Le Monde publie une tribune de Bertrand Delanoë sur les retraites, truffée de contre vérités. Comment un homme politique de cette importance et un journal qui se veut de référence peuvent ils en arriver là ? Par incompétence ou parce que le thème pousse à toutes les extrémités ?
Le Monde daté du 8 mai publie dans sa page « débats » un point de vue du maire de Paris, dont les titre et sous titre résument bien l’idée essentielle : Retraite à 60 ans…ou chômage à 50 ans ? L’emploi des seniors, préalable à la réforme. La question n’est pas nouvelle et constitue une objection classique au report de l’âge de la retraite : pourquoi demander aux seniors de travailler plus longtemps alors que les entreprises refusent de les embaucher ?
Le discours tient en trois idées successives et une conclusion :
1 : les plus de 50 ans se retrouvent très souvent au chômage et seul un sur trois est encore au travail à 60 ans
2 : augmenter la durée de cotisation pour la retraite à taux plein se traduit donc mécaniquement par une diminution des pensions, et cela a été le cas après les réformes de 1993 et 2004, qui ont conduit à une baisse de 15%
3 : rien n’a jamais été fait pour augmenter l’emploi des seniors ; les actions du gouvernement sur le sujet sont bidons
Conclusion : avant toute réforme, il faut augmenter l’emploi des seniors, et le maire de Paris fait des propositions pour y arriver
. Le problème est que la personne qui a écrit l’article (on espère qu’il ne s’agit pas réellement du leader socialiste) ne connaît manifestement pas son sujet, ce qui l’amène à écrire des énormités.
La première et la plus importante consiste à affirmer tranquillement que « en 2008, dans notre pays, le taux d’emploi des plus de 50 ans était de 38,3% ». Bien sûr, de la manière dont elle est écrite, cette affirmation n’a pas grand sens. Quand on cible une tranche d’âge, si on met une limite basse mais pas de limite haute, c’est qu’on s’intéresse à tous ceux qui ont plus que la limite basse(ici 50 ans), jusqu’à 115 ans. Si on prend le taux d’emploi des 50/ 100 ans, il faut dire à Bertrand Delanoë que leur taux d’emploi est assez nettement inférieur à 38,3 %. Évidemment, il s’agit d’un chiffre qui n’est calculé nulle part !
Mais l’article nous permet de comprendre que ce n’était pas ce que voulait dire l’auteur : il compare en effet ce taux avec celui d’autres pays, en parlant du taux des quinquagénaires. C’est du taux d’emploi des 50/ 59 ans dont il est question dans l’article.
Le problème est que les chiffres cités, pour la France comme pour les autres pays (Suède, Royaume Uni, Allemagne), ne correspondent pas au taux d’emploi des 50 / 59 ans, mais à celui des 55/ 64 ans, ce qui n’est évidemment pas tout à fait la même chose !
Mais il est tellement plus accrocheur de parler du chômage des 50 ans que de celui des 55 ans ! En réalité, l’emploi des 50/ 60 ans se situe nettement plus haut, à plus de 70%. Il est supérieur à 80 % pour les 50/ 55 ans, à 60 % pour les 55/ 59 ans et inférieur à 20% pour les plus de 60 ans. La chute entre la tranche 50/ 54 ans et la tranche 55/ 59 ans s’explique en majorité par les départs en retraite anticipée et des départs anticipant cette retraite avec l’aide de la dispense de recherche d’emploi.
Pourquoi le Monde a t-il accepté un article avec une telle énormité ? Pas parce qu’il n’a été relu par personne : je sais que ce n’est pas la procédure. Il y a quelques années, une jeune journaliste avait ainsi voulu à toute force modifier un texte de C Blanc publié par le journal, non pas pour modifier sa taille ou le rendre plus clair, mais pour lui faire dire autre chose que ce qu’il voulait dire ! Mais mes lecteurs savent à quel point la rédaction du Monde est fâchée avec les chiffres !
Parti d’une telle manière, il aurait été dommage de ne pas continuer dans les à peu près et les contre vérités, et c’est bien sûr ce que fait l’article.
Il fallait d’abord évidemment, commencer par une affirmation qui est au cœur de l’article « pour une majorité de français, l’inquiétude n’est pas de devoir travailler au delà de 60 ans, mais de ne pas pouvoir garder son emploi jusque-là ». Comme on est dans le ressenti, il est toujours facile de prétendre qu’il s’agit de la réalité. Après tout, contre toute vraisemblance, on a bien la moitié des français qui craignent de finir SDF !
Le problème est que l’affirmation est contredite par les pratiques que l’on peut observer : la majorité des seniors ne craint pas de quitter son emploi avant 60 ans, elle aimerait et espère pouvoir le faire !
Il faut rappeler au préalable deux données essentielles.
La première est que l’emploi précaire ne concerne que très peu les seniors, qui sont beaucoup plus souvent en CDI que les autres tranches d’âge.
La seconde est que le taux de chômage des seniors est plus faible que celui de la moyenne des actifs.
La réalité est qu’une bonne partie (pas tous, et malheureusement pour ceux là) de ceux qui quittent leur emploi avant d’atteindre 60 ans le font volontairement, soit en faisant valoir leurs droits à la retraite (pour cause de carrières longues ou de régime particulier) soit en acceptant un licenciement dans le cadre d’un plan collectif ou d’une procédure individuelle.
L’article continue en affirmant que l’allongement de la durée de cotisation se traduirait, pour tous ceux qui ne font pas partie des 38,3% évoqués plus haut, par une réduction du niveau de la retraite. Et d’asséner un argument massue : après les réformes de 1993 et 2004, à situation identique, une personne partant à la retraite aujourd’hui perçoit une pension inférieure de 15% à celle qu’il aurait perçue ne partant avant ses réformes.
