La solidarité est à la base de notre système de protection sociale, du moins en théorie. La pratique peut être assez différente et la question des retraites en est une parfaite illustration. Le refus de toucher à la retraite à 60 ans n’est que le dernier avatar de réactions affichées comme solidaires mais en réalité profondément égoïstes.
Il est vrai que dès le départ, en 1945, le système a été conçu comme corporatiste, puisqu’il y avait (et il y a toujours) une multitude de systèmes de bases, pour les agriculteurs, les mineurs, les commerçants, les indépendants, les salariés du régime général, toute une série de régimes spéciaux …
D’autre part, le régime est plus assuranciel que solidaire, les pensions comme les cotisations étant proportionnelles aux salaires.
Cependant, il existe des modalités qui renvoient clairement à une logique de solidarité. La première a été que les premiers retraités, qui étaient nés avant 1880, n’avaient évidemment pas cotisé. La seconde est que des mécanismes protecteurs sont en place pour pallier à certaines difficultés : un travailleur au chômage bénéficie ainsi de trimestres non cotisés mais validés. De même les règles favorisent les femmes qui ont eu des maternités et ceux et celles qui ont élevés plusieurs enfants.
Dans le même esprit et à un niveau plus global, une solidarité s’est installée entre des caisses de professions en décroissance et des caisses de profession en croissance, en pratique celle du régime général. Ces transferts étaient logique dans la mesure où ce sont les actifs d’aujourd’hui qui payent pour les actifs d’hier. Dans le secteur du commerce par exemple, les actifs d’aujourd’hui sont pour la grande majorité salariés quand ceux d’hier étaient beaucoup plus souvent indépendants.
Le système prenait et prend toujours difficilement en compte des différences pourtant connues entre ses adhérents : certains commencent à travailler et donc à cotiser beaucoup plus tôt que les autres et ce sont en gros les mêmes dont l’espérance de vie est plus courte que la moyenne.
Avant 1982,
un ouvrier avait souvent commencé à travailler à 14 ans et il était sensé faire
valoir ses droits à la retraite à 65 ans, soit 51 ans plus tard, s’il
atteignait cet âge (certains bénéficiaient de retraites anticipées, mais ce
n’était généralement pas le cas des ouvriers de PME, dans le bâtiment par
exemple).
Dans le même temps, des cadres ou des enseignants qui avaient
commencé à travailler à 23 ans ou même plus tard, prenaient leur retraite au
même âge. A cette première inégalité s’en ajoutait une deuxième : les
ouvriers avaient une espérance de vie inférieure de 7 ans de celle des cadres.
Dit autrement, ceux qui avaient
fait les études les plus courtes, ayant généralement les plus bas revenus,
finançaient les retraites de ceux qui avaient fait les études les plus longues,
ayant généralement les revenus les plus élevés !
Le passage à la retraite à 60 ans
a légèrement corrigé cet état de fait en diminuant de 5 ans la durée de
cotisation des ouvriers alors que ceux qui avaient fait des études longues
pouvaient se retrouver à 60 ans sans avoir 37,5 ans de cotisation. La
correction a été accentuée par le passage pour le privé à 40 ans de cotisation,
qui n’affectaient pas ceux qui avait commencé à travailler avant 20 ans et avaient
eu une carrière normale.
La réforme Fillon de 2003 qui
faisait passer les fonctionnaires au régime des 40 ans de cotisation et
instituait le régime dit des longues carrières pour ceux qui avaient commencé
tôt leur carrière, allait donc dans le sens d’une plus grande justice sociale. Cela n’a pas empêché la plupart des syndicats et l’ensemble des partis de
gauche de la condamner. Et j’ai encore entendu tout récemment Marc Blondel
prétendre que notre système est basé sur l’égalité !
Il est vrai que l’opinion
générale est ici derrière les adversaires des réformes, ce qui prouve que
chacun voit d’abord ce qu’il pense être son intérêt. La CFDT qui gagnait plus
de 5% de cotisants supplémentaires par an avant 2003 a payé son appui à cette
mesure de justice sociale de la perte de 10 % de ses adhérents. On comprend
qu’elle soit plus prudente aujourd’hui !
Fort de ses précédents, ceux qui
ne veulent pas toucher au système menacé par ce qui est par ailleurs plutôt une
bonne nouvelle, l’augmentation continue de l’espérance de vie, ceux là n’ont
donc qu’une idée : trouver comment faire payer à d’autres les déficits
annoncés.
On pourrait trouver normal de
faire jouer la solidarité nationale, en faisant payer ceux qui ont les moyens
en faveur de ceux qui ne les ont pas. Et l’augmentation rapide des plus hauts
revenus, ceux du premier centile et surtout du premier millile, l’affaire du
bouclier fiscal, donnent envie d’abonder dans cette idée.
S’il s’agissait de financer le
minimum vieillesse, voire une augmentation de celui ci, il n’y aurait aucune
hésitation à avoir.
Mais la réalité est plus
prosaïque. En 1945, il s’agissait de permettre à des personnes épuisées par de
longues années de travail de ne pas sombrer dans la misère liée à leur
incapacité à continuer à travailler. Aujourd’hui, et c’est souvent exprimé
froidement ainsi, les seniors veulent pouvoir partir en retraite pendant qu’ils
peuvent encore en profiter. Dit autrement, ils veulent avoir des longues années
de vacances au frais de la collectivité. Et c’est bien la réalité, avec une
vingtaine d’années de vie comme retraités en moyenne.
Si c’est possible, tant mieux pour les bénéficiaires. Mais le demande exprimée de fait par les manifestants de jeudi dernier, c’est que les nouvelles années de vie dont bénéficient chaque génération par rapport à la précédente, ces années de bonne forme gagnées grâce aux progrès de l’hygiène et de la santé, soient des années de vacances, et que ce soient d’autres qui payent. On est loin de la demande de solidarité.
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