C’est la question que pose Jean Pisani-Ferry dans le Monde daté du 7 juin et à laquelle il répond avec son habituelle clarté. Il s’agit bien sûr de la dette des Etats, en ces temps ou plusieurs Etats de la zone euro sont confrontés à une dette qui paraît à certains comme insurmontable.
Rappelons d’abord ce qui se passe dans un pays qui a des dettes, comme d’ailleurs pour un particulier ou une entreprise. Le pays est confronté d’abord à la nécessité de rembourser le capital emprunté, et cela à des dates normalement fixées à l’avance. Il doit également payer des intérêts sur ce qu’il a emprunté.
Mais, contrairement à des particuliers qui dépensent moins qu’ils ne gagnent pour rembourser un emprunt immobilier, les états endettés doivent aussi la plupart du temps faire face à un déficit courant, c’est à dire à un excédent des dépenses sur les recettes. Ils doivent donc emprunter à la fois pour rembourser les emprunts arrivés à échéance et pour financer leur déficit. On notera que la plupart des pays sont dans cette situation.
S’il y a déficit courant, il y a forcément augmentation de la dette en valeur. Mais pas forcément en pourcentage du PIB. Prenons un exemple pratique : si le PIB est de 1000 et la dette de 200, que la croissance en monnaie courante est telle que le PIB passe à 1030 en un an, un déficit inférieur à 6 se traduira par une diminution de la dette en proportion du PIB. Si le taux de croissance est égal aux taux d’intérêt de la dette (théorème de Samuelson), la dette en pourcentage ne change pas si le déficit hors intérêt est nul.
Dans ce cas, les investisseurs susceptibles de prêter de l’argent à l’Etat émetteur ne verront pas de difficultés à le faire. Par contre, si la dette augmente plus vite que le PIB, c’est à dire si le déficit est supérieur aux intérêts versés, les investisseurs peuvent se poser des questions. S’ils se révèlent réticents mais décident malgré tout de souscrire, ils le feront parce que le taux proposé est suffisamment attractif pour compenser leur réticence, c’est à dire s’il comporte une prime de risque.
Historiquement, il existait une prime de risque pour les emprunts français, si on les comparait aux emprunts émis par l’Allemagne, du fait de l’inflation et des dévaluations successives de notre pays. A la suite du plan Delors Mauroy et de la politique de désinflation menée de manière continue depuis, puis au passage à l’euro, la prime de risque payée par la France est devenue extrêmement faible (mais elle n’est toujours pas nulle).
Les autres pays de la zone euro ont bénéficié du même phénomène, ce qui a été une chance pour la Grèce ou pour l’Italie, dont la dette dépassait 100% du PIB. Gagner 1% sur les taux versés, c’est réduire de 1% son déficit courant ! Le phénomène n’est évidemment pas immédiat, puisqu’il ne porte que sur les nouveaux emprunts.
Avec la crise financière, le déficit des Etats a augmenté de manière importante, d’abord de manière mécanique (les recettes fiscales ont diminué), ensuite de manière volontariste, dans une logique keynésienne.
Cette augmentation des déficits pendant plusieurs années a évidemment augmenté notablement la dette. Pour un pays comme l’Allemagne entrée auparavant dans une logique vertueuse de réduction de son déficit, ce n’était pas un problème, pour d’autres pays, comme la Grèce, cette augmentation de la dette a affolé les investisseurs (d’autant plus que les agences de notation sont entre-temps devenues plus sévères) ce qui a fait monter la prime de risque à des niveaux considérables : alors que celle ci se comptait en dixième de pour cent, elle est passé à 4, 8, 10% , et encore, uniquement pour des durées limitées.
Imaginons un instant un pays dont la dette est de 100% du PIB, le déficit de 4% par an, pour des taux se situant à 3%. Un simple calcul montre qu’une partie du déficit courant (3 sur 5) est du au seule remboursement des intérêts.
Si ce pays a une dette sur 5 ans, il devra rembourser 20 % de son PIB tous les ans, ce qu’il ne peut faire que s’il trouve de nouveaux prêteurs (ou en fait les mêmes qui souscrivent de nouveau). Il est donc confronté à la nécessité de trouver en permanence de nouveaux préteurs.
Si en raison de la crise ses recettes diminuent de 2% du PIB, à dépenses constantes, son déficit va passer de 5 à 7%. Mais si les taux d’intérêts qu’il verse se mettent à grimper de 3 à 10%, son déficit est susceptible de grimper à 14%, progressivement, le temps que les emprunts à 10% remplacent ceux à 3%. Le déficit augmentant, la dette se met à augmenter, conduisant à une charge de plus en plus grande de la dette, intérêt comme capital ; la dette fait alors boule de neige.
