Les dossiers de Sciences Humaines consacrent trois pages à ces banlieues populaires dégradées, sous le titre « y a-t-il des ghettos en France ? ». Le journaliste fait le point de plusieurs thèses sur le sujet et un encadré donne la parole à Julie Sedel, sociologue .
Rappelons que la définition officielle d’une ZUS (zone urbaine sensible) s’applique à des quartiers qui connaissent à la fois la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradés et un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi.
Le journaliste présente d’abord une étude réalisé sur le terrain, dans une cité, par un sociologue, D. Lapeyronnie. Celui-ci montre des personnes en situation d’échec social, vivant le ressentiment d’avoir été relégués dans la cité, habités par un sentiment d’impuissance et de honte, se sentant bloqués hors de la société normale, se méfiant et critiquant tout autant les professeurs, la police et le justice ou les employés des centres sociaux et des administrations. Dans ces quartiers devenus des ghettos, les rapports sociaux s’ethnicisent et chaque individu se définit avant tout par son appartenance à une « race », une culture ou une origine et l’antisémitisme est très présent.
Le journaliste s’interroge ensuite sur l’analyse présentée et se demande s’il faut prendre les personnes interrogées au mot et s’il faut conclure à l’existence de ghettos, comprenant une population « dominée et racialisée ».
Il montre ensuite que les avis
sont partagés, avec d’un coté des chercheurs comme Patrick Simon ou Éric Fassin
et des militants comme ceux du CRAN, qui parlent de ségrégation raciale et de
sentiment d’appartenance à telle ou telle « race », et de l’autre des
chercheurs comme Jean Louis Amselle qui estiment que la qualification de
« race » est plaquée de l’extérieur par le discours politique, sur
une réalité bien plus complexe.
Le journaliste évoque ensuite le
sociologue Loïc Wacquant et son analyse de la notion de ghetto à partir de l’exemple
américain.
Dans l’encadré, Julie Sedel montre à partir d’un exemple comment les médias peuvent caricaturer la réalité des banlieues, en mettant en valeur non pas la diversité de la réalité, mais les exemples individuels qui correspondent à l’image qu’ils se font avant même de commencer le reportage.
Elle explique aussi comment les
débats dans les rédactions autour du thème de l’insécurité sont structurés dans
une opposition entre « réalistes » (citant par exemple Alain Bauer)
et « angélistes » (citant par exemple Laurent Mucchielli) ou entre individualistes (privilégiant la
responsabilité des individus) et sociologistes (insistant sur l’influence des
conditions sociales).
Alors, ghetto ou pas ghetto ?
La thèse du ghetto et de la ségrégation raciale est trop affirmative pour rendre compte de la complexité et sans doute de la diversité des situations. Il me semble qu’un élément majeur de distinction au sein même des ZUS est la situation des transports. Ce n’est pas la même chose de n’avoir qu’un bus toutes les demi heures pour accéder au réseau général de transport où d’être sur une station de métro, d’être à la Courneuve ou dans le 20ème arrondissement : l’isolement de certains quartiers ne se fait pas par des murs comme dans les ghettos d’hier mais par la faiblesse des infrastructures de transports pour ceux qui n’ont pas de voiture.
Et je me retrouve bien dans le
discours de Julie Segel sur les médias, qui m’a rappelé plusieurs expériences
personnelles, mais surtout une très ancienne émission de télévision, il y a
environ 25 ans, tellement caricaturale que les journaux avaient ensuite réagi à
cette caricature. L’émission, sous prétexte de montrer la condition féminine
dans certains milieux, avait longuement présenté une femme qui se trouvait
habiter dans la ville minière où j’habitais, avec des enfants dans la même
école que les miens. Cette femme, remarquée dans notre ville comme
particulièrement miséreuse, était présentée dans le reportage comme
représentative de certaines banlieues !
Mais à défaut de ségrégation
systématique, on peut relever deux phénomènes bien connus
D’abord celui d’une forte
discrimination vis-à-vis de ce qu’on appelle pudiquement les minorités
visibles, en pratique des noirs et des arabes (ou ceux qui leurs ressemblent).
Cette discrimination se voit aussi bien dans les pratiques de recrutement (en
particulier pour les métiers les plus qualifiés) que dans le quotidien des
entrées en discothèques ou des contrôles d’identité.
Ensuite le faible turn-over dans
les ensembles HLM : alors que ces derniers étaient dans les années 60 des
lieux de passage en début de carrière, pour des personnes de niveaux de
qualification divers, ils sont devenus des lieux dont on ne sort que
difficilement, réduisant d’autant la diversité sociale dans les quartiers
concernés, d’autant plus si ce type de logement y est concentré, comme dans les
4000 de La Courneuve.
Les projets ANRU ont, dans le
cadre de la politique de la ville, mobilisé des moyens importants pour sortir
de ces cloisonnements, avec plus ou moins de bonheur. La loi sur les 20% de
logements sociaux par ville, vise le même objectif, avec les résistances que
l’on sait.
Mais on sait bien que le problème
n’est pas qu’urbain. La question de l’emploi est évidemment majeure, avec en
particulier celle des faibles niveaux de qualification : d’après l’article
de Sciences Sociales, dans les ZUS, 66% des actifs de moins de 25 ans sont sans
diplôme ! Cette concentration se traduit aussi dans le niveau moyen des
élèves issus de ces ZUS, et par le fait que les ZEP correspondantes font fuir
les enseignants et regroupent donc des professeurs débutants.
Livres cités :
Les médias et la banlieue Le bord de l’eau / INA par Julie Sedel en 2009
Ghetto urbain, Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui par D Lapeyronnie 2008
Le retour de la race. Contre les
statistiques ethniques Collectif 2009
JM Stébé et H Marchal : