A peine la réforme de 2010 concernant l’âge de départ à la retraite commence t-elle à s’appliquer que le ministre en charge du travail Xavier Bertrand nous annonce une augmentation du nombre de trimestres de cotisation pour les générations nées à partir de 1955 qui devront cotiser 166 trimestres pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein.
Le gouvernement a probablement voulu envoyer un message à Bruxelles et aux marchés financiers : la France compte bien prendre les moyens pour que son déficit public revienne rapidement dans la limite des contraintes de Maastricht, c’est à dire 3%. Or, le déficit des caisses de retraite représente une partie non négligeable de ce déficit et surtout une de celles que l’on sait à peu près comment régler, avec des mesures certes impopulaires mais faciles à mettre en œuvre (il «suffit » de les décréter).
La décision est aussi liée à un événement que devait présenter le Conseil d’orientation des retraites (COR) : les gains d’espérance de vie ont été plus rapides que prévus ces dernières années. Le COR s’est intéressé, non pas à la totalité des gains d’espérance de vie à la naissance, mais à l’espérance de vie à 60 ans, celle qui a un impact direct sur le nombre de retraités et donc sur le volume des retraites à verser.
Les débats de 2010 ont été l’occasion pour beaucoup de personnes de découvrir les gains considérables d’espérance de vie que nous connaissons : 3 mois par an, 2.5 ans par décennies, plus de 20 ans depuis la fin de la première guerre mondiale . Parmi ceux qui refusaient la réforme des retraites, il s’en est trouvé pour affirmer que cette progression était terminée et que l’espérance de vie allait se stabiliser voire régresser. J’ai récemment consacré une série d’articles à cette affirmation parfaitement idéologique, c’est à dire ne retenant que les informations allant dans le sens de ce qu’on voulait croire.
Alors que l’on pensait que les gains pouvaient diminuer (par exemple à deux mois par an au lieu de trois), à partir de l’évolution observée entre 1994 et 2003, les dernières données montrent au contraire une certaine accélération, les résultats depuis 2003 venant compenser ceux des années précédentes (et notamment l’impact de la canicule de 2003). Ce constat a justifié le scénario dit optimiste à l’horizon 2050 de la dernière étude prospective de l’INSEE.
Il se traduit aussi pour l’espérance de vie à 60 ans. Entre 2006 et 2010, celle ci est passée de 21.8 à 22.4 ans pour les hommes et de 26.7 à 27.2 ans pour les femmes. Si l’on s’en tient aux seuls hommes, l’espérance de vie à 60 ans est passée de 19.7 ans en 1994 à 20.8 en 2002 (avant la canicule) , soit un gain de 1.1 ans sur une période de 8 ans, et de 20.8 ans en 2002 à 22.4 ans en 2010, soit un gain de 1.6 ans sur une même période de 8 ans.
Tous ceux qui ont suivi sérieusement les travaux de COR ont compris que ne pas reporter l’âge de la retraite et augmenter la durée de cotisations, c’est en réalité faire le choix de baisser le montant des retraites. Il n’y a qu’à voir comment certains prétendaient qu’il était possible voir facile de trouver 3% de PIB pour pouvoir ne pas toucher aux sacro saints 60 ans, en faisant l’impasse sur le fait que ces 3% impliquaient à l’horizon 2050 une baisse relative de 30% du niveau des retraites (la plupart des retraités se trouvant alors sous le niveau de pauvreté).
A contrario, la décision du gouvernement n’est pas seulement le signe d’une volonté de maîtriser les déficits publics : elle est aussi le signe d’une volonté de maintenir le pouvoir d’achat des retraités.
On peut légitimement estimer que dans l’affaire le gouvernement s’est montré fort peu démocratique, prenant sa décision sans consulter ni les syndicats ni l’Assemblée nationale. Car sous des dehors techniques et de respect de la loi, il y a bien une décision politique que l’on peut comprendre en lisant les divers éléments présentés par le COR lors de sa séance plénière du 6 juillet 2011.