Si le pays se retrouve avec un endettement de 150% du PIB et des taux à 12%, les intérêts versés représenteront en régime stable 18% de son PIB, ce qui est insupportable. Jean Pisani Ferry estime qu’il n’est pas possible de faire admettre au contribuable une différence de plus de 6% du PIB entre les sommes prélevées par l’impôt et les services rendus par l’Etat. On peut bien sur discuter le chiffre, mais l’idée générale reste bien sur valable.
Pour rétablir ses comptes sans faire faillite (ce qui est une autre solution qu’examine Jean Pisani Ferry), un pays dans la situation de la Grèce doit d’une part pouvoir bénéficier de taux d’intérêts normaux et non usuraires, d’autre part réduire son déficit, et en particulier dégager un bénéfice avant service de la dette, ce qui conduit normalement à baisser celle ci.
L’augmentation des taux d’intérêt s’expliquant par l’existence d’un risque avéré de non remboursement, les prêteurs privés ne sont pas prêts à prêter au taux dont bénéficierait un Etat moins endetté. Seuls des préteurs publics comme le FMI peuvent le faire (dans le cas de la Grèce, les pays de la zone euro ont mis au pot). Pour se faire, ils exigent du pays concerné qu’il réduise son déficit, ce qui explique que le FMI ait une réputation d’affameur, quand il est avant tout un prêteur en dernier recours. L’idée est que le pays passe à un excédent primaire, c’est à dire avant paiement des intérêts de la dette.
On a vu plus haut que la croissance permettait de réduire le poids de la dette exprimée en pourcentage du PIB, même en cas de déficit, si celui ci est limité. A contrario, la récession provoquée ou renforcée par la forte baisse des dépenses publiques augmente mécaniquement la dette ainsi exprimée. Récession, taux d’intérêts élevés et déficit primaire difficilement résorbable se conjuguent pour faire exploser la dette.
Si les prêteurs publics sont les seuls en lice pour aider un pays, ils vont se substituer progressivement aux prêteurs privés comme tenant de la dette. En effet, la dette privée va diminuer progressivement, au fur et à mesure de l’arrivée à échéance des prêts. Pour limiter leurs encours,les banques publiques vont demander aux créanciers privés de maintenir leur part en valeur, soit en souscrivant aux emprunts publics à hauteur de ce qui leur est remboursé, soit en ré échelonnant les créances, ce qui au final revient au même. Les banques publiques n’ont alors qu’à assurer le financement du déficit et non pas en plus celui du renouvellement des créances.
Dans le cas de la Grèce, il y a parmi les créanciers de nombreuses banques européennes, dont les françaises. « Selon la BRI, les banques étrangères détiennent 145 milliards de dollars de créances publiques et privées sur la Grèce, détenues à 93% par des banques européennes ». La BRI estime les produits dérivés à 60 milliards de dollars et cette fois-ci, ce sont les banques américaines les plus exposées (56%). Cela explique aussi le comportement des pays de la zone euro : s’ils ne prêtent pas, ce sont leurs banques qui perdront de l’argent. Les banques françaises pourraient sans doute supporter les pertes de leur créances grecques, mais pas forcément de l’ensemble des créances grecques, portugaises, espagnoles et irlandaises.
Un pays peut décider de faire défaut, c’est à dire de ne pas rembourser ses créanciers. Après tout, ils ont touché une prime de risque, c’est bien pour compenser cette éventualité. Le pays n’aura plus à rechercher les sommes considérables dont il a besoin pour payer ses emprunts échus, et les intérêts. Il est d’usage de refuser cette solution car elle ne permettrait plus de trouver de nouveaux créanciers, ce que conteste Jean Pisani, au vu de l’expérience passée. Trouver de nouveaux créanciers suppose cependant une réduction du déficit et un comportement vertueux : les banques sont prêtes à fournir de l’argent à ceux qui n’en ont pas besoin.
Les pays de la zone euro ne sont guère favorable à cette solution qui risque d’augmenter par contagion les taux d’intérêt qui leur sont consentis, en particulier pour les pays les plus faibles.
Les responsables européens voudraient donc ne pas être les seuls à mettre la main à la poche, en clair, empêcher que les créanciers privés se dégagent à bon compte de leurs créances douteuses sur le dos du contribuable. La méthode la plus radicale consiste à rééchelonner la dette (on rallonge d’un certain nombre d’années les créances) ou à l’échanger de manière obligatoire contre de nouveaux produits). La BCE se refuse à une telle mesure qui est considérée par les agences de notation comme un défaut. La France propose une participation « volontaire » du secteur privé, ce qui semble être la position commune adoptée vendredi 17 juin. Il est vrai qu’après le sauvetage dont elles ont bénéficié il y a 3 ans, les banques européennes(ou au moins françaises) ne peuvent sans doute pas refuser un tel volontariat.
A noter un article particulièrement intéressant sur le sujet de Alexandre Delaigue
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