Gascogne chez Eolas attaque l’idée d’étendre les jurés populaires des assises, où ils existent, vers la correctionnelle, où ils n’existent pas, et juge la proposition populiste. Des propositions populistes, on risque d’en voir fleurir plus qu’il n’en faut et dans tous les camps d’ici 2012, mais de quoi parle t-on ?
Gascogne ayant donné le sentiment qu’il défendait surtout sa profession, plusieurs commentateurs lui ont fait remarquer que d’une part les jurés d’assises ne marchaient pas si mal et que d’autre part, plutôt qu’un plaidoyer « pro domo », il aurait dû insister sur le caractère irréaliste financièrement de la proposition. J’ajouterais qu’il aurait pu expliquer le partage des rôles qui existe en assises, au moins pour tous ceux qui ne fréquentent pas assidûment les tribunaux.
Mais d’abord ; essayons de définir de quoi on parle ! Gascogne, en réponse à l’un des premiers commentaires, renvoie sur Wikipédia qui donne pour le mot populisme une définition dont je ne prends ici que le début : le populisme désigne un type de discours et de courants politiques, critiquant les élites et prônant le recours au peuple.
Or, justement, Gascogne s’évertue à expliquer que le droit est une affaire de spécialistes et que la preuve en est que « les magistrats font au minimum quatre années d’études pour se présenter au concours de l’ENM. Ils suivent ensuite une formation de 31 mois ». Il prête ainsi le flanc à l'accusation de protection des élites
A partir des commentaires, on peut redresser le raisonnement : le droit est une matière compliquée, à l’image de nos sociétés modernes, et il faut donc des professionnels pour analyser des situations, souvent elles mêmes compliquées, au regard de ce droit.
Il faut accepter de voir qu’une partie de l’opinion publique, celle que flatte l’actuel gouvernement dans ses attaques, hélas nombreuses, contre les juges, pense que la complexification du droit est doublement illégitime, parce qu’elle écarte les citoyens du jugement d’une part, parce qu’elle conduit à protéger les criminels d’autre part.
Je ne crois pas qu’on convaincra ces citoyens en leur expliquant que le droit est compliqué et que les magistrats sont des professionnels. On ne peut faire qu’une chose : leur expliquer, exemples à l’appui (il n’y a pas qu’Outreau !), que les situations sont compliquées.
Et à cet égard, tout ce que j’ai entendu dire des jurys d’assises est que les citoyens qui s’y retrouvent, sans avoir rien demandé, font plutôt preuve de sérieux et de bonne volonté, que les magistrats présents font un réel effort pour leur expliquer ce qui se passe et dans quel cadre ils sont amenés à prendre des décisions. Pour défendre la justice, il serait bon de donner plus souvent dans les médias la parole à ces anciens jurés, non pour révéler des secrets, mais pour expliquer comment ils ont vécu leur rôle et en quoi juger est tout sauf simple.
Trop souvent, si ce n’est pas toujours, les fonctionnaires concernés par une réforme se positionnent dans une opposition systématique au lieu de défendre des conditions d’adhésion et de réussite. Il en est de même ici de la part des magistrats.
Comme plusieurs commentateurs chez Eolas, je préférerais que les magistrats disent « chiche ! » à la proposition d’ouvrir certains procès de correctionnelle à des citoyens tirés au sort, en demandant qu’on prenne les moyens de le faire sérieusement, à l’image de ce qui se fait en cour d’assises, en sachant que cela peut faire reculer le gouvernement pour des raisons budgétaires, mais que si cela aboutit, cela fera plus de citoyens qui auront compris un peu mieux les complexités des problèmes de justice.
Il me semble, et j’aurais aimé que Gascogne le précise, que dans un jury d’assises il y a un partage des rôles entre des magistrats professionnels qui sont là pour faire une analyse technique et dire le droit, et un jury de non professionnels qui sont là pour prendre des décisions dans le cadre de cet analyse technique et de ce que permet le droit.
Après tout, dans les entreprises, la plupart des dirigeants prennent des décisions sur des sujets dont ils ne sont pas spécialistes, après avoir écouté l’avis de ceux qui le sont. De même que de plus en plus, ce sont les malades ou leur famille qui prennent la décision au regard de ce que leur conseille le chirurgien, ou les propriétaires au regard de ce que leur dit leur architecte.
