Se faire recruter grâce à Internet est devenu possible, se faire éjecter du processus de sélection à cause de lui aussi. Les conseils et alertes pour bien gérer son e-profil se multiplient sans qu’une distinction claire soit faite sur ce qui est du domaine professionnel et du domaine privé. Mais cette distinction est elle possible ?
Direct matin diffusait mercredi une page rédigée par les services du Monde sur le sujet. L’article présentait les choses de manière à faire mousser son sujet : un quart des professionnels avaient au moins un exemple de personnes refusées à cause de ce qui avait trouvé sur elles par Internet. Un exemple quand ces recruteurs voient passer des CV par centaines chaque semaine, ce n’est en fait pas grand chose, mais qui y prête attention à la lecture ?
Les professionnels interrogés montraient une très bonne pratique de ce qu’on peut dire ou ne pas dire à un journaliste (ou une bonne pratique de la langue de bois !). Pour ceux qui s’y se sont interdit officiellement de faire des recherches ailleurs que sur les réseaux professionnels, « ils ne peuvent garantir que leur client n’ira pas voir sur Facebook ou ailleurs ». Et les exemples cités sont parfaitement clean ainsi celui de ce candidat ayant publié sur Internet à quelques années de distance deux CV manifestement non cohérents entre eux.
On conviendra que si un candidat veut raconter qu’il a fait telle école ou telle autre alors que ce n’est pas la réalité, que le recruteur s’en aperçoive en regardant l’annuaire papier de l’école concernée ou en allant sur Internet ne nous fait ni chaud ni froid.
On peut se demander si le fait que circule sur Internet une photo où on vous voit complètement saoul en train de montrer votre cul à tous les passants risque de vous nuire pour votre candidature à un nouveau poste. Dans cette question, Internet n’est qu’un moyen d’information pour le recruteur. La vraie question est de savoir à quel moment on passe des critères professionnels à d’autres qui ne le sont pas et ne doivent pas être pris en compte, au point qu’on pourrait parler de discrimination à l’embauche.
On pense tout de suite à ce proviseur de lycée menacé de licenciement pour s’être fait connaître comme gay et pris en photo sur son blog, qui avait donné l’occasion à Maître Eolas d’un courrier très poli au ministre de l’Education nationale.
Cet exemple montre que la frontière entre ce qui est privé ou non n’est pas si simple, le ministère avait à l’époque invoqué le devoir de réserve vis à vis d’un fonctionnaire ayant des responsabilités éducatives importantes.
La question du devoir de réserve nous amène à Zoé Shapard, l’auteur de « Absolument débordée », puisque c’est ce prétexte qui a été invoqué pour la sanctionner. Cette jeune femme avait fait acte de candidature pour les cours régionales des comptes, poste pour lequel elle avait sans doute les compétences et titres nécessaires. Il est probable que ce qui a été révélé depuis l’empêchera d’être prise, la cour des comptes ne voulant pas prendre le risque de voir ses rapports contestés par les entités contrôlées en raison des opinions qu’elle a émis dans son livre. Il sera facile pour les recruteurs d’évoquer une attitude méprisante pour ceux qui n’ont pas son niveau de compétence ou des jugements trop tranchés, ou tout simplement un manque de neutralité.
Un de mes jeunes collègues est en train de vouloir passer à autre chose et a passé récemment un entretien de recrutement pour un des grands cabinets d’audit. Il s’est présenté en jean et sans cravate, faisant ouvrir des yeux ronds aux autres jeunes candidats présents. La femme chargée du recrutement ne semblait pas choquée, lasse de ne voir que des clones du parfait apprenti cadre supérieur. Il est vrai que la désinvolture de mon collègue pouvait se justifier par ses activités comme communiquant et que l’offre qu’il avait déjà ailleurs l’aidait à se présenter comme il est dans cette autre situation.
J’ai moi même ainsi joué le jeu de la vérité il y a longtemps, quand je travaillais encore dans les Mines. J’avais répondu à deux annonces, l’une pour une boîte de conseil, et l’autre pour un poste de direction d’usine chez Nestlé. Dans les deux cas, l’entretien s’était bien passé, jusqu’à ce que j’explique que j’étais aussi représentant syndical CFDT. Dans les deux cas, les recruteurs n’avaient pas donné suite(Nestlé avait été attaqué, notamment par la CFDT, pour avoir promu le lait maternisé en poudre en Afrique), et je m’étais demandé si j’avais bien fait de me découvrir ainsi, même si c’est une information que les recruteurs pouvaient avoir en se renseignant auprès de mon employeur : autant qu’ils l’apprennent de ma bouche, et je trouvais aussi que c’était une fonction qui m’avait appris une facette de la vie de l’entreprise, donc un point fort de mon CV.
J’avais remis le nez à la fenêtre quelques années plus tard et je n’avais pas eu à me poser la question de savoir si je devais évoquer la question, puisque le patron de la petite entreprise de conseil qui m’a embauché avait lui même été délégué syndical auparavant. Finalement, cette question de la pertinence d’un engagement syndical de ma part m’avait servi aussi de critère de sélection, et je n’avais pas à m’en plaindre, au contraire.
Justement, Le Monde de jeudi 11 novembre consacre quelques pages à la question du plagiat à l’Université, qui se développe à l’ère d’Internet et de la fonction copier/coller. Une personne jadis condamnée pour plagiat se plaint « d’une double peine », car elle a perdu un poste pour cette raison. Il est vrai que le poste en question comprenait une part éducative importante et que ses opposants trouvaient qu’elle n’était donc pas la personne adéquate. On dit pourtant que ce sont les braconniers qui font les meilleurs gardes chasse et que les sociétés de sécurité informatique n’embauchent que d’anciens as du piratage.
Conclusion, il vaut mieux avoir un passé « propre » pour se faire recruter, et les incartades, c’est comme les trous dans les chaussettes, c’est mieux quand elles ne sont pas visibles !
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