Le rapport sur l’assurance maladie préconise d’organiser le système de santé autour du malade pour qu’il soit plus efficace. La fonction publique peut elle passer d’une structuration autour des métiers à une structuration autour des processus, comme l'a progressivement fait le secteur privé depuis 30 ans ?
La logique processus consiste à baser l’organisation en privilégiant la bonne articulation des activités qui contribuent à un processus, en gérant ces activités en fonction des résultats attendus par l’activité suivante dans le processus, le raisonnement se faisant à partir de la dernière activité, celle qui permet de livrer le client
Prenons un exemple concret. Il y a quelques années, j’ai fait un bilan médical complet dans un centre spécialisé pour cela et j’ai été frappé par l’efficacité de l’organisation. Celle-ci était de plus suffisamment transparente pour qu’on puisse imaginer la manière dont elle a été construite.
Dans une logique métier, je vais regrouper dans un même endroit les activités qui appartiennent à un même métier et font appel à la même profession, de manière à faciliter le travail de ceux qui vont réaliser ces activités.
Dans une logique processus, on ne raisonnera pas du tout de cette manière.
Partons donc de la fin, comme dans toute analyse de processus. La dernière étape est un entretien entre un médecin et la personne venue faire un bilan. Pour cet entretien, le médecin a besoin de disposer du maximum des résultats de examens réalisés. Si je me pèse, le résultat est instantané. Si des analyses de sang sont faites, il faut compter le temps nécessaire à l’analyse. Si je suis organisateur, je vais d’abord regrouper les sous processus (par exemple deux activités qui dépendent l’une de l’autre), puis je vais classer ces sous processus ou activités en fonction du temps nécessaire au traitement de l’information.
La logique consistera donc à faire en premier l’examen qui demande le plus de temps d’analyse, de manière à ce que le médecin en dispose à la fin de bilan. Pour simplifier la gestion des patients, je vais installer les activités de manière à minimiser les déplacements du patient qui suit le processus. Au passage, cela évitera que des gens se perdent dans les couloirs ou n’aillent pas au bon endroit.
De mémoire, j’ai du rester deux heures au plus dans ce centre, en ayant fait une douzaine d’examens différents.
Réduire les délais est souvent une des conséquences de l’organisation autour des processus. Mais ce n’est bien sûr pas la seule. En mettant en évidence pour chaque activité les résultats attendus par l’activité suivantes, cette organisation va conduire à sensiblement améliorer les interfaces entre deux activités. On parlera parfois de processus piloté par les résultats
Il faut dire que les organisations autour des métiers, centrées sur la technique de chaque métier, ont montré leur faiblesse quand le livrable dépend de la qualité de l’articulation entre les métiers
C’est justement parce que les soins à apporter aux personnes du 4ème âge font appel à diverses spécialités, que ces personnes sont souvent poly malades, que le rapport de l’HCAAM préconise de revoir l’organisation autour du malade.
Le système hospitalier est il capable de faire une telle révolution ? Ce n’est pas évident, tant il a été longtemps marqué par les cloisonnements. Le fait que dans beaucoup d’hôpitaux il existe des salles de repos séparées pour les médecins, les infirmières et le reste du personnel soignant en dit assez long sur le cloisonnement entre métiers. Mais les actions menées dans le cadre de la nouvelle gouvernance ont peut être commencé à créer de la transversalité, le projet du dossier médical unique étant un exemple de la transversalité recherchée.
Mais c’est tout le secteur public qui aura sans doute besoin, d’une manière ou d’une autre, d’une telle révolution. Or le fonctionnement en de très nombreux corps ne l’y prépare nullement !
Il y a quelques années, l’Éducation Nationale a prétendu centrer son fonctionnement autour de l’élève. Un tel objectif a évidemment soulevé l’ire des conservateurs de tous bords qui ont fait semblant de comprendre que cela signifierait que les élèves seraient seuls juges de ce qui est bon pour eux, au détriment des programmes définis par les meilleurs spécialistes.
Il n’est pas étonnant, dans un pays où la moindre réforme de l’organisation scolaire voit se lever les boucliers des défenseurs de telle ou telle matière forcément essentielle, il n’est pas étonnant donc de voir le peu de cas qui est fait des résultats de processus d’évaluation, qui plus est quand ils donnent lieu à des comparaissons internationales.
Il y a dix ans, les premières enquêtes PISA avaient révélé la médiocre place de l’Allemagne, ce qui avait conduit à un important débat dans ce pays, qui a adopté ensuite un certain nombre de mesures pour redresser sa situation ; dix ans après, le score de nos voisins s’est suffisamment amélioré pour qu’ils nous dépassent, il est vrai en profitant de notre recul.
Ce recul français a fait l’objet de quelques pages dans les journaux, puis on est passé au sujet suivant.
La droite au pouvoir essaie d’inculquer une logique de résultats ? On l’accuse de mener une politique du chiffres, avec toutes les dérives qui vont avec. Cette critique, qui s’appuie au moins en partie sur des remarques justes, n’a généralement pas pour objet d’essayer d’améliorer la méthode. Tous ceux qui ont travaillé autour des questions de mobilisations par les objectifs savent que le choix des objectifs comme celui des indicateurs n’est pas simple, qu’il faut généralement plusieurs objectifs qui s’équilibrent et qu’il faut par contre éviter d’en avoir trop. Mais la critique mise en avant est une pétition de principe, souvent de la part de personnes qui se drapent dans les grands mots de service public pour en réalité défendre leurs propres intérêts, mais qui par contre ne sont pas prêts à rendre des comptes sur leur activité, parfois pour de bonnes raisons, trop souvent pour de mauvaises.
Qu’on appelle cela culture de l’évaluation ou du résultat, organisation autour des processus ou des clients, un nouveau modèle de fonctionnement prend progressivement sa place dans les services publics, comme il l’a fait auparavant dans l’industrie et dans les services privés. La question n’est pas de refuser cette évolution mais de la mener correctement, en évaluant les risques réels, non pour refuser le changement, mais pour prendre les moyens d’une opération réussie.
Comme cela a été évoqué plus haut, la logique processus remet en cause les cloisonnements entre métiers, le confort douillet que donne l’assurance de sa technicité. Développer la transversalité et la coopération ne va pas de soi. Se confronter à la logique des autres, avec ce que cela signifie de remise en cause permanente, non plus.
L’histoire des policiers jugés à Bobigny illustre ce que peut être une situation de méfiance entre deux corps de métiers participants au même processus mais avec des logiques métiers différentes. L’organisation de la gestion des effectifs autour des corps (avec notamment les élections administratives pour gérer ceux-ci) a produit des syndicats corporatistes, qui sont autant de freins pour l’indispensable coopération transversale entre métiers, au point dans certains cas comme le syndicat Alliance des officiers de police, d’être de véritables machines de guerre contre un fonctionnement normal, ici celui de la coopération entre la police et la magistrature.
Et pourtant, le rapport du HCAAM est juste : c’est vers cette organisation coopérative et centrée sur le résultat qu’il faut aller. Et on ira, on y va déjà, la question ne se pose pas. A quel rythme et à quel prix, ce sont là les vrais questions.
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