Il faut dire ici quelques mots sur la capacité à décider. La question essentielle consiste à savoir si on fait d’abord appel à la raison (sans oublier bien sûr l’existence des émotions mais en cherchant à les maîtriser) ou si on laisse le libre cours aux émotions, en les attisant si besoin.
Il me semble que l’organisation des jurys d’assises vise à donner le plus de poids possible à la raison dans des domaines où les émotions peuvent être très fortes, alors que le propre du populisme est de flatter les seules émotions, en s’adressant non pas au peuple en tant que doué de raison comme on essaie de le faire au moment des élections, mais à la foule, capable de tous les excès, et capable aussi de changer d’avis comme une girouette sous l’emprise des émotions.
Face à un pouvoir qui joue sur le registre des émotions les plus basses, il faut réclamer la prépondérance de la raison, mais il n’est pas entendable de réserver celle-ci à des techniciens : la prépondérance de la raison, c’est bien sûr l’appui des professionnels, mais c’est aussi le fait de prendre le recul du temps. Intégrer des citoyens dans le processus judiciaire n’est pas en soi refuser le règne de la raison (comme si les magistrats n’étaient pas capables de se laisser entraîner par leurs émotions !), mais cela exige un processus bien défini pour que ce soit la raison qui l’emporte. Voilà ce que doivent défendre ceux qui veulent une justice basée sur le droit.
Je ne résiste pas à donner la parole à mon financier préféré qui, pour expliquer comment il organise la prise de décision dans son équipe, s’appuie sur l’anecdote suivante :
« Je me rappelle mes premières heures à l’ESCP. Un cours sur le travail d’équipe, le jeu du Crash sur la Lune. Vous vous êtes donc crashés sur la lune, et vous disposez d’une liste de 10 articles que vous pouvez emporter avec vous pour rejoindre la base (lunaire, bien sûr) la plus proche. Mais vous ne pourrez pas tout prendre et vous devez classer ces articles par importance. En No1, la bombonne d’oxygène, bien joué. Mais quid du pistolet ? Vous faites un premier classement, tout seul, et vous le remettez gentiment à votre prof. Puis vous refaites le même travail avec un de vos camarades. Puis la même chose mais par groupe de trois, puis de quatre, et ainsi de suite jusqu’à 10. Les résultats m’ont véritablement stupéfait. Les meilleurs scores étaient réalisés systématiquement par les groupes de trois à quatre personnes. Les plus mauvais par les groupes de 10 et les élèves seuls (le pistolet sert à passer au dessus des crevasses : un petit saut, on tire et on est projeté en sens opposé, il fallait y penser, ce n’était donc pas le numéro 10…). ».
Les groupes de 10 en temps limité, c’est la foule, les groupes de 3 ou 4 pertinents car ayant appris les uns des autres, ce peut être un jury bien organisé et à qui on donne le temps de comprendre.
Ceux qui ont vu le magnifique film « douze hommes en colère » ont compris comment la raison pouvait s’appuyer sur l’échange.
Au-delà du cas de la présence des citoyens dans les jurys, notre société est confrontée à des choix populistes ou non dans de nombreux domaines.
Nous avons élevé de manière considérable le niveau de formation de la population. Les démocrates du 19ème siècle qui pensaient que le peuple pourrait se libérer de l’oppression s’il était éduqué seraient ravis du résultat atteint. Et dans le même temps, les discours populistes des extrémistes de tous bords semblent contaminer les partis plus modérés, la télévision nous abreuve d’émissions qui flattent nos émotions et nos instincts les plus reptiliens. Et le travail produit par les journalistes du Monde a beaucoup baissé en qualité depuis 30 ans (attention, là c’est pour rire !)
Pourtant, il existe des émissions comme « C’est pas sorcier », et bien d’autres, qui tirent tout le monde vers le haut. Et même des blogs de qualité ! Alors, comme d’habitude, les choix nous sont ouverts et l’avenir sera ce que nous en feront, à condition bien sûr de s’en occuper : comment préparons nous 2012 ?
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