En 1965, Jean Fourastié prévoyait les 40 000 heures de travail dans une vie humaine de 80 ans.45 ans plus tard, la remise en cause de la retraite à 60 ans et celle des 35 heures semble montrer un retournement de la tendance séculaire. Y a-t-il des raisons économiques à cela ou est ce un simple choix imposé par la droite ?
Pour arriver à0 000 heures de travail dans une vie humaine contre près du double au moment où parait le livre, l’économiste suppose le passage à une durée hebdomadaire de 30 heures, 40 semaines par an (soit 10 semaines de CP en plus des jours fériés) et environ 40 ans de travail sur une vie qui comprendrait aussi 5 années de formation continue, mais une retraite vers 65 ans pour des travailleurs ayant étudié jusque 20 ans environ.(40 000 heures est un arrondi).
Si la durée du travail annuel a baissé depuis 1965, nous en sommes aujourd’hui à une augmentation de la durée totale du travail avec le report de l’âge de la retraite. Je voudrais montrer ici quelques raisons économiques qui poussent à cela.
Depuis le néolithique jusqu’à la révolution industrielle, la paysannerie est le métier qui occupe la grande majorité des adultes et même les enfants. En terme de temps de travail, elle conduit à de longues journées de travail en saison, mais là où il y a des bêtes, l’activité ne s’arrête pas l’hiver.
Cette activité dégage des surplus (qui vont aller en augmentant avec le progrès technique) surplus qui permettent de nourrir des personnes qui font autre chose, essentiellement dans les villes : artisans, militaires, clergé, dirigeants et amuseurs publics.
Les meilleurs terres dégagent une rente qui peut être élevée mais que s’approprient souvent en partie les puissants.
Le raisonnement que fera Karl Marx sur le coût du renouvellement de la force de travil et sur la plus value pourrait s’appliquer à cette réalité sans forcément la trahir.
Seulement, quand Marx le fait, le modèle a changé et on est passé avec la révolution industrielle à une logique différente (en réalité déjà existante auparavant, mais de manière tellement lente qu’on pouvait l’ignorer) : le progrès technique permet à une même force de travail de produire de plus en plus. La tendance à l’appauvrissement absolu de la classe ouvrière prédit par Marx est invalidé par les faits : le salaire moyen peut augmenter fortement, même pour les moins qualifiés, dont le niveau de vie est radicalement plus élevé aujourd’hui qu’il y a 150 ans.
C’est bien dans cette logique que Fourastié écrit son livre. Et si on fait 5% de gain de productivité par an, on peut bien en consacrer 1 ou 2 à la réduction du temps de travail, ce qui avec les décennies nous mène effectivement aux 40 000 heures.
Le problème est que depuis le modèle a de nouveau changé. Ce n’est plus la paysannerie ni l’industrie qui dominent l’emploi, ce sont les services qui représentent déjà 75% des emplois en France et 85% aux USA. Même en Allemagne, l’industrie si elle reste puissante, est minoritaire en emploi. .
Or, une partie de ces emplois de service consistent à consacrer du temps à une activité : par exemple en restant pendant 8 heures à attendre le client ou à monter la garde. Le prof, le médecin, le kiné ou l’aide soignante à domicile, comme le bibliothécaire qui assure l’accueil fournissent du temps de présence. Et l’idée générale est qu’il n’y a donc pas beaucoup de possibilité de faire des gains de productivité.
Mieux, dans certains services de l’Etat, pour ceux qui n’imaginent pas que l’on puisse faire plus autrement qu’avec plus de moyens, la tendance est d’imposer une baisse de productivité sous couvert de qualité de service, avec par exemple des classes moins chargées ou des normes dans le nombre d’urgentistes ou de puéricultrices.
Soyons clairs : si c’est cela le modèle qui devient dominant en nombre, on ne pourra pas à la fois augmenter le niveau de vie et baisser le temps de travail, les deux mouvements seront contradictoires ; Si ce sont des heures de médecins, de kiné, de serveur de restairant, de nounou et d’aide soignant que j’achète, je ne pourrais pas en payer plus que le nombre d’heures de mon propre travail. Où si je le fais parce que je vends cher mes heures, cela ne sera pas possible pour tout le monde.
Pourtant, rien n’est joué. Car dans le monde, un autre modèle impose aujourd’hui sa logique, au moins au niveau des inégalités de revenus. C’est celui de l’activité à coûts fixes élevés et coûts marginaux quasi nuls, qui permettent à l’auteur de Harry Potter, le producteur de spectacle (joueur de foot ou acteur de cinéma) l’éditeur de logiciel, de gagner des fortunes sans affecter le niveau de vie des clients. Il s’approprient un surplus, mais celui-ci est généré par une activité nouvelle et par ces coûts marginaux quasi nuls.
Et par ailleurs il est possible d’améliorer la productivité d’activités apparemment dans une logique de temps fourni. A condition de ne pas acheter un temps de service mais un service et une réponse à mes besoins, qui peuvent être fournis demain autrement qu’ils l’étaient hier.
C’est le cas par exemple quand on diminue la durée de séjour en hôpital grâce à des systèmes chirurgicaux plus légers. Si les élèves écoutent « c’est pas sorcier » ils peuvent être 1000, 10 000, ou 1 000 000 pour le même coût : le développement des « serious games » ne nous mène t-il pas là si on le souhaite ?
Encore faut il ne pas se heurter aux conservatismes de tout poils, ce qui n’est pas gagné chez nous. Mais il faut choisir : veut on bloquer l’amélioration de la productivité du travail dans les services et donc la réduction du temps de travail ?
Les commentaires récents