La rupture du contrat de travail peut se passer de manière très violente. L’affaire d’espionnage chez Renault nous donne l’occasion, à travers la vidéo d’un entretien de mise à pied conservatoire, d’observer comment cette violence se manifeste. Faut il y voir la marque du néo libéralisme, comme Arrêts sur Image le fait, ou un énième exemple du caractère humain de la violence, comme le fait Authueil ?
La discussion chez Authueil, pour intéressante qu’elle soit, se limite à un affrontement de convictions, entre ceux qui affirment avec Samuel que c’est dans la nature de l’homme et ceux qui refusent cet a priori et accusent la société en général et le néolibéralisme en particulier d’être à la source de ces comportements.
J’ai dans d’autres articles exprimé pourquoi je récuse le discours de Jean Jacques Rousseau et le considère comme justifiant la dictature du collectif contre l’individu, préparant les crimes de la Terreur et des démocraties populaires.
Je me propose d’analyser ici ce qui peut se passer dans une procédure de licenciement, ce qui s’est passé chez Renault, et comment le système de l’entreprise peut accroître ou favoriser la tentation de la violence chez l’homme.
La procédure de licenciement est encadrée par le code du travail. Si la direction estime qu’un salarié a commis une faute importante, elle doit convoquer celui-ci pour entretien préalable et préciser la sanction possible, ici le licenciement. La convocation se fait par lettre recommandée ou est remise en mains propres. Elle précise que le salarié peut se faire accompagner par tout membre du personnel de l’entreprise (en général, il est fait appel à un délégué du personnel car c’est un salarié protégé).
Lors de l’entretien, le représentant de la direction explique les motifs de la sanction envisagée et écoute les explications du salarié. L’accompagnateur a d’abord pour rôle de garantir que la procédure est respectée, mais il est aussi potentiellement conseil du salarié et aussi chercher à jouer les avocats ou les médiateurs. La sanction ne peut intervenir qu’ensuite, dans un délai compris entre 24 h et 1 mois.
Si les faits sont d’une particulière gravité et rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, l’employeur peut prendre à son encontre une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat (« mise à pied conservatoire »), en attendant le déroulement de la procédure ci-dessus
C’est ce qui c’est passé ici. Le directeur juridique qui a signifié cette mise à pied conservatoire ne pouvait donner le détail des faits puisque c’était l’objet de l’entretien préalable. Le lui reprocher comme le fait de fait ASI, c’est se méprendre sur le contexte de l’entretien.
On peut aussi se demander quelle aurait été la réaction des internautes si la vidéo avait été publiée à la mi janvier, au moment où les médias affirmaient que les salariés concernés étaient coupables d’espionnage. Il est probable que beaucoup auraient trouvé que les dirigeants étaient trop gentils avec les salariés accusés, sur la forme (la relation de tutoiement) comme sur le fond (la proposition de démission)
La rencontre entre le salarié est le directeur a normalement pour seul objet de mettre en palace la mesure de mise à pied conservatoire. Elle pourrait être l’occasion de remettre la convocation à l’entretien préalable mais il semble que celle-ci a été envoyée par courrier recommandée : le directeur juridique se contente de la signaler.
Le directeur juridique aurait normalement du s’en tenir là, mais il va essayer de faire avouer le salarié, en lui proposant dans ce cas de laisser tomber le pénal contre une démission.
On ne peut comprendre cette attitude si on se met pas un instant à la place du directeur. Celui-ci est d’une part convaincu que le salarié est coupable et d’autre part il ne dispose pas vraiment de preuves pour cela ;
La logique dans ce cas là serait d’attendre pour lancer la procédure. La direction de Renault a plusieurs raisons de se précipiter. La plus ancienne, mais qui ne joue probablement ici, consiste à vouloir arrêter les fuites. La deuxième est que l’affaire est sur la place publique est que des rumeurs commencent à circuler sur qui sont les personnes concernées. La troisième, (peut être la plus importante ?) est le délai que donne la loi, deux mois maximum entre le moment où la faute est connue et le moment où est signifiée la sanction.
Dans cette situation, le directeur juridique va chercher à remplacer la preuve par un aveu, qui permettra à Renault d’éviter d’étaler ses turpitudes dans la presse. Si le salarié est coupable, une démission est meilleure qu’un procès, parce qu’elle lui donne une chance de rebondir ailleurs, en espérant trouver un employeur qui ne fera pas le lien avec ce qui aura circulé dans les journaux.
