Comment savoir si le métier qu’on a envie de choisir à 15 ou 20 ans vous assure une carrière sans heurt ou est potentiellement à risque, s’il permettra de vivre aisément ou en ayant du mal à joindre les deux bouts ? S’il n’y a pas de certitudes, les études sont nombreuses sur les évolutions passées et l’exercice de prospective a été fait.
Disons le tout de suite : il est extrêmement hasardeux d’anticiper sur une carrière de 40 ans ou plus. Si on prend l’exemple de la médecine, ce fut un métier très attractif jusqu’au milieu des années 70. Mais à cette période, le nombre de médecins formés chaque année est tel qu’il finit par y avoir pléthore. D’après le document de la DARES sur 25 ans d’emploi, en 1983, 26% des médecins ont moins de 30 ans (contre 13% aujourd’hui) ce qui est beaucoup au regard de l’âge de fin d’études.
Il ne faut pas aller chercher plus loin pour expliquer la réussite des associations Médecins sans frontières ou médecins du Monde : à l’époque, la France peut exporter ses médecins. Un numérus clausus est mis en place (d’abord pour éviter que l’offre pléthorique vienne dégrader les comptes de la Sécurité Sociale). A la fin des années 80, certains médecins ne gagnent pas le SMIC, ce qui pousse une partie des jeunes médecins à se reconvertir dans d’autres métiers. Mais le numérus clausus fait progressivement son effet si bien que quand les 35 heures réduisent l’activité médicale dans les hôpitaux, on se retrouve en, pénurie, et cette fois, c’est la France qui importe des médecins étrangers. La situation sera sans doute tendue jusqu’au début des années 2020 (il est très long de former des médecins). Ceux qui ont 25 ou 30 ans aujourd’hui vont progressivement voir partir les plus de 50 ans (41% des effectifs aujourd’hui contre 18 il y a 25 ans !) et donc vont pouvoir être candidats aux places de chefs de service qui étaient rares pour la génération d’avant eux.
Dans cet exemple, on se trouve face à un métier dont les besoins en effectif ont augmenté au fil des ans de manière assez régulière (sauf au moment de la réduction du temps de travail) et devraient pouvoir être prévus…à peu près ! La principale difficulté réside en réalité dans le très long temps de formation nécessaire : il est relativement facile pour un médecin de se reconvertir, il est beaucoup plus difficile à un non médecin de le devenir (cela arrive, une de mes collègues à l’école d’ingénieur a fait ses études de médecine à 40 ans !). Sur ce point, ce métier n’est pas représentatif.
Il reste qu’on peut se poser la question : quels sont les métiers dont les effectifs vont croitre à 5, 10 ou 20 ans et ceux qui vont au contraire décroître ? Cet exercice est évidemment difficile. L’étude parue en 2002 sur l’évolution des métiers à l’horizon 2010 (rapport Seibel) avait montré la difficulté de l’exercice : le rapport écrit dans une période de forte croissance s’était montré trop optimiste sur les créations d’emplois totales à espérer, ce qu’avait reconnu le rapport suivant, paru en 2007, sur les métiers à l’’horizon 2015.
Mais si le chiffre total doit être pris avec prudence, il est en réalité plus facile d’identifier les métiers qui vont augmenter plus vite que la moyenne ou ceux qui vont décroitre. Encore que même dans ce domaine, l’anticipation n’est pas garantie : le rapport Seibel avait estimé à tort que les emplois de secrétaires seraient en diminution et ils ont été en croissance ! Mais peut être la tendance est-elle juste sur une plus longue durée !
La question du diplôme est majeure, comme le montre le n° 1313 d’INSEE Première, paru en octobre 2010, qui donne les taux de chômage et la rémunération pour les débutants selon le diplôme obtenu en fin de formation initiale. Et quand on dit diplôme, on dit à la fois le niveau (CAP, bac, DUT, Master etc.) et la filière choisie
Sur le niveau, la très récente étude de la DARES sur 25 ans d’évolution des métiers montre de manière saisissante dans son tableau 6 les raisons de la fin de l’ascenseur social : alors qu’il y a 25 ans, il y avait encore un déséquilibre entre catégorie d’emploi et niveau de formation, ce déséquilibre a disparu. Si l’on compare la proportion de cadres et celle des diplômes supérieurs (c’est-à-dire au-delà du bac+2) on était à 6/9 en 1983 et on est à 16/17 aujourd’hui. Dit autrement, il n’y avait pas assez de diplômés supérieurs pour occuper tous les postes de cadres il y a 25 ans, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La conséquence est que ceux qui n’ont pas ce niveau de diplôme ont peu de chances de devenir cadres, et que ceux qui l’ont ne sont même pas assurés de le devenir !
On peut faire la même comparaison en bas de l’échelle en comparant la proportion d’emplois non qualifiés (employés + ouvriers) à celle des « sans diplômes+ CEP+BEPC : 28 contre 50 en 1983, 23 contre 24 aujourd’hui. Hier près de la moitié des sans diplômes accédaient à un emploi qualifié, ce n’est plus nécessaire aujourd’hui. Pire, comme une partie des emplois non qualifiés sont détenus par des salariés ayant une qualification, de nombreux jeunes sans qualification sont tout simplement au chômage.
Ce qui a aussi changé bien entendu, c’est l’accès à la formation initiale. Il n’était pas rare de trouver il y a 40 ans des personnes ayant commencé à travailler à 14 ans mais ayant un très bon potentiel. Ceux-là pouvaient évoluer dans le système et obtenir des emplois de bon niveau. J’ai connu ainsi une personne ayant commencé avec un niveau de technicien à la mine et ayant atteint le niveau d’ingénieur général du corps des mines (le plus haut pour les polytechniciens sortis dans les 12 premiers !) : c’est évidemment une exception, comme Jacques Delors qui a démarré à la Banque de France à 18 ans avec le bac, mais elle est assez symptomatique de ce qui se passait il y a 50 ans, pour un nombre non négligeable de personnes.
Aujourd’hui, les sans diplômes sont pour la plupart des personnes en vrai difficulté scolaire, maîtrisant mal la lecture par exemple. Ils n’ont guère les moyens d’accéder à des métiers qualifiés (sauf encore dans des secteurs comme le bâtiment) et ne peuvent donc prétendre qu’à des emplois non qualifiés, alors qu’on estime que le nombre de ces emplois non qualifiés baisse de 4% par an…
Mais l’étude de l’INSEE montre aussi l’importance de la filière. Les métiers de production sont nettement plus favorables que ceux des services. Cette situation peut paraître étonnante : après tout, l’industrie paraît en perte de vitesse, alors que le tertiaire représente aujourd’hui près de quatre emplois sur cinq. Mais il ne faut pas oublier que certains métiers classés dans les services sont des métiers de techniques « scientifiques », que ce soient les services informatiques ou ceux d’entretiens de matériels (type chauffage ou ascenseur). Par ailleurs, si l’emploi tertiaire a beaucoup augmenté depuis 30 ans, le travail des femmes, traditionnellement plus tournées vers ce type de métiers, a aussi beaucoup augmenté.
Le rapport Seibel comme celui sur les métiers à l’horizon 2015 estimaient que les métiers d’aide à la personne ne pouvaient qu’augmenter à long terme, en raison de l’arrivée à l’âge senior de la génération du papy-boom. Rappelons que ceux qui sont nés à partir de 1945 ont au plus aujourd’hui 66 ans : ils commencent tout juste pour les plus usés ou fragiles d’entre eux à accéder à des maisons de retraite et ne commenceront à les encombrer que dans une bonne dizaine d’années. Par contre, il est évident qu’entre 2020 et 2040, il y aura une forte augmentation de l’emploi dans ce type d’établissement
On trouvera dans le rapport sur l’avenir des métiers 18 fiches par domaine professionnel qui donnent des renseignements utiles
N’oublions pas cependant que la situation dans un secteur dépend des besoins d’une part, du nombre de ceux qui s’y orientent d’autre part. Une formation peut manquer de débouchés parce que le secteur est en crise, comme cela a été le cas dans le bâtiment entre 1992 et 1998, la situation s’étant complétement retournée depuis. Mais il peut aussi y avoir une difficulté liée à un excès de candidats. On l’a vu pour les médecins à partir du milieu des années 70 : le nombre d’emplois augmentait, mais beaucoup moins vite que le nombre de personnes formés. C’est aujourd’hui le cas dans des métiers à la mode chez les jeunes, comme ceux de l’environnement (du moins les plus qualifiés), de l’assistance aux pays en développement, de la culture ou des métiers artistiques. Encore que dans ce dernier cas, l’existence d’un régime chômage extrêmement favorable explique aussi la situation.
Il faut finir en rappelant que beaucoup seront amenés à changer de métier durant leur carrière : leur formation initiale, la manière dont ils continuent à développer leurs compétences ensuite favorisent ils ces changements ?
Les documents de référence
Le rapport Seibel sur l’avenir des métiers à l’horizon 2010
Le rapport sur les métiers en 2015 de la DARES et du CAE
La note INSEE Première de 2010 sur les débuts de carrière
La note de septembre 2011 de la DARES sur 25 ans d’évolution des métiers
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