Pour faire face à l’augmentation des détenus consécutives au durcissement des lois pénales, le gouvernement lance régulièrement de nouveaux programmes de construction de prisons. Mais l’augmentation continue du nombre de détenus ne permet pas de réduire la surpopulation carcérale
Les dossiers de Sciences humaines donnent la parole à Gilles Chantraine, sociologue qui a écrit plusieurs ouvrages sur l’univers carcéral, dans un article au titre sans ambiguïté : Prison française ? Coupable !
L’entretien avec le sociologue est introduit par une présentation abordant les constructions en cours et complété par deux encadrés, l’un sur la construction des prisons, l’autre sur les caractéristiques de la détention et des détenus.
Quelques chiffres pour commencer : au programme de construction de 13 000 places a succédé un chantier de 17 000 places supplémentaires. Le taux de suicide est de 20 pour 10 000 détenus sur la période 2002/ 2006, soit le plus élevé d’Europe. Il y a actuellement un peu plus de 60 000 détenus mais 90 000 personnes entrent chaque année en prison pour effectuer des peines de moins d’un an.
Le sociologue explique que les établissements sont très divers mais que les constructions les plus récentes privilégient les aspects sécuritaires, notamment par une fragmentation de l’espace.
Il montre ensuite que l’inflation carcérale est le résultat de la politique pénale menée depuis une trentaine d’années, avec des peines de plus en plus longues (peines planchers, peines de sûreté incompressibles…) et une augmentation des flux d’entrées. Au lieu de s’interroger sur cette politique, la réponse à la surpopulation est la construction de nouvelles prisons, mais le programme immobilier ne cesse de courir après les conséquences de la politique pénale.
Il pointe aussi la réduction de la question des « droits des personnes incarcérées » à celle de l’encellulement individuel, qui permet de ramener le discours à celui de la construction de nouvelles prisons. Il explique ensuite comment les inégalités se poursuivent en prison, à partir des différences de milieu social ou de capacité d’innovation.
Gilles Chantraine enchaîne sur la corrélation étroite entre quantité et nature des peines et situation politico économique : la population pénitentiaire s’accroît en période de détérioration du marché de l’emploi.
Il considère que « pendant longtemps, les prisons avaient pour vocation d’être des maisons de correction qui visaient à surmonter la résistance et faciliter la soumission » mais que cette vocation s’effrite aujourd’hui, « une partie de la population cible des prisons n’étant plus une main d’œuvre potentielle en manque de cœur à l’ouvrage mais plutôt une catégorie d’irréductibles inemployables ». Avec la crise, montent la recherche des boucs émissaires et la revitalisation des figures du monstre, et le prédateur sexuel.
Deux mots sur les encadrés. Le premier note qu’il est de plus en plus difficile de construire de nouvelles prisons, les populations locales s’y opposant. Le deuxième explique que la prison sélectionne les jeunes hommes, ouvriers et immigrés ou issus de l’immigration.
Le propos général peut paraître extrême, mais ne doutons pas qu’il s’appuie sur des études solides. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on doit y adhérer forcément. Il est à regretter que l’article, faute peut être de place, ne se soit pas appuyé sur une typologie des détenus qui aurait sans doute éclairé le propos.
Reprenons quelques chiffres donnés par l’administration pénitentiaire. Il y avait au 01/01/2010 en France 61 000 détenus. 84 500 détenus ont été libérés en 2009, dont 82% ont passé 12 mois ou moins en prison. Ces chiffres montrent que les prisons sont d’abord remplies avec de petits délinquants, quand l’image renvoyée par les médias est celle des grands criminels.
Il existe en France 191 établissements pénitentiaires, de taille très diverses, entre les 2855 places de Fleury Mérogis ou les 60 par EPM (établissements pour mineurs). On trouve 106 maisons d’arrêt, 79 établissements pour peine et 6 EPM.
Les maisons d’arrêts ayant vocation à accueillir les détenus non encore jugés et ceux à qui il reste moins d’un an de détention à purger, on comprend que les détenus condamnés à des peines de plus de 1 an sont largement minoritaires. Par exemple, l’établissement de Meaux compte 574 places dans la partie Maison d’Arrêt et 192 dans la partie Centre de détention. La notion de place est bien sûr relative puisque certains établissements sont très largement surpeuplés. Les centres de détention ne sont généralement pas surpeuplés : ce sont les Maisons d’Arrêts qui le sont. Parmi les établissements pour peine figurent ce qu’on appelle des Maisons Centrales, qui abritent des détenus considérés comme dangereux, généralement condamnés à de longues peines. Il en existe 5 de capacité comprise entre 200 et 350, quatre autres établissement ayant un statut intermédiaire entre les Centre de Détention et les Maisons Centrales. Les détenus les plus dangereux, ceux qui font la une de l’actualité, ne représentent donc que 2% des détenus. Si on ne s’intéresse qu’au 80% de détenus qui sont là pour moins d’un an, le discours du sociologue se comprend sans doute différemment. On notera cependant que l’article mélange les genres par exemple sur la segmentation de l’espace. Dans des maisons centrales comme celle d’Arles ou celle de St Martin de Re, il y a deux bâtiments complètement séparés, y compris dans les circuits d’accès et de déplacement.
Quelques mots sur les délinquants sexuels, une catégorie qui a sans doute beaucoup augmenté, non du fait d’une plus grande criminalité mais d’une plus grande répression. On sait qu’ils subissent l’agression des autres détenus. Pour éviter ce problème, l’administration pénitentiaire regroupe dans la mesure du possible les délinquants sexuels de manière à ce que leur nombre supprime ces pratiques. Le fait qu’il y ait 26 établissements de regroupement donne une idée de l’importance du nombre de ces délinquants. Une de mes collègues qui a été juré en cours d’assises me disait que 70% des affaires jugées concernent ce genre de faits. On pourra lire chez Maître Mô des raisons de penser que la prison n’est pas forcément toujours la bonne solution dans ce genre d’affaires.
Il y a aussi de plus en plus de détenus atteints de troubles mentaux plus ou moins importants et / ou plus ou moins toxicomanes : il se dit que cela représenterait jusqu’à 8 détenus sur 10 !
La politique gouvernementale a changé récemment, avec un fort développement des peines alternatives : bracelet électronique ou régime de semi liberté (avec retour le soir à la prison). Ce changement est d’abord dicté par des raisons financières, mais il permet aussi de réduire la surpopulation carcérale et de mieux moduler l’exécution des peines aux situations individuelles (c’est le juge d’application des peines qui fait le choix de ces modalités).
On lira avec profit le point de vue de l’ancien directeur de l’administration pénitentiaire
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