Le salarié innocent peut lui compter sur la procédure des prud’hommes pour rétablir ses droits.
Est-ce la logique néo libérale qui pousse la direction à agir ainsi Elle cherche à préserver les intérêts de l’entreprise. Mais est ce une logique libérale ou la logique de n’importe quelle institution ?
On peut aussi voir tout autre chose. Mais pour cela, il faut admettre qu’il existe un attachement particulier des cadres, y compris dirigeants, à leur entreprise. Renault n’est pas une simple entreprise. Elle a été pendant longtemps le fleuron de l’entreprise sociale, celle qui a été la première a accorder la troisième puis la quatrième semaine de congés payés, celle qui était une régie publique jusqu'à sa transformation en société anonyme en 1990 et son passage effectif dans le privé en 1996.
L’accusé le plus gradé, Michel Balthazard, est membre du comité de direction. Il est dans l’entreprise depuis 1980 ! Matthieu Tannenbaum, celui qui est interrogé dans la vidéo de l’Express est entré chez Renault à 19 ans, en contrat d’alternance. Il a depuis réintégré le groupe.
Christian Husson, directeur juridique, a commencé sa carrière en 1975 dans la filiale de crédit de Renault et a fait toute sa carrière dans le groupe. Jean Yves Coudriou, le responsable des cadres qui représente la direction dans l’entretien de licenciement est depuis plus de 30 ans dans le groupe. Laurence Dors, a par contre fait un parcours classique d’énarque avec une présence dans les cabinets ministériels, puis un passage dans le groupe Lagardère et chez EADS avant de rejoindre Renault en 2010. Patrick Pelata, polytechnicien, est entré chez Renault en 1984, après avoir fait de la recherche et milité au parti communiste.
On le voit, on est loin de l’idéologie à la mode dans certaines écoles de commerce, où il faut changer d’entreprise tous les deux ans pour faire monter sa rémunération, où le cadre de la société libérale est avant tout un mercenaire qui donne la priorité à sa rémunération ;
Mais quand l’attachement à l’entreprise est fort, on peut sur réagir quand on l’estime trahie par d’autres cadres et avoir un jugement moral négatif sur eux. La réaction des dirigeants en cause ici, relève certainement plus d’une logique morale (malheureusement pour eux sur un mauvais dossier) que d’une logique financière. Authueil a raison d’évoquer Anna Arendt et un de ses commentateurs l’expérience de Milgram.
On peut trouver que la procédure est en soi violente. Attendre un entretien pour savoir ce qui vous est reproché peut être extrêmement déstabilisant. S’il y a une mise à pied conservatoire encore plus. Mais c’est le droit, et au final c’est la solution qui a été trouvée au fil des décennies la meilleure pour préserver l’intérêt des uns et des autres.
Ceux qui estiment que le licenciement ne devrait pas être possible devrons comprendre qu’il existe des cas où le comportement d’un salarié est inexcusable, que la faute grave cela existe !
La procédure de sanction ou de licenciement est là pour qu’une solution soit trouvée à une situation conflictuelle. Que ceux qui estiment qu’elle est violente aille assister à des séances au tribunal et ils verront que c’est également plutôt violent !
Il y a pourtant des cas où la logique libérale ressort.
La procédure de sanction suppose la recherche préalable d’une solution apaisée. Les sanctions autres que le licenciement ont pour objet de sanctionner des comportements inadaptés avec comme objectif de revenir à des modes de fonctionnement plus normaux. L’entretien préalable repose sur l’idée que l’explication des faits peut amener chaque partie à corriger son point de vue, et il arrive que ce soit ainsi que cela se passe.
Bien sur, si cet entretien aboutit à confirmer les faits qui l’ont justifié, il est possible que la moins mauvaise solution soit la rupture.
Mais la direction peut être tentée de procéder à des licenciements injustifiés, parce que la personne ne plait plus par exemple. Et l’on voit des situations où le dossier est vide ou quasiment, et où la direction licencie malgré tout, en prenant sciemment le risque d’être condamnée aux prud’hommes. S’il y avait une logique libérale à voir, elle est là : la position économique du dirigeant lui permet un comportement anormal, la conséquence financière étant considérée comme sans importance.
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