Ne nous laissons pas abuser par la confusion recherchée entre deux réformes assez différentes et regardons les toutes les deux. La réforme de 1993, dite réforme Balladur, a modifié le montant des pensions des retraités, avec le calcul des pensions sur les 25 meilleurs années et non plus les 10 meilleures et avec l’indexation sur les prix et non plus les salaires. Mais cette modification s’est faite indépendamment du fait qu’ils ont eu ou non une période de chômage en fin de carrière. La réforme de 2004 n'a pas que je sache modifié le montant des pensions à taux plein
Apparemment, Delanoë (ou son nègre) ne sait pas qu’en cas de chômage, il y a attribution « gratuite » de trimestre pour le décompte de la durée de cotisation.
La réforme de 2004 a permis à des personnes ayant commencé à travailler très jeunes de partir en retraite avant 60 ans. Pour le reste elle a affecté les fonctionnaires, dont il n’est pas d’usage qu’ils soient licenciés massivement…
L’article continue donc en faisant de l’emploi des seniors un préalable absolu à toute réforme des retraites. Il continue à faire croire que la sortie « précoce et massive » est imposée aux travailleurs, ce qui permet de la qualifier « d’insupportable injuste humaine et sociale ».
Il aborde ensuite un vrai problème, celui de la discrimination contre les seniors. En effet, si le taux de chômage des seniors est inférieur à la moyenne, si une partie d’entre eux s’est mis volontairement dans cette situation pour anticiper le départ en retraite, ceux qui sont au chômage après 50 ans ont beaucoup de mal à retrouver un emploi. Les enquêtes ont montré que l’âge est la principale discrimination à l’embauche.
L’auteur se trouve là devant une difficulté, pour affirmer que personne ne s’est jamais attaqué à ce problème. Il se trouve en effet que le gouvernement actuel a pris des mesures sur le sujet. L’article rappelle donc le principe de la pénalité mise en place en 2010 pour les entreprises qui ne négocient pas un accord. Il lui faut donc affirmer que cette mesure est purement hypocrite. On affirmera donc qu’il n’y a pas de contrôle de l’administration, que la plupart des accords sont rédigés sans en discuter avec les syndicats et se fixent des objectifs dérisoires.
La réalité est évidemment différente. Il y a un contrôle de l’administration sur la conformité des plans ou accords seniors avec la règle qui impose de fixer des objectifs chiffrés et de définir au moins trois actions à choisir parmi six proposées par l’administration. Y aura t-il ensuite des vérifications de l’atteinte des objectifs chiffrés ? On ne le saura que dans trois ans, et il est très possible que le contrôle soit inexistant, mais les entreprises peuvent elles faire un tel pari aujourd’hui ?
Pour ce qui est de la discussion avec les syndicats, elle dépend évidemment des secteurs (et d’abord de leur présence ou non dans l’entreprise). Les syndicats sont dans une situation inconfortable : ils ne sont évidemment pas pour le chômage des seniors mais, comme leurs adhérents et mandants, ils ne tiennent pas spécialement à ce que les départs se fassent plus tard.
Sur le caractère dérisoire des mesures, il est probable que beaucoup d’entreprises ont essayé de négocier à minima. L’auteur a choisi un exemple, pour le montrer, et on imagine qu’il ne l’a pas choisi au hasard : un groupe de la distribution s’est engagé à recruter 0,5% de salariés seniors. A la lecture, ce chiffre paraît en effet dérisoire. Il serait cependant amusant de regarder si la mairie de Paris applique au moins ce chiffre (il est probable qu’elle en est loin).
Demandons nous donc quel serait un chiffre non discriminant. On pourrait demander aux entreprises d’avoir au moins autant d’embauches de plus de 50 ans que de sorties pour cette catégorie, hors départs en retraite. Or, le nombre de départs de seniors est assez faible, les départs de CDI (ce que sont très souvent les seniors) pour licenciement ou démission diminuent avec l’âge. Il y a en moyenne chaque année moins de 10 % de l’effectif des entreprises qui part pour ces causes. Les seniors représentent moins du quart des salariés. Il ne serait donc pas surprenant que les départs annuels de seniors (toujours hors retraite bien sûr) représentent moins de 0.5% de l’effectif.
N’insistons pas sur les propositions du maire pour améliorer la situation. La première (bilans après 45 ans) existe déjà depuis longtemps. La deuxième (moduler les cotisations patronales selon l’âge) ne tient pas compte du fait que les pyramides d’âge sont très différentes d’un secteur à l’autre. Elle n’aurait probablement aucun effet sur les politiques de recrutement des entreprises mais conduirait essentiellement à favoriser les secteurs en décroissance qui ne recrutent pas, au détriment des secteurs en croissance qui recrutent !
Trois idées fausses pour une conclusion qui ne peut donc que manquer de sérieux.
Il y a une réalité incontournable : la gauche au pouvoir ne s’est pas attaquée au problème des retraites et n’a pas agi dans le domaine de l’emploi des seniors. Ce reproche ne peut être fait à la droite et encore moins aux gouvernements en place depuis 2007. Le résultat se retrouve d’ailleurs dans les chiffres : le taux d’emploi des 55 / 64 ans, est en augmentation depuis quelques années (en particulier si on regarde ce que l’INSEE appelle le taux d’emploi sous jacent). Les mesures récentes (sur la dispense de recherche d’emploi ou sur les carrières longues) ont conduit à une augmentation de ce taux en pleine crise. L’age de départ en retraite des fonctionnaires est actuellement en forte augmentation.
A travers cet article et d’autres du même tonneau, on a l’impression de retrouver ce qui avait caractérisé la campagne des nonistes en 2005 : tous les moyens sont bons y compris les pires contre vérités, pour refuser le changement envisagé.
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