Alexandre Delaigue nous régale d’une attaque en règle contre un documentaire paru sur ARTE, lequel s’insurgeait contre le fait que les industriels concevraient leurs produit pour nous obliger à les renouveler rapidement, documentaire qui semble ignorer le fonctionnement réel des entreprises
J’ai déjà parlé de cet article sur econoclaste ici, mais ceux qui ne se sont pas précipités pour lire l’article peuvent le faire maintenant !
La thèse du documentaire était assez simple : les entreprises se sont organisées pour nous faire consommer le plus possible, et l’un des moyens pour le faire est de concevoir les produits de manière à ce qu’ils tombent rapidement en panne et qu’on soit obligé d’en racheter.
Alexandre Delaigue qui a pris le temps de le regarder, le démonte point par point. Je n’ai vérifié qu’un seul de ses commentaires, celui notant que le documentaire insiste sur le fait que Bernard London, qui a proposé dans les années 30 que l’État organise le rachat obligatoire des vieux objets était juif. Effectivement, l’enquête sur le personnage n’apporte strictement rien à la thèse du documentaire, mais elle permet d’insister largement sur le fait qu’il s’agit d’un juif.
Précisons pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : contrairement à beaucoup de ceux qui s’insurgent contre les diktats du marketing et de la publicité, je ne suis pas un consommateur compulsif. J’ai gardé une dizaine d’années mon premier téléphone portable (payé par mon employeur) et celui que je possède actuellement a bien quatre ou cinq ans.
J’ai vu, quand je travaillais à la mine, des machines d’extraction (qui remontaient du fond produits matériels ou hommes) ayant une bonne centaine d’années et rendant fidèlement les services qu’on attendait d’elles. Il reste de notre passé des ouvrages réalisés par l’homme et ayant franchi les décennies, les siècles (les châteaux par exemple) ou les millénaires (les pyramides). Mais il y a aussi beaucoup d’ouvrages qui ont disparu !
Pendant mes études, on m’a enseigné comment calculer le diamètre d’une barre de fer pour résister au poids qu’elle devrait supporter. Après avoir calculé l’effort maximal à supporter, on prenait un coefficient de sécurité d’environ 2 ou 3. Dit autrement, un pont qui doit supporter au maximum 35 tonnes est calculé pour résister à 70 ou 100 tonnes, ce qui bien sûr contribue à augmenter sa durée de vie
Mon beau père, grand bricoleur dans l’âme, conservait les pièces des appareils morts, et prétendaient que cela pouvait lui permettre de réparer d’autres appareils, ce qui lui est effectivement arrivé deux ou trois fois. Mais à force de tout garder, lors de son départ en retraite, il a encombré son camion de déménagement avec tout un tas de morceaux de ferraille rouillés, au point de devoir louer une camionnette en plus et plus tard, ses héritiers ont du faire des dizaines de voyages à la décharge pour nettoyer sa maison.
Il avait fabriqué pour sa fille, avec des tubes de fer récupérés, un théâtre de marionnettes démontable et bâti pour durer au moins 50 ans, mais tellement lourd qu’il devenait difficile à charger dans le véhicule.
On voit là une des raisons de la diminution de l’espérance de vie de certains produits : la recherche de la légèreté. Certes un vélo de 25 kg est certainement plus solide et durable qu’un vélo de 10 kg fait du même matériau, mais pour grimper les cotes, le second est plus pratique !
D’ailleurs, j’ai vu arriver la mode des vélos hollandais réputés pour leur solidité, et évidemment plus lourds. Les Hollandais ne seraient ils pas touchés par l’obsolescence programmée ? La raison est évidemment ailleurs : la Hollande est un pays très plat, et tous ceux qui ont fait un peu de vélo savent que ce n’est pas vraiment le cas général de notre pays
Comme le fait remarquer Alexandre, concevoir un produit conduit à faire des compromis entre différentes contraintes. La solidité en est une au même titre que le poids ou le coût.
A la fin des années 70, on a vu beaucoup de voitures françaises rouiller prématurément, et la Régie Renault a du réagir contre ce qui devenait un risque industriel. La faute en était en partie à des problèmes de peinture (et d’utilisation du sel sur les routes) ; mais les constructeurs français avaient aussi cherché à se démarquer de leurs concurrents en affichant des consommations d’essence basses (l’essence étant fortement taxée chez nous). Pour une basse consommation, le poids est l’ennemi.
Depuis, les voitures se sont beaucoup alourdies, à cause des contraintes de sécurité imposées par l’État. l’impact négatif sur la consommation a été compensé par l’amélioration des moteurs, mais l’enjeu de poids sur les pièces hors carrosserie est devenu mineur (pas l’enjeu de volume par contre). Cela a probablement contribué à la fiabilisation des véhicules (surtout sous la pression de la concurrence) : l’âge moyen du parc en France est passé de 5,8 / 6 ans dans les années 90 à plus de 8 ans en 2008.
