Les tribulations de la femme la plus riche d’Europe sont sans doute plus révélateurs de mécanismes compliqués d’imposition que d’une volonté de fraude de sa part. La dernière révélation sur le remboursement de 30 millions dont elle a bénéficié montre que les faits qui lui étaient reprochés précédemment n’avaient strictement aucun impact fiscal !
Le principe
du bouclier fiscal est d’empêcher que la somme des impositions directes versées
au fisc par une personne ne représente une part trop élevée de ses revenus. Ce
mécanisme profite à quelques personnes aux très faibles revenus (éventuellement
Rmiste) mais propriétaires d’un logement pour lesquels les taxes foncières sont
prohibitives, mais il s’agit d’un phénomène complètement marginal, en valeur
pour le fisc au moins.
L’essentiel des bénéficiaires sont des redevables de l’impôt sur la fortune. Ceux-ci peuvent avoir des revenus faibles, soit parce qu’ils sont retraités, soit parce qu’ils se sont organisés pour cela.
Le bouclier fiscal a été inventé
à l’origine pour protéger des personnes qui payaient en impôts plus que leurs
revenus et devaient donc puiser dans leur patrimoine. Sa première application
en France date en fait de Michel Rocard. La droite qui l’a développé ces dernières
années argumente qu’il s’agit d’éviter les départs vers l’étranger des plus
riches.
Le problème est en réalité lié à
l’ISF, que la majorité au pouvoir voudrait supprimer sans oser le faire. L’ISF
est en réalité un impôt mal conçu. Les taux sont élevés (certains diraient
confiscatoires) avec un maximum à 1.8% et sont compensé pour certains par des
déductions très importantes, pour les chefs d’entreprises ou les œuvres d’art.
Le législateur a en effet craint
que cet impôt oblige les chefs d’entreprise « propriétaires de leur outil
de travail » à vendre celui-ci au détriment de l’emploi ou que les œuvres
d’art française partent à l’étranger pour les mêmes raisons.
Le bon sens
consisterait à baisser les taux et à supprimer les déductions (on peut en dire
autant pour l’impôt sur le revenu). Mais il y aurait de gros gagnants et de
gros perdants, et le sujet est politiquement sensible : on a donc préféré
construire une usine à gaz.
Le mécanisme du bouclier fiscal
amène donc les contribuables a déclarer et payer normalement chacun de leurs
impôts puis à demander un remboursement dans le cadre du bouclier fiscal, ce
qui permet à la gauche de s’offusquer des cadeaux réalisés.
Le mécanisme a donc récemment été revu, pour que le calcul de la limitation soit fait avant paiement, et que les assujettis n’avancent pas une somme qui sera remboursée ensuite. C’est donc dans ce cadre que Liliane Bettencourt a logiquement réclamé 30 millions au fisc, somme qui lui a été très logiquement accordée.
Revenons donc à son cas, sa fortune
et ses revenus.
Liliane Bettencourt a hérité de
son père, Eugène Schueller, l’entreprise que ce dernier a fondé, l’Oréal,
devenue une grande multinationale. Dans les années 70 peut être pour échapper à
une éventuelle nationalisation par la gauche, elle a échangé une partie de ses
actions contre des actions de Nestlé.
L’Oréal est valorisé à plus 46 milliards
début juillet, et sa principale actionnaire en possède plus de 25%. Le cours est à plus de 78 euros, pour un
dividende 2009 de 1,5 euro.
L’essentiel de la fortune de
Liliane Bettencourt est constitué de ses actions l’Oréal et Nestlé (mais le
reste peut se chiffrer en centaines de millions voire en milliards). Ses
revenus sont également essentiellement constitué par les dividendes de ces
actions.
Je me souviens avoir lu dans Le
Monde il y a très longtemps que dans les années 80, Liliane Bettencourt a
refusé de se faire nomme dirigeante de l’Oréal ce qui lui aurait permis de
faire échapper une grosse part de son patrimoine à l’impôt sur la fortune. Le Monde avait alors considéré qu'il s'agissait d'un acte citoyen, mais la milliardaire considérait d'abord que l'Oréal devait avoir une gouvernance claire.
Avec une fortune estimée par la
presse à 17 milliards, Liliane Bettencourt devrait payer en ISF une somme de
1.8% de ce qui dépasse 16,540 millions, autant dire 99,9% de ses biens. Cela
représenterait environ 300 millions d’euros. Il est plus difficile d’évaluer
son impôt sur le revu, sachant que le taux d’imposition est de 40%, mais il se
compte certainement en centaines de millions.
Appelons R son revenu, IR son impôt sur le revenu et IF son impôt sur la fortune. A ce stade, IR = 0.4R Le fait qu’elle bénéficie de bouclier fiscal signifie que 0.5 R est inférieur à IR + ISF. Si ISF = 300 millions et que le bouclier fiscal donne un remboursement de 30 millions, alors on aurait un revenu de 2.7 milliards ce qui parait beaucoup. Il est possible que IR soit nettement inférieur à 0.4R grâce à de fondations ou autre. Ou que l'ISF soit plus faible qu'ici indiqué.
Rectifié le 5 juillet
Liliane Bettencourt a déclaré avoir payé 400 millions au fisc en 10 ans, soit 40 millions par an. cela correspondrait à un revenu annuel de 80 millions et à un impôt sur celui ci de 32 millions . Pour avoir un remboursement de 30 millions, il faudrait que son ISF soit de 38 millions, ce qui correspond à une fortune de 2.1 milliards
Ce chiffre beaucoup plus faible que celui avancé par la presse, peut s'expliquer si, comme je l'ai lu, elle a organisé sa succession à sa fille et ses petits fils pour ses actions l'Oréal qu'elle n'aurait plus. Je ne sais pas comment cela marche.
Imaginons maintenant qu’elle ait
omis de déclarer 80 millions de biens situés en Suisse (probablement à partir
de ses dividendes Nestlé). Si on rajoute ces biens, son ISF augmente de 1.8% de
80 millions soit 1.44 millions. Mais comme R ne change pas, son remboursement
par le bouclier fiscal augmente de la même somme.
Dit autrement, la
milliardaire n’a pas d’intérêt particulier à cacher au fisc certains de ses
biens. Par contre, elle peut avoir intérêt à cacher une partie de ses revenus.
Conclusion : sans doute beaucoup de bruit pour rien, mais cela fait vendre du papier. Et si en plus les journalistes devaient expliquer les mécanismes réels aux lecteurs, ils devraient déjà les étudier !
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