Le traitement d’un récent faits divers par la presse est assez révélateur de la manière dont notre société, ou au moins certains en son sein, voudrait que le mal et le bien soient deux réalités strictement séparées, avec d’un coté les coupables à condamner sévèrement et de l’autre les malheureuses victimes trop souvent délaissées.
Jeudi 13 au matin, le Parisien publie une enquête dont le titre est : « L’appât du « gang des barbares » fait chuter le directeur de prison ». Google actualités regroupe sous le titre « gang des barbares » les informations qui ont trait à ces affaires, et les articles des journaux y renvoyant.
Les faits paraissent assez clairs : le directeur de la prison pour femme de Versailles est mis en examen par la justice (et interdit pour l’instant d’exercer sa profession) pour avoir, entre décembre 2009 et octobre 2010, eu des relations sexuelles, en échange d’un traitement de faveur, avec Emma, la jeune détenue de 21 ans qui avait servi d’appât dans l’affaire du « gang des barbares », en janvier 2006.
Le titre du Parisien, non seulement met l’accent sur l’appartenance de la détenue au gang des barbares, mais fait plus ou moins du directeur une victime, à l’image de la première victime de cette détenue, attirée par elle dans un piège qui se révélera mortel.
Les commentaires prouvent que les lecteurs ne l’entendent pas forcément de cet oreille, et nombreux sont ceux qui condamnent le directeur (sans pour autant absoudre la détenue par ailleurs).
Le Figaro qui reprend l’information titre de son coté sur « l’amour fou d’un directeur de prison pour une détenue ». l’homme mis en examen, marié et père de famille, fait savoir qu’il comptait refaire sa vie avec la détenue, dès qu’elle serait libérée.
Mais un peu plus tard, le ton change dans la presse, et le titre autour duquel Google actualités regroupe ses articles aussi : c’est maintenant le directeur de prison qui est au centre de l’affaire, d’autant plus qu’on apprend qu’il aurait eu plusieurs favorites, ce qui donne pour Google le titre : le directeur de prison « amoureux » aurait eu plusieurs favorites ». Les guillemets autour du mot amoureux montrent que la presse ne croit plus guère à l' »amour fou » qui aurait fait déraper un directeur, d’autant plus qu’on apprend que c’est le contrôleur des prisons qui a révélé l’affaire, suite à des plaintes de codétenues.
Le 14 après midi, le Monde titre sur le parcours chaotique de la détenue, ballottée par la vie. L’article explique comment la jeune femme, mineure au moment où elle a piégée le jeune Halimi, a été séparée de son père violent à l’age de 2 ans, est venue d’Iran vers la France, a été victime d’attouchements à l’âge de 8 ans, violée par trois jeunes de son quartier à 14 ans et a plusieurs fois tenté de se suicider.
Les dernières informations publiées par les rares journaux qui continuent à s’y intéresser ne donnent guère de précision sur l’existence ou non d’autres favorites. Le JDD mis à jour le 17 affirme que une seule détenue avait un rôle privilégié et le Post publie le 18 un entretien avec l’avocat du directeur niant l’existence de plusieurs favorites, pourtant apparemment affirmée par la mission Delarue.
Il est frappant d’observer que le statut de victime est ainsi passé en quelques heures du directeur vers la détenue et le statut de coupable a fait le chemin inverse.
La réalité est que la jeune Emma, comme l’appelle le Monde, est à la fois victime et coupable. On voit plus aujourd’hui en quoi le directeur de prison est coupable que victime, mais la réalité est certainement complexe.
Or, cette complexité est malheureusement trop souvent refusée par une partie de la société, gouvernement en tête.
La télévision nous offre à longueur de journée des séries policières américaines qui présentent de manière souvent extrêmement schématique la lutte entre la société et les policiers (le bien) contre les méchants (le mal). Cette distinction entre le Bien et le Mal est si importante chez nos amis américains qu’ils ont pu parler d’un axe du Mal pour justifier leurs interventions militaires à l’étranger.
Les émissions françaises donnent parfois le sentiment que la norme sociale de bien est complètement ringarde, et qu’il ne faut pas hésiter à braver les interdits (ou soit disant tels). Cela m’énerve parfois, mais à tout prendre on se demande si ce n’est pas mieux que la posture américaine.