L’entreprise FACOM, créée par un ingénieur français, a notamment fait sa réputation en garantissant à vie certains de ses produits, notamment sa gamme de petit outillage. Ceux qui ont utilisé une clé Facom ont aussi compris que solidité peut rimer avec poids !
Au-delà de la thèse complotiste des auteurs du documentaire d’ARTE, genre qui m’énervera sans doute toujours, on peut observer une tendance à la diminution de durée de vie de certains produits.
On en a un exemple classique dans la durée de vie des supports d’information : la pierre sur laquelle un graveur vient écrire que tel pharaon a gagné la bataille, était vraiment très très durable. Le rouleau de papyrus pouvait se conserver très longtemps, et il en était de même pour le parchemin. On a fait ensuite des livres sur papier, inventé des moyens de conserver les sons et les bruits. Aujourd’hui, j’utilise le disque dur de mon ordinateur voire une petite clé USB pour conserver mes informations, et leur durée de vie ne doit pas dépasser 10 ans.
Ceci dit, si je devais graver sur des pierres ce qui est sur mon disque dur, il me faudrait une kyrielle de graveurs à temps plein pendant une longue période. Et les pierres nécessaires ne tiendraient peut être pas dans la ville de Paris….
On a effectivement échangé de la durée de vie raccourcie des produits contre d’autres caractéristiques ma foi bien utiles !
La logique de concurrence pousse les entreprises à l’innovation et celle ci à l’obsolescence assez rapide des produits. Dans certains cas, en particulier dans les technologies les plus récentes, le renouvellement est tel que le consommateur ne trouve plus de pièces de consommation ou de rechange pour son produit. Allez acheter des disques en vinyle neufs ou un nouveau tourne disque pour écouter vos disques en vinyle ! L’évolution des normes vous oblige à racheter aujourd’hui des CD des Beatles alors que vous les aviez tous en vinyle.
S’il se trouve des gens qui préféreraient garder leur ancien système démodé(et j’ai tendance à en faire partie), il faut reconnaître que la plupart se ruent sur les nouveaux produits. Il semble que le documentaire souligne que l’ex RDA produisait des biens solides et durables mais que les habitants se sont précipité sur les biens occidentaux à la chute du mur. Peut être les frigos est allemands étaient ils plus durables que les ouest allemands, mais les consommateurs ont jugé que les autres avantages des appareils occidentaux l’emportaient largement sur cet inconvénient. De la même manière, il leur a semblé que les Mercedes, disponibles rapidement étaient préférables aux Trabant qu’il fallait en plus réserver des années à l’avance.
Contrairement à ce que semblent croire certains, ce n’est pas parce qu’elles forcent les clients à acheter ce qu’ils ne veulent pas que les stratégies marketing fonctionnent : c’est parce qu’elles savent identifier leurs critères de choix.
Et puisqu’on parle de gaspillage, prenons un exemple où le consommateur choisit : la douche. Il y a quelques siècles, on se baignait une fois par an. Aujourd’hui la douche quotidienne (et bi quotidienne pour certains) est devenu la norme. La première raison de ce choix, ce n’est pas une obsolescence programmée dont je me demande où elle pourrait se cacher, c’est qu’on peut se le payer ! Cette raison passe avant les arguments d’hygiène ou de confort. D’ailleurs le pédiatre de ma fille lui a conseillé de ne donner de bain à son fils qu’une fois tous les deux jours…
Tous ceux qui ont fréquenté des déchetteries ont pu constater qu’on y jetait parfois des produits encore en très bon état, et que ceux qui les jetaient n’avaient pas attendu la date soit disant programmée de leur obsolescence. Et on peut se demander si le recyclage de produits déjà usagés par e-bay ne fait pas plus pour réduire la consommation de matières premières que tous les reportages d’ARTE.
Ceci dit, l’évolution de la composition de l’emploi montre que la croissance ne se fait plus guère par la consommation de plus en plus de biens, mais par une augmentation de la consommation de services. Ceux ci peuvent dans certains cas être très consommateurs de matériel et d’énergie (les transports par exemple) ou en consommer très peu. Qui dit croissance ne signifie pas forcément augmentation de la consommation de ressources physiques : comme le fait remarquer Alexandre, c’est d’abord le travail qui coûte de plus en plus cher !
Il y a toutes raisons de penser que l’économie de marché a les ressorts internes pour s’adapter aux évolutions des ressources disponibles. L’augmentation du prix du pétrole a réussi ce que tous les discours écologiques n’avaient pu obtenir : l’orientation du consommateur américain vers des automobiles moins voraces en énergie. Et il n’y a pas eu besoin de taxe carbone pour cela.
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