Dans une démocratie, les pouvoirs publics sont ils légitimes à décider contre l’avis de la majorité de l’opinion publique, que ce soit pour signer un traité européen, réformer les retraites, aider les banques ou installer des radars ? Y a-t-il d’autres légitimités que l’élection démocratique pour agir ?
La question ci dessus suppose qu’il existe une opinion publique, ou plus exactement que tous les citoyens ont une opinion sur le sujet, ce qui est loin d’être le cas. D’abord parce que le sujet évoqué peut ne concerner qu’une partie de la population, ensuite parce que les citoyens n’ont pas une opinion sur tout, même sur des sujets qui les concerne un peu (voire beaucoup, sans qu’ils le sachent forcément).
En réalité, sur un sujet donné, il y a souvent des petites minorités qui jugent le sujet important (parce qu’elles sont concernées fortement ou non) et ont un avis souvent bien affirmé. Ces gens là sont potentiellement prêts à aller à une manifestation, signer une pétition ou écrire à leur député. Il y a ensuite un nombre souvent plus important de gens qui ont un avis sur le sujet, mais qui n’y accordent guère d’importance. Et enfin, il y a des gens qui ne se sont jamais posé la question, mais qui pourront le cas échéant donner une réponse à un sondage d’opinion. Quand on demandera à ces derniers s’ils souhaitent que Machin joue un rôle important dans l’avenir, ils donneront une réponse même s’ils savent à peine qui est Machin. Evidemment, leur opinion peut changer assez facilement…
A cette dissymétrie dans les opinions, peut correspondre une dissymétrie dans les impacts des décisions des pouvoirs publics, avec par exemple des mesures qui font perdre ou gagner beaucoup à un petit nombre de personnes et gagner ou perdre un peu à beaucoup de monde. Par exemple, si on supprime le quota pour le nombre de taxis parisiens parce qu’une étude a démontré que cela ferait baisser le prix de la course et augmenter la possibilité de trouver un taxi, les nombreux utilisateurs sont un peu gagnants, et les quelques chauffeurs de taxi qui ont payé cher une licence sont fortement perdants. Les décideurs devront donc négocier avec les chauffeurs une solution de sortie, sans pourtant que les gagnants (les utilisateurs) soient présents à la négociation.
Comme on le voit, il n’y a souvent pas de réponse simple à la question posée et dans une démocratie, le décideur est amené à rechercher des solutions suffisamment élaborées pour faire passer ses projets.
Mais après tout, est il légitime qu’il ait des projets ? Ou doit il se contenter d’être le pur reflet de l’opinion des électeurs ? Faut il aller vers une démocratie directe comme on le voit en Suisse, où on fait des référendums pour faire trancher le peuple ?
Christian Blanc(mes lecteurs habituels savent tout le bien que je pense de lui) prônait le référendum comme moyen de légitimer une politique. Mais dans son esprit, il ne s’agissait pas de faire gagner à 52 ou 53%. Avec le Nouvelle Calédonie ou Air France, c’est avec des scores de 80% qu’il a pu asseoir durablement une politique qui reposait sur un large consensus et que des opposants très minoritaires mais disposants de capacités de blocages importantes (certains syndicats à Air France et certains courants nationalistes en Nouvelle Calédonie) ne pouvaient ainsi plus empêcher
Et puisque l’on parle de référendum, après la victoire du « non » au référendum constitutionnel, c’est bien une nouvelle légitimité électorale qui a permis à Nicolas Sarkozy de signer un traité guère différent de celui qui avait été refusé. D’abord parce que les partisans du Non étaient en fait incapables de se mettre d’accord sur une alternative. Ensuite parce qu’à la présidentielle, les 4 candidats qui avaient voté « oui » ont obtenu plus de 77% des suffrages et les 12 partisans du « non » moins de 23%, écart encore accentué lors des législatives suivantes.
La légitimité électorale ne peut cependant être la réponse à tout. D’abord parce que les électeurs ne peuvent indiquer les points qu’ils approuvent et ceux qu’ils désapprouvent, ensuite parce qu’il apparaît forcément des événements nouveaux, imprévus au moment de l’élection, comme la crise financière ou les révolutions arabes !
Il y a bien longtemps, j’avais fait le constat suivant : les gaullistes invoquaient l’intérêt de la France comme devant transcender les intérêts particuliers, l’UDF avait une logique technocratique de l’intérêt général (VGE avait fait don à la France du meilleur économiste de France, avant que Mitterrand lui donne le plus jeune premier ministre), les communistes défendaient les classes populaires contre les autres et le PS plaidait pour des solutions de compromis et de négociation. Je ne retrouve plus vraiment ces distinctions dans les discours et le grenelle de l’environnement de Jean Louis Borloo est un exemple typique de construction d’un compromis acceptable.
A suivre
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