L’idée qu’il y a le camp du bien et celui du mal conduit certains à penser qu’il suffirait pour être en sécurité d’enfermer tous ceux qui font partie du camp du mal, qu’il faut punir plus fort les criminels, que la présence de l’avocat en garde à vue ne sert qu’a empêcher la société de se défendre et fait fi du droit des victimes. De là à défendre les policiers quoi qu’ils fassent, il n’y a qu’un pas allégrement franchi par des syndicalistes et un ministre !
Mon éducation catholique a du contribuer à me faire penser que les choses sont plus complexes et que nous pouvons tous être attirés par ce que l’église appelle le péché.
L’église catholique ayant énormément perdu d’influence aujourd’hui, il est probable que la majorité des jeunes n’ont même jamais entendu parler de ces idées.
Par contre, beaucoup ont pu lire Harry Potter et découvrir qu’on peut choisir entre le bien et le mal. Harry n’est pas un jeune parfait, et son père encore moins. Mais à des moments clés, ils ont choisis le camp du bien. Mieux, certains adeptes du mal ont pu changer d’avis et faire des actes qui allait dans le sens de ce changement.
Peut être les lecteurs de ce type de romans seront-ils plus prêts à comprendre qu’on peut être à la fois coupable et victime, que le fait d’avoir été victime ne vous absout pas des conséquences de votre culpabilité mais peut se traduire par ce que la justice appelle des circonstances atténuantes.
Et puis, quand ils seront devenus grands (mais il y a aussi des adultes qui lisent Harry Potter) ils pourront toujours lire Eolas !
Quelques mots sur l’organisation de l’Etat. Comment un directeur a-t-il pu avoir un tel comportement sans que l’institution ne réagisse ? Il a fallu que deux détenues écrivent à l’organisme présidé par Delarue pour qu’il se passe quelque chose ! Ni le canal syndical (si un surveillant ou un gradé qui ne pouvait alerter sa hiérarchie voulait agir malgré tout) ni le contrôle interne ne semblent avoir fonctionné !
Les prisons séparent généralement les lieux de l’essentiel de la vie de détention (cellules, ateliers, infirmerie etc.) des lieux où vont entrer des non détenus (entrée et parloirs notamment). Les services administratifs et le bureau du directeur se trouvent dans ces deuxièmes lieux, séparés des premiers par un espace du type cour. Il est possible que ce ne soit pas le cas à Versailles, l’établissement se situant dans des murs datant du 18ème siècle, mais ce serait étonnant.
On ne voit donc pas très bien comment le directeur a pu avoir des relations sexuelles avec une détenue sans la faire venir dans son bureau, et sans qu’une partie du personnel pénitentiaire ait au moins eu quelques doutes sur le comportement de leur chef. Mais on est dans une organisation de type militaire (il y a des gradés et des officiers) ; dans lequel ce genre de questions ne remonte pas facilement. Cependant, on lit dans le JDD du 17 :
Dès le printemps 2010, des surveillants du syndicat Ufap signalaient à l’administration pénitentiaire des faits suspects: la détenue …. passait beaucoup de temps dans le bureau du directeur, des après-midi entiers parfois, alors que le règlement d’une maison d’arrêt de femmes interdit à tout homme de rester seul avec une détenue. Florent Gonçalves avait alors plaidé auprès de sa hiérarchie que la jeune fille effectuait des ménages dans son bureau.
Il y aura certainement une enquête. Une solution simple pourra consister à éviter que la fonction de directeur soit tenue par un homme. Comme seules 3% des détenus sont des femmes et que par contre elles sont asses nombreuses à tous les échelons de la hiérarchie pénitentiaire, c’est une mesure qui ne pose pas de problèmes d’application pratique (mais peut être juridiques : si un homme est candidat au poste, son rejet pour raisons liées à son sexe ne constitue t-il pas une discrimination ?). Elle n’est pour autant pas forcément idéale, un système avec uniquement des femmes pouvant poser d’autres problèmes.
Il sera plus compliqué de trouver des moyens pour qu’un tel comportement soit assez rapidement repéré et sanctionné. En particulier, que peuvent et doivent faire des agents de l’administration pénitentiaire qui constatent des comportements contraire à la loi et/ ou à l’éthique professionnelle ?
A suivre !
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