui avait conduit au délire de la notion de blogueur influent, justement refusée par Nicolas Vambremeersch qui avait, pour clore la polémique, fermé son blog Versac.
Il est vrai qu’une des caractéristiques du blogueur est qu’il œuvre de son propre chef, à son rythme.
Au moment d’écrire « quel est le rôle du journaliste », j’ai tapé « travail » que j’ai changé ensuite en « rôle ». Le mot travail souligne une différence essentielle entre journaliste et blogueur : le premier fait un métier, le second a un loisir. On peut noter ici que certains amateurs font preuve de plus de professionnalismes que certains professionnels !
En fait, tout cela n’aurait aucune importance si le métier de journaliste ne traversait une crise grave, cette crise qui est en train de menacer la presse écrite au point qu’on se demande quels seront les journaux qui existeront encore dans dix ans (à l’exception notable des gratuits…à condition que l’AFP soit toujours là pour leur fournir la matière première !).
Quels sont les moins de 35 ans qui achètent encore un journal ? Pourquoi faire, alors qu’ils ont toute la presse en ligne sur leur smartphone ? Comment un journal papier peut il concurrencer la presse en ligne quand il lui faut payer le papier, l’impression et la distribution, quand il doit imprimer une nouvelle connue depuis des heures par les lecteurs de google ?
Mais que deviennent les étapes de la vérification et de la structuration de l’information quand il faut réagir dans l’heure voire moins ?
L’un des avantages théoriques d’un média installé par rapport à un blog, c’est la garantie qu’il donne que l’information qu’il diffuse a été vérifiée, quand le mensonge circule sur Internet aussi vite que l’information vraie, quand ce qui fait le buzz c’est le spectaculaire (ce qui favorise les informations imaginaires).
Les journalistes sont soumis à très rude épreuve par les changements en cours. Ils ont heureusement commencé à s’adapter, mais ce sera encore dur : tous mes encouragements à eux, car on a besoin qu’ils fassent bien leur travail !
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