Jeudi soir, un passant m’a pris à témoin du laxisme des juges et de leurs mépris pour ceux qui ne sont pas de leur caste. C’était au kiosque à journaux et il ne voulait pas vraiment discuter, simplement que je sois d’accord avec lui ; il est donc parti rapidement.
« Sous prétexte qu’ils ont fait des études », avait ajouté mon apostropheur, un homme sans doute de plus de 60 ans, et juste après, je lisais le titre du Monde en Une, « magistrats, enseignants, la fronde de la France des classes moyennes ». Manifestement, ce passant ne rangeait pas les juges dans la classe moyenne. Mais on sait que le Monde a une conception très particulière de ce concept !
Laxistes, les juges ? Ce n’est pas ce qui m’a frappé en lisant ce très beau texte de Dadouche. Mais c’est une opinion ancrée dans une partie de la population, minoritaire j’espère, mais je n’en suis pas sûr.
Il est vrai que les juges ne répondent pas à la demande de cette partie de la population, qui voudrait que l’on repère les individus dangereux et qu’on les enferme.
Les juges prennent des sanctions dans le cadre strict de ce que prévoit la loi !
Quand ils jugent un criminel, ils prennent une sanction correspondant au crime accompli. Par exemple, si la peine prévue est comprise entre 1 et 5 ans de prison, on ne voit pas bien pourquoi un juge ne donnerait pas parfois un an et parfois 5 ans de prison ! Jean Michel Bissonnet vient d’être condamné à 30 ans de prison pour avoir commandité l’assassinat de sa femme. Est ce laxiste ? Le procureur avait demandé la perpétuité…
A lire les discussions, par exemple chez Eolas, on a d’un coté des gens qui pensent qu’un criminel (notion à géométrie variable chez eux) est irrécupérable et qu’il faut donc l’enfermer le plus longtemps possible pour protéger la société. Et de l’autre coté, ceux qui pensent que la prison constitue une sanction méritée pour un crime et délit et que la sanction subie, il y a la possibilité pour les personnes concernées de prendre un nouveau départ dans la vie, sans retomber dans leurs errements antérieurs.
En refusant de croire à la possibilité de cette évolution, en étant prêts à enfermer beaucoup d’individus pour se protéger des quelques uns de dangereux qui se trouvent parmi eux, ceux qui se présentent comme étant du coté des victimes veulent nous faire croire (et peut être surtout se faire croire ? ) que dans une logique comparable à celle développée par un Georges Bush, il y a les bons d’un coté et les mauvais d’un autre.
Il est étonnant à cet égard d’observer que chez certains le discours victimaire se double d’un rejet de la politique de répression des excès de vitesse, comme s’il y avait une bonne et une mauvaise répression. Aussi étonnant est il de voir le défenseur de la famille biologique de la dernière victime se plaindre du manque d’efficacité de la justice. On ne peut s’empêcher de se demander pourquoi cette jeune fille avait été placée dans une famille d’accueil.
Et bien sûr, mais ce n’est pas le moindre des paradoxes, le même président qui s’offusque de possibles fautes au sein de la magistrature, ne voit pas malice dans les voyages aéroportés de ses ministres.
La sévérité est elle plus efficace en matière de justice que la compréhension ? Il y a mille exemples pour montrer qu’en la matière, la question n’est pas de choisir entre carotte ou bâton, mais de trouver le bon équilibre des deux. Et comme le bon sens nous dit qu’il est peu probable que l’équilibre efficace soit le même pour tous les individus, on comprend que la loi confie à des professionnels, les juges, le soin de trouver la solution la mieux adaptée (ou la moins inadaptée)
En matière d’accidents de la route, il est probable que la peur du gendarme (ou plus souvent encore du radar) a eu un effet majeur sur la vitesse et sur le nombre de morts. Mais on peut aussi observer, d’une part que le système du permis à points est un système qu allie prévention et répression, d’autre part que la multiplication des radars a été précédée d’une prise de conscience par l’opinion publique de l’importance du nombre de morts sur la route qui rendait acceptable cette répression.
Depuis le 9 octobre 1981, la peine de mort n’existe plus en France. Contrairement à l’avis de ceux qui lui prêtaient un effet dissuasif, le nombre d’homicides a beaucoup baissé depuis, même si, en ce domaine, on peut penser qu’il n’y a pas de lien de cause à effet, mais que ce sont les mêmes raisons culturelles qui ont conduit à l’abolition de la peine et à la baisse des homicides
De la même manière, la possibilité de ne plus commettre de délit après un séjour en prison n’est pas le rêve de juges laxistes mais une réalité quotidienne.
On peut observer en matière de violence que les comportements changent avec l’âge, qu’après un pic de violence entre 12/15 ans et 25/ 30 ans, les hommes s’assagissent. Ce n’est pas forcément le cas des délinquants sexuels, dont une magistrate observait que c’étaient surtout eux qu’on trouvait dans les délinquants les plus âgés. Et pourtant, en matière d’abus sexuels et contrairement à la vision déformée qu’en donnent les médias, la récidive est rare parmi ceux qui ont été condamnés.
Pourquoi donc peut on donc observer ce discours réclamant une plus forte répression, discours qui semble se développer (mais ce sentiment ne correspond peut être pas à la réalité) ?
Il me semble que sont oubliés au sein d’une partie de la population deux importants éléments de notre héritage judéo chrétien ;
Le premier est la conscience d’être pécheur. A la suite de René Girard, on peut considérer que le refus de se reconnaître comme pécheur et marqué par le désir mimétique, est tout à fait cohérent avec la volonté de répondre à la violence par la violence.
Réserver à la justice le rôle de définir et mettre en œuvre la sanction en se substituant aux victimes, c’est refuser l’engrenage de la violence réciproque. Dans un monde qui a vu avec le Christ que celui qui était choisi comme bouc émissaire était en réalité parfaitement innocent, il n’est plus possible de laisser les hommes se faire justice ;
Le deuxième héritage, c’est celui qui fait de l’autre, même criminel, un membre de l’humanité. Un commentateur de l’ancien Testament note que « la justice de Dieu restaure et réintègre la personne exclue pour une raison ou une autre ». Et l‘ancien Testament rappelle régulièrement au croyant qu’il doit protéger la veuve l’orphelin et l’étranger, car lui-même a été esclave en Égypte.
S’il n’y a qu’une seule humanité, on ne peut renoncer à chercher à ce que ceux qui ont failli retrouvent le chemin d’un respect des règles de la vie en société. Et comme on ne peut non plus accepter qu’il y ait des victimes, il faut bien faire vivre des systèmes de prévention et de répression : c’est la vocation du système judiciaire dans notre pays, et il ne fait pas si mal son travail !
Au sein de ce système, le suivi des sursitaires ou des sortis de prison participe à la prévention de la récidive, et à ce titre, il mérite d’être doté de moyens adaptés.
Un cadre de l’administration pénitentiaire m’expliquait récemment que les services chargés de cette activité suivaient 160 000 personnes tous les ans ( à comparer aux 90 000 sortants de prison), certains uniquement pour vérifier qu’ils payent l’amende aux victimes qui leur avait été imposée, d’autres pour un suivi plus approfondi. Mais il notait aussi que les SPIP n’avaient pas l’accès au casier judiciaire. L’assassin présumé de Laetitia venait de finir une peine de un an pour outrage à magistrat et bénéficiait d’un sursis pour 6 mois. On imagine assez bien que sur cette seule peine, il ait pu être rangé dans la liste de dossiers non prioritaires par des services confrontés à une surcharge de travail. Mais je ne connais pas assez bien le système pour en déduire quoi que ce soit.
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