Comment peut on mettre 3 millions de personnes toutes les semaines dans la rue avec une réforme aussi petite ? Une réforme qui ne règle pas la question des retraites à long terme, tant elle n’est que marginale sur certains points ?
L’un de mes collègues s’est demandé il y a quelques jours quel serait l’impact de la réforme en cours pour lui qui a un peu plus de 50 ans. Après examen de son âge d’entrée dans la vie active , 21 ans, il a fallu se rendre à l’évidence : l’impact était à peu près nul ! En effet, avec une durée de cotisation de 41 ans, il lui fallait partir à 62 ans pour avoir tous ses trimestres avec les règles actuelles, et ce sera pareil demain !
Enfin pas tout à fait : d’une part il ne pourra pas faire le choix d’un départ prématuré couplé à une décote sur le montant de sa pension. D’autre part, le nombre de trimestres dus pour une retraite à taux plein passe de 164 à 165 en 2013, et il est concerné.
Un changement aussi limité mérite t-il des telles protestations ?
Il est vrai que les seniors qui ont commencé leur carrière entre 21 et 24 ans (aucun de ceux là n’est vraiment touché) sont minoritaires.
La réforme touche par contre à plein tous ceux qui auront accumulé 164 trimestres validés à 60 ans donc ceux qui ont entamé leur carrière avant 19 ans. Ceux là écopent de deux années pleines. Ou du moins le feront ils s’ils partent à partir de 2016.
Faut il comprendre qu’on revient à un système où les ouvriers cotisent pour les cadres, système qui avait été partiellement cassé par la loi Fillon de 2003 sur les carrières longues ?
Pourtant, c’est un argument qu’on entend peu dans la bouche des opposants (à l’exception de la CFDT qui défend son « bébé »).
Il est vrai que la plupart des slogans essaient de monter en épingle les cas les plus médiatiques, comme le faisait l’UMP pour vendre le bouclier fiscal ou la remise en cause de l’ISF avec le pauvre agriculteur de l’île de Ré ou la pauvre vieille propriétaire de son logement à Paris.
Parce qu’en grattant, on voit bien deux catégories qui vont devoir travailler plus longtemps.
La première, ce sont tous ces salariés qui bénéficient d’un départ prématuré à 50 ou 55 ans (des militaires, des cheminots etc.) : ces âges butoir vont être reculés de 2 ans. Ils ne s’en vantent pas. Mais ils sont sans doute assez nombreux dans les manifestations.
La deuxième, ce sont les salariés d’entreprises assez importantes, qui ont pris goût aux pratiques qui sous couvert de plan social ou de rupture conventionnelle, leur assuraient un départ pour « projet personnel » une fois les 57 ans passés, avec l’assurance de toucher les Assedic pendant 36 mois, de bénéficier de la Dispense de recherche d’emploi avant de faire valoir leurs droits à la retraite à 60ans.
Ceux là, font valoir très fort leur situation, en soulignant que 60% de ceux qui partent en retraite sont au chômage. Sans expliquer bien sur que ce chômage a été choisi. Et qu’au fil du temps, l’âge du départ pour projet personnel va devoir se décaler à 59 ans !
Au-delà de ces catégories qui sont touchées réellement, la réforme touche au symbolique (les 60 et 65 ans) et c’est la raison pour laquelle les salariés réagissent.
Il est cependant surprenant que la réforme suscite de tels réactions , alors qu’il y a un an, la loi a simplement augmenté de 4 le nombre de trimestres à effectuer dans de proches années, sans susciter de fortes réactions !
La réforme Woerth ne sera qu’une réforme parmi d’autres sur les retraites. Et il en faudra de nouveau, puisque justement son impact est limité !
La loi Fillon de 2003 avait tenté de poser le principe que pour 3 mois de gain d’espérance de vie, on augmenterait de 2 mois la durée de cotisation et de un mois la durée de la retraite. Ce principe simple était assez cohérent avec l’idée qu’actuellement la durée de cotisation tourne autour de 40 ans, et que la retraite dure environ 20 ans : cela correspond aussi à un retraité pour deux actifs, ce qui n’est déjà plus le ratio (on tourne autour de un retraité pour 1.7 actif)
Cette idée me parait assez sensée. Plus en tous les cas que celle proposant de financer l’augmentation du coût des retraites par le fisc.
Ceux qui proposent ce genre de mesures semblent ignorer que l’Etat dépense aujourd’hui 50% de plus que ses recettes. Et qu’affecter d’éventuelles nouvelles recettes au financement de la retraite, c’est s’en priver pour d’autres besoins, pour investir dans l’éducation supérieure ou la recherche, ou financer le risque dépendance qui ne peut que réclamer plus de moyens à terme avec le papy boom.
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