Le 16 juin, l’INSEE a fait paraître son édition de 2011 sur l’économie française, qui comprend un chapitre sur les inégalités intergénérationnelles depuis le baby boom , sujet pour lequel mes lecteurs ont exprimé leur intérêt à l’occasion d’un article intitulé « jeunesse indignée ».
Le fait qu’il y ait des inégalités intergénérationnelles n’occulte pas la réalité des inégalités intra générationnelles. Parfois les premières accentuent ou atténuent des secondes. Parfois le lien est autre : par exemple, certaines générations anciennes ont connu une mortalité infantile assez élevée. Parmi ces générations, il y a eu des enfants qui ont survécu et d’autre non, inégalité flagrante. Avec la forte diminution de la mortalité infantile, cette inégalité intra générationnelle est en voie de disparition
Précisons un peu le sujet : les inégalités intergénérationnelles couvrent plusieurs phénomènes.
Le premier est le progrès général qui bénéficie aux nouvelles générations, qui fait que ceux qui sont nés en 1970 ont une espérance de vie plus élevé et des conditions de vie globalement plus favorables, ils ont pu faire plus d’études que ceux qui sont nés en 1925. Cette tendance est générale depuis un siècle, même si le rythme des changements a évolué dans le temps.
Le deuxième phénomène est au contraire conjoncturel : certaines cohortes de personnes nées la même année ont été affectés par des événements spécifiques : ainsi ceux qui ont fait la guerre d’Algérie ou ceux qui sont sortis du système scolaire en plein creux conjoncturel en 1984 ou en 1995
Le troisième phénomène est le fruit de choix collectifs. Certains sont faits volontairement pour favoriser une classe d’âge, parfois pour compenser les inconvénients subis (par exemple avec une allocation d’anciens combattants). D’autres sont des choix collectifs qui affectent préférentiellement certaines classes d’âge : en 1982, le passage de la retraite à 60 ans contre 65 ans a créé une inégalité intergénérationnelles entre les classes d’age qui avait moins de 60 ans en 1982 (donc celles de 1922 et ensuite) et celles qui avaient 65 ans ou plus (donc celles de 1917 et avant) les classes intermédiaires ayant eu un traitement intermédiaire !
Un quatrième phénomène est celui qui crée des différences de conditions de vie selon l’âge, par exemple avec une forte prise en compte de l’ancienneté dans la rémunération. S’il est permanent, ce système marque simplement l’évolution individuelle dans le temps. Mais bien sûr, s’il évolue (ce qui est forcément au moins partiellement le cas), il est un des moyens du phénomène précédent
C’est bien sûr le troisième phénomène qui attire l’attention, car il révèle une injustice voulue, consciemment ou pas, par la société. Les questions sur le sujet tournent autour du mécanisme des retraites, de l’accumulation de la dette de l’Etat, du déséquilibre sur le marché du travail entre ceux qui y sont installés (avec un CDI) et ceux qui veulent y entrer et passent par des périodes plus ou moins longues de précarité et enfin la fin de l’ascenseur social et la dévalorisation des diplômes ; sans parler de l’accès au logement où l’on retrouve un peu les mêmes situations que pour le marché du travail. Tout cela finit évidemment par faire beaucoup !
Le dossier publié par l’INSEE commence par rappeler la rupture démographique entre les classes nées avant 1945 peu nombreuses du fait d’une fécondité faible et d’une mortalité non négligeable (jusqu’à un dixième d’une cohorte avant un an) et les générations d’après guerre, nettement plus nombreuse et beaucoup moins frappée par la mortalité infantile, au point qu’en 1975, près de la moitié de la population avait moins de 30 ans. Après 1975, la tendance se retourne, les classes nombreuses vieillissent alors que les nouvelles sont un peu plus réduites. L’effet de la vague du baby boom affecte aujourd’hui les effectifs des retraités.
