La chambre sociale de la Cour de cassation devrait trancher le 29 juin la question du décompte en jours du temps de travail des cadres, le forfait en jour ayant été jugé contraire à la Charte sociale européenne par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l'Europe à plusieurs reprises, en raison d'une "durée excessive du travail hebdomadaire autorisé".
La question du dépassement des horaires de travail par les cadres et du paiement des heures supplémentaires est ancienne et avait connu une actualité particulière au milieu des années 90. A l’époque, des syndicats de cadres (généralement la CGC) étaient intervenus auprès de l’inspection du travail pour dénoncer les horaires excessifs des cadres. Il est vrai que la tendance générale était à une augmentation progressive de ces temps de travail, sans contrepartie de rémunération.
Certains contrats de travail de cadres prévoyaient à l’époque que la rémunération du cadre couvrait un forfait d’heures travaillées au delà de l’horaire affiché, selon une logique annuelle. Mais ce supplément était limité (il correspondait le plus souvent à une moyenne de 2 heures par semaine) et tous les contrats de travail ne le prévoyaient pas.
On a donc vu de grandes entreprises contraintes d’obliger leurs salariés à limiter la durée du travail à 39 heures par semaine, le tout avec plus ou moins de conviction et de bonheur.
D’autant plus que les situation s étaient très contrastées puisqu’on trouvait aussi bien des cadres ayant une rémunération très élevée et d’autres qui pouvaient estimer qu’avec une durée de travail à rallonge leur salaire horaire était plus fable que celui d’ETAM, des jeunes cadres qui se trouvaient de fait dans une logique de progression rapide de carrière et qui pouvaient considérer leurs dépassements d’horaires comme un investissement et d’autres dont l’horizon de carrière était très limitée, des cadres dont la durée de travail correspondait à un choix personnel et d’autres qui subissaient la norme de leur entreprise, des cadres libres de leurs moyens pour atteindre des objectifs généraux et d’autres dont le contenu du travail était en fait très normés…
A cette diversité des situations est venue se rajouter une évolution des moyens utilisés qui ont rendu plus difficile le décompte des heures de travail. L’ordinateur portable et Internet, le téléphone portable, conduisent à travailler en dehors des heures de présence dans l’entreprise. Si on ajoute le fait pour certains d’avoir un temps de réflexion indépendant du lieu où ils se trouvent ou d’être souvent en déplacement, il y avait tous les ingrédients pour que le patronat plaide pour un système de décompte indépendant des horaires.
Sur ces entrefaites arrivent les 35 heures et les lois Aubry I et II. Celles ci, s’appuyant sur les décisions prises par les entreprises pilotes décident d’accorder la réduction du temps de travail sous forme de jour et dans la foulée identifient trois types de cadres : les cadres dirigeants, rémunérés pour atteindre des objectifs et non pour respecter une durée du travail, les cadres en forfait jour et les cadres en forfait horaire.
Les cadres ont généralement souhaité une diminution du nombre de jours travaillés, considérant que c’était la seule manière de s’assurer que la baisse du temps de travail soit réelle.
La réduction du temps de travail accordée est plus faible que les 10.2% résultant du passage de 39 à 35 heures puisqu’elle est au minimum de 10 jours sur 227, soit 4,4% (certains privilégiés obtiendront cependant 22 jours). Le passage en forfait jour peut très bien se traduire par une augmentation des horaires journaliers, pour faire face à une charge de travail qui dans beaucoup de cas n’a pas changé. Le risque est de compenser les jours de repos gagnés par un surcroît d’horaire hebdomadaire qu’on peut théoriquement chiffrer à un peu moins de deux heures.
Le choix fait par le ministre du travail prouve que celui ci ne recherche pas une augmentation de l’emploi cadre (puisque tel est l’objectif affiché pour le passage aux 35 heures). Il montre aussi que le ministère ne souhaite pas réduire les dérives horaires de certaines entreprises. La solution en jour a pour mérite de contourner les problèmes complexes de mesure du temps de travail.
En instituant le forfait jour pour les cadres, la loi Aubry a fait sauter aussi les verrous mis à une durée excessive du travail, que ce soit de manière journalière ou de manière hebdomadaire. Seul subsiste la contrainte européenne d’un repos de 11 heures entre deux journées de travail, contrainte qui a fait dire que la durée maximale journalière était de 13 heures( ce qui est un raccourci).
Il est vrai qu’une partie des cadres ne tenaient aucun compte de ces limites, en particulier celle des 48 heures par semaine ou celle des 42 ou 44 heures en moyenne sur 12 semaines. Si leur durée de travail n’atteignait que rarement les 70 heures que certains annoncent en prenant en compte des temps qui ne sont pas de travail, il n’était pas rare de voir un cadre travailler 10 heures par jour, soit 50 heures par semaine.
Les choses n’ont pas changé avec le forfait jour évidemment, mais il est difficile d’estimer si elles se sont aggravé. J’imagine en fait que c’est en moyenne sans réel changement ;
Bien sur on observe des excès
Le premier concerne la durée du travail. Dans certaines entreprises, notamment dans la conseil, il semble normal d’envoyer des mails ou des messages SMS le samedi, le dimanche ou à 11heures du soir et de s’étonner si le destinataire ne les lit pas immédiatement. Cette conception particulièrement extensive et envahissante du temps de travail s’accompagne parfois de véritables harcèlements.
Le deuxième type concerne la rémunération. Dans certains cas, le cadre situé juste au dessus de la catégorie ETAM va se retrouver à travailler 20 ou 25% de plus que les personnes situées dans la classification juste en dessous, pour un salaire supérieur seulement de 5 à 10%.
Cela peut correspondre à un choix. J’ai ainsi vu en 2000 un accord dans l’assurance qui prévoyait que les agents de catégorie 6et 7 pouvaient choisir le forfait horaire ou le forfait cadre. Les jeunes diplômés qui visaient une évolution de carrière avaient bein compris que la deuxième solution était pour eux alors que des cadres anciens et montés du rang prenaient le premier choix.
Le forfait jour a depuis 2000 été jugé contraire à la Charte sociale européenne par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l'Europe à plusieurs reprises, en raison d'une "durée excessive du travail hebdomadaire autorisé".
La Cour de Cassation française a aujourd’hui l’occasion de donner son interprétation sur le sujet, suite à la demande de paiement d’heures supplémentaires par un cadre (probablement licencié, c’est une situation qui n’est pas rare), lequel a perdu en prud’hommes et en appel.
La Cour pourrait remettre en cause le forfait jour, ce qui serait une révolution et un risque financier majeur pour les entreprises. Elle pourrait aussi approuver les jugements précédents, pour des raisons indépendantes de ce qu’est le forfait cadre. Il semble qu’elle ne devrait pas laisser passer l’occasion de donner son avais sur la question. Suivre le CEDS ne consisterait pas forcément à supprimer le forfait en jour mais plus probablement à l’encadrer, ce qui pose cependant des problèmes très pratiques. Mais on peut ici faire confiance à l’imagination des juges !
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