Le 22 juin 2011, le président du COR, Raphaël Hadas-Lebel écrit très officiellement à Jean Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE, pour lui demander communication des données sur l’espérance de vie à 60 ans, comme il l’avait fait l’année précédente,mais entre 1998 et 2010 cette fois.
Dès le 28 juin 2011, ce qui prouve que l’administration sait faire diligence quand elle le veut, le directeur général de l'INSEE a aimablement envoyé un courrier avec les données demandées, notant au passage à quelles dates ces données avaient été publiées et le fait qu’elles étaient librement accessibles sur le site de l’Institut, mais on ne sait pas si ces dernières remarques sont purement administratives ou ironiques (je pencherais pour la première solution).
Les données sont moyennées sur 3 ans, pour lisser « les « effets de variations annuelles ».. Elles concernent l’ensemble de la population, hommes et femmes confondues. Il apparaît que l’espérance de vie à 60 ans a progressé de 0.11 ans par année de 1993/1995 à 1998/2000. Entre 1998/2000 et 2006/2010, le gain est presque de 0.2 ans par année.
Le COR a ensuite calculé la durée de cotisation nécessaire pour maintenir comme le veut la loi, le rapport entre la durée d’assurance et la durée de retraite au niveau atteint en 2003, soit 1.79. Cette durée se situe à 40.75 ans (pour un ratio de 1.79) pour la génération née en 1951, à 41 ans pour la génération née en 1952 (ratio de 1.80), à 41.25 ans pour la génération née en 1953 (ratio de 1.81) et celle née en 1954 (ratio de 1.79). Avec une durée maintenue à 41.25 ans, le ratio passerait à 1.78 pour la génération née en 1955, soit en dessous de la cible. Il passe à 1.81 avec une durée augmentée à 41.5 ans.
A voir ces chiffres, on peut estimer que la durée de cotisations pourra être maintenue à 41.5 ans pour la génération née en 1956, mais que si l’espérance de vie continue à croître au même rythme, il n’en sera pas de même pour la génération née en 1957.
Xavier Bertrand a estimé dans une tribune du Monde qu’il n’avait fait qu’appliquer la loi, contrairement à ce que l’éditorial du même journal avait affirmé la veille (prouvant une fois de plus la légèreté du journal dit de référence sur le sujet). On observera simplement que la durée de cotisation a été maintenue à 40 ans pour les générations nées entre 1944 et 1948 comme pour celle de 1943, faisant descendre le fameux ratio jusqu’à 1.74. Il a fallu ensuite augmenter tous les ans d’un trimestre la durée de cotisations pour faire revenir le ratio à son niveau cible. Il s’agit bien d’un choix politique (et oui, en France, appliquer la loi est parfois un choix politique!).
Xavier Bertrand en a profité pour tirer à boulets rouges sur le PS. C’est de bonne guerre, le PS ayant pris sur le sujet une position de refus de regarder le problème. Je n’ai toujours pas compris cette position dont je ne vois pas en quoi elle est de gauche. Elle est surtout parfaitement déraisonnable et démagogique, et il s’agit d’un des principaux reproches (voire le plus important) que je fais à ce parti. Rappelons qu’il ne s’agit pas d’un sujet anecdotique : les retraites représentent un volume financier considérable, 13% du PIB, soit un montant comparable à l’ensemble des recettes du budget de l’Etat !
Les réactions négatives ont fusé de partout après l’annonce de la décision du gouvernement mais le sujet a déjà disparu depuis de la une de Google actualités, même dans les pages France ou économie. Quand on se rappelle les manifestations monstres à propos de la retraite à 62 ans à l’automne dernier, quand on note que cette réforme ne touchait pas ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 23 ans alors que le changement de durée de cotisations les touche directement, cela laisse rêveur sur les mécanismes collectifs (et les compétences des français dans le domaine de l’économie !).
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