La sénatrice Jacqueline Panis a présenté un rapport d’information sur les dispositions concernant le droit à la retraite des mères de famille, rapport directement inspiré du 6ème rapport du Conseil d’Orientation des Retraites relatif aux droits conjugaux et familiaux.
Le site de la documentation Française ayant remplacé la page qui donnait la liste des rapports récents par une sélection des rapports de la quinzaine, et après un moment d’énervement contre cette prétention à nous dicter nos lectures, je suis tombé sur ce 6ème rapport du COR que je n’avais jamais regardé, et qui était là à cause du rapport de la sénatrice. Le rapport du COR est très détaillé, mais ceux qui veulent en connaître l’essentiel pourront lire la conclusion pages 303 à 306.
Les systèmes de retraite comportent des dispositions favorables aux femmes, aux mères et aux pères de familles :
La majoration de durée d’assurance (MDA) a été instituée en 1971. Elle bénéficie aux mères et représente 8 trimestres par enfant élevé (le nombre de trimestres est réduit si l’enfant n’a été élevé que partiellement). Elle ne concerne que le régime de base.
La majoration de montant pour ceux et celles qui ont eu ou élevé trois enfants ou plus
Les possibilités de départs anticipés au bout de 15 ans de carrière pour celles qui ont élevé trois enfants ou plus, majoration propres à certains régimes spéciaux dont celui des fonctionnaires
L’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) crée en 1972 qui bénéficie aux personnes s’étant arrêté pour éduquer leurs enfants, sous condition de revenu
Les majorations pour conjoint ou enfant à charge, également sous conditions de ressources
La réversion au conjoint survivant, dont les règles dépendent des régimes.
Le rapport du COR détaille les modalités précises de tous ces mécanismes puis analyse leurs effets. Comme il s’agit de fait de système de redistribution, il examine si l’avantage accordé compense ou non des impacts négatifs sur le montant des retraites de la situation concernée.
Par exemple, la majoration de durée d’assurance favorise les femmes qui ont eu des enfants par rapport à celles qui n’en ont pas eu, mais au final, comme le montre le tableau page 38, cette majoration ne fait que compenser un nombre de trimestres d’autant plus faible que les mères ont eu plus d’enfants. On notera que curieusement, les femmes ayant eu un enfant ont cotisé nettement plus de trimestres que celles qui n’en ont eu aucun. Le tableau suivant qui concerne les femmes parties en retraite en 2004montre que la médiane se situe à 150 trimestres, MBA comprise, pour ceux qui ont eu des enfants comme pour celles qui n’en ont pas eu (le premier tableau regarde seulement la moyenne, le suivant comprend aussi la médiane).
Les trois droits familiaux, considérés globalement, représenteraient 7,6 % de la masse des pensions de droit propres versées en 2004 aux générations 1934 et 1938, mais avec des montants très différents selon les régimes. Au total, ces droits compteraient pour 15.3 milliards d’euros dans le total des pensions en 2006, soit près de 0.9% du PIB de cette année-là.
Pour leur part, les pensions de réversion totalisent entre 28.9 et 30.2 milliards d’euros, soit plus de 13% du total des pensions et environ 1.6% du PIB.
Au total, ces droits familiaux et conjugaux représentent 2.5% du PIB, ce qui justifie amplement qu’on en discute le bien fondé. Le rapport montre globalement que les mécanismes en cause ne font que compenser des différences initiales. Il étudie aussi l’évolution dans le temps. Par exemple, le tableau page 95 nous montre que les femmes partent en retraite plus tard que les hommes, pour des pensions plus faibles, et ce malgré la majoration de durée d’assurance en leur faveur. L’écart entre âge de départ, estimé à 1.8 ans en faveur des hommes pour la génération née de 1940 à 1944 devrait se réduire à 0.1 ans pour la génération née de 1955 à 1964 et s’inverser en faveur des femmes (de 0.3 ans) pour la génération née entre 1964 et 1974.
Un tableau page 96 donne le montant moyen des droits propres des femmes selon le nombre d’enfants qu’elles ont eu : ce montant est de 1122€/mois pour celles qui n’ont pas eu d’enfants, de 1029 € pour celles qui en ont eu 1, de 818€ pour celles qui en ont eu 2, de 703 € pour celles qui en ont eu 3 et de 627€ pour celles qui en ont eu 4 ou plus. Le tableau de la page 98 montre la part dans ces montants de ce qui provient des droits familiaux, part qui se monte à 49% pour les femmes ayant eu 4 enfants ou plus ! Un tableau page 97 montre que la situation est plus favorable pour les hommes, pour lesquels la majoration compense l’écart initial
Le même type d’analyse est mené pour tous les types de doits familiaux et conjugaux. Le rapport tente aussi d’analyser l’impact de l’évolution des mœurs, en particulier la montée des divorces et du nombre de couple non mariés, situation que Jacqueline Panis examine à son tour. Il faut noter dans le rapport du COR un long développement sociologique sur les situations respectives des hommes et des femmes, notamment face aux temps partiel ou aux activités ménagères.
Le rapport de la sénatrice s’est également attardé sur une question déjà étudiée par le rapport du COR, celle du droit à la retraite au bout de 15 ans dans certains régimes spéciaux, y compris ceux de la fonction publique d’Etat. Le tableau page 112 montrait que les personnes concernées avaient une perte sur le montant de leur retraite, perte qui s’échelonnait entre 6 et 38% selon les régimes.
Il se trouve qu’un arrêt de la cour européenne des droits de l’homme est venue mettre la panique dans tous ces beaux dispositifs avec la jurisprudence Griesmar de 2001, en considérant les éléments d’ordre sociologique étayés par des statistiques ne suffisaient pas à justifier une situation qui devait être examinée au cas par cas.
Après avoir essayé de louvoyer, la France a bien dû adapter sa législation à cet arrêt. L’une des conséquences assez justifiée a été de permettre à un homme ayant élevé seul ses enfants de bénéficier des mêmes dispositifs que les mères de famille. Une autre conséquence est advenue seulement en 2010, la suppression de la possibilité pour les mères ayant élevé 3 enfants de partir au bout de 15 ans de travail. Le manque de diligence de l’Etat fait qu’un certain nombre d’hommes ont pu bénéficier de cette mesure, ce que je considère comme parfaitement scandaleux.
Il faut dire que la mesure supprimée était déjà doublement scandaleuse dans le cas des mères : d’une part parce qu’on ne voit pas la justification d’un avantage aussi disproportionné (qui plus est avec un effet de seuil que ne comporte pas la MDA), d’autre part parce qu’il ne bénéficiait qu’aux seuls agents des régimes spéciaux (y compris les fonctionnaires).
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