Alors que l’inflation repart, la question de la rémunération revient au cœur de l’actualité, par les propositions gouvernementales (les 1000 euros dans les entreprises qui distribuent des dividendes) ou par les conflits salariaux dans telle ou telle entreprise. Le thème du pouvoir d’achat reprend de l’importance dans les soucis des français, alors que le chômage, à défaut de diminuer fortement, a clairement cessé d’augmenter.
Les revendications salariales sont un classique de sortie de crise, et à cet égard, leur recrudescence est un signe positif pour l’économie, puisqu’il signifie que celle ci est en train de repartir, même si la pérennité de l’accélération en cours est loin d’être assurée.
Le président de la République s’était fait élire notamment sur le thème du pouvoir d’achat. Les mesures votées avec la loi TEPA, discutables en soi, se sont trouvées en porte à faux avec la crise financière. Les salariés les moins payés ont été pénalisés par la stagnation du SMIC en valeur réelle (absence de coup de pouce depuis 2007) alors que les heures supplémentaires sensées compenser cette situation n’étaient pas au rendez vous. Les jeunes des classes moyennes potentiellement acheteurs de logement ont attendus des jours meilleurs. Et les plus aisés, pas tous protégés par le bouclier fiscal, ont vu la valeur de leur patrimoine mobilier durement affecté par la chute de la Bourse.
Au delà de ces réalités récentes, l’analyse de l’évolution du pouvoir d’achat depuis 30 ans éclaire le sujet.
En 30 ans, le PIB du pays a progressé d’environ 50%. Ramené au niveau individuel, le progrès est un peu plus faible, puisque la population a augmenté d’environ 300 000 habitants par an. Le début des années 80 a aussi vu la répartition entre capital et travail revenir au niveau connu avant le premier choc pétrolier, aux dépens du travail. Depuis 25 ans, les gains par habitant se limitent en moyenne à 1% par an, un niveau beaucoup plus faible que pendant les trente glorieuses.
La moitié environ de ces gains a été consacrée à la protection sociale, c’est à dire qu’elle a permis de financer des dépenses de santé qui augmentent plus vite que le PIB malgré la baisse des remboursements, ainsi que de payer les pensions de retraités de plus en plus nombreux (là aussi, la baisse des pensions est loin de compenser l’augmentation du nombre de pensionnés). Il est vrai qu’augmenter la durée de vie de 3 mois par an (c’est à dire de 1% tous les trois ans à peu près) doit forcément être financé d’une manière ou d’une autre !
Le reste des gains a pu être mis à la disposition des ménages qui les ont notamment affectés d’une part au logement, d’autre part à des services de communication (téléphone, télévision, ordinateur…) en pleine expansion, et qui ont pris une place importante dans leur vie.
On peut se demander s’il est raisonnable d’augmenter sa durée de vie pour la passer devant sa télé ou son ordinateur, mais ce n’est pas le sujet ici !
En trente ans, comme je l’ai montré ici, la taille des logements par habitants a nettement augmenté, et le manque de confort est devenu une situation marginale. On a aussi consacré une partie des gains a installer une deuxième salle d’eau, qui permet une meilleure hygiène corporelle, et donc une plus grande durée de vie consacrée à se laver ou à regarder la télévision ou les SMS envoyés par les amis (c’est pour vérifier que le lecteur suit).
Tout ce qui précède est bien sûr général, et ne prend pas en compte la répartition du pouvoir d’achat global. Le Monde du 16 avril attire l’attention sur l’augmentations des inégalités, tout en citant sur le sujet les seuls chiffres américains ! Cela permet de faire peur, pas d’évaluer la situation
On l’a déjà dit ici : c’est au niveau du premier centile que l’on voit une évolution des salaires plus rapide pour les hauts salaires que pour la moyenne, quand les plus bas revenus s’en sont sortis grâce à l’évolution des minima sociaux, aux dépens des déciles intermédiaires. Le rapport inter décile est stable depuis 30 ans, après avoir fortement baissé pendant les trente glorieuses.
Mais si l’augmentation des plus hauts revenus, parce qu’elle est limitée à une portion faible des ménages, n’a finalement que peu d’impact sur ce qui reste pour les autres, elle participe évidemment au sentiment d’un augmentation des inégalités, au moment où justement les temps sont difficiles.
Il en est de même de l’évolution des profits, de la Bourse ou du versement de dividendes. Contrairement à ce qui s’est passé dans les deux dernières décennies du vingtième siècle, la progression du patrimoine ou du revenu des actionnaires n’est guère différente en moyenne de celle des salariés. Mais elle passe par des mouvements très aléatoires, avec des baisses brutales puis des fortes hausse. Si la valeur d’une action est divisée par deux puis gagne 40% deux années de suite, elle revient à son niveau initial. Mais l’observateur non spécialiste retient qu’elle a augmenté de 40% cette année et en conclue que les actionnaires s’en mettent plein les poches.
A tout cela s’ajoute que la faible progression du pouvoir d’achat depuis 25 ans s’est faite alors que le niveau de fin de formation initiale augmentait fortement. Cela signifie qu’à diplôme égal, on ne gagne guère plus (et peut être même moins) aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Comment ne pas en être insatisfait ?
Au delà des mouvement sur les rémunérations qu’on pourra observer ces prochains mois ou années, le sentiment de ne pas s’y retrouver dans ce domaine ne peut disparaître ou au moins s’atténuer que si les tendances observées actuellement sont inversées. Les récentes lois sur les retraites montrent une volonté que l’amélioration de la durée de vie ne se fasse pas au détriment du pouvoir d’achat. Restent la question des hauts revenus (plus pour des raisons de sentiment d’injustice que d’impact réel sur les revenus de chacun) et celle du taux de croissance…
Mais ces questions assez techniques sont sans doute moins électoralement payantes que des agitations autour d’une éventuelle prime de 1000 euros. Cette dernière idée est pourtant un sacré boomerang pour le pouvoir, car elle conforte l’opinion dans l’idée que c’est le gouvernement qui au final décide du montant des salaires, comme au bon vieux temps où l’on manifestait en criant « Pompidou, des sous ! »
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