On peut noter que les générations nées entre 1922 et 1944 seront celles qui auront le plus bénéficié de la croissance des trente glorieuses, après avoir grandi ou être nés dans les périodes difficiles de la crise de 29 puis de ces suites et de la deuxième guerre mondiale. Au-delà de ces phénomène sur lesquels la société n’a eu guère de prise, ces générations ont profité de la retraite à 60 ans( y compris pour les plus anciens) et n’ont vu arriver la diminution des retraites qu’à partir de 1993, et encore très progressivement. Cette spécificité a été facilitée par la taille plus faible des cohortes concernées (elle en est même une des raisons)
Le document examine ensuite la formation initiale (voir tableau à la cinquième page du document, numérotée 50). A partir de 1970, plus de la moitié d’une classe d’âge a au moins le bac ou un diplôme équivalent, quand cela ne représentait que 20% des effectifs entre 1936 et 1940, soit environ 30 ans plus tôt. Le document note que l’augmentation du niveau d’études initial a été stoppée depuis les années 90. Il note aussi que le diplôme est maintenant moins valorisé dans le monde du travail. Il s’agit cependant d’un acquis pour la vie en général, comme le montre par exemple l’accès à Internet.
L’encadré 2 (pages numérotées 52 et 53) aborde l’évolution de la mortalité aux différents âges de la vie. Avec le temps, la mortalité diminue (par exemple, le taux de mortalité des 55/64 ans a été divisée par 2 environ (difficile à lire sur une échelle semi logarithmique) entre 1950 et aujourd’hui. La baisse la plus spectaculaire concerne les moins de 15 ans, avec un taux de mortalité passée de plus de 100 a nettement moins de 10 pour 100. On notera que la mortalité des 15/24 ans a augmenté dans les années 60/70 (accidents de la route) puis 80 (sida) avant de descendre nettement. Dans le même encadré, l’étude analyse une augmentation du taux de suicide des jeunes adultes dans les années 70/ 80 comme spécifique aux générations nées après 1950, le phénomène étant aujourd’hui en régression.
L’étude aborde ensuite la question de l’emploi en soulignant d’abord la montée de l’emploi des femmes qu’elle corrige par la montée du temps partiel. Vient ensuite la question du chômage dont on note à la fois la montée et le fait qu’il touche en priorité les entrants c'est-à-dire les moins de 30 ans. La suite du document montre que ce sont surtout les moins diplômés qui en sont les victimes mais que si le diplôme est une bonne garantie contre le chômage, il n’assure plus forcément un statut social élevé.
Les seniors ont aussi du mal a garder un emploi : En 2009, parmi les individus âgés de
50 ans ou plus, la proportion de chômeurs depuis plus d’un an s’élève ainsi à 52 %, contre
34 % pour les 25-49 ans. Il ,faut évidemment lire que 52% des chômeurs de plus de 50 ans le sont depuis plus d’un an et non que 52% des plus de 50 ans sont au chômage ! Les auteurs notent que les retraites anticipées ont été une réponse à ces difficultés. Mes lecteurs savent comment le chômage et la dispense de recherche d’emploi ont été utilisés volontairement pour les plus âgés comme l’équivalent d’une pré retraite ;
La figure 7 page numérotée 59 donne l’évolution du niveau de vie relatif des individus selon leur âge, donc lla génération la plus favorisée à une période donnée : en 1996, il s’agit de celle comprise entre 50 et 54 ans, et en 2008 celle comprise entre 55 et 59 ans. Le tableau ne remonte pas avant 1996, mais les travaux de Louis Chauvel ont montré qu’en 1979, les plus favorisés étaient la génération de ceux qui avaient 35 ans, et que cet âge a progressé ensuite en faveur des premiers baby boomer, ceux de 1945/1949. La figure donnée ici montre aussi que l’écart entre générations diminue : en 1996, les plus favorisés ont presque 1.25 fois le niveau de vie moyen, alors que ce montant passe à 1.15 en 2008.
Dans le même temps, la situation des trentenaires s’améliore, alors que celle des retraités se dégrade nettement. En 1996, les septuagénaires avaient un niveau de vie supérieur à la moyenne, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Après avoir noté que l’amélioration générale du niveau de vie s’est très nettement affaiblie depuis 30 ans, les auteurs illustrent dans le tableau 9 la réduction massive du nombre de retraités pauvres (c'est-à-dire ayant moins de 60% du revenu moyen). 40% des 75/ 84 ans étaient dans ce cas en 1970, ils sont moins de 15% en 2008 Le tableau 10 montre l’impact de la conjoncture sur ces ratios.
Le dernier chapitre est consacré à l’accès à la propriété du logement, domaine où les inégalités intra générationnelles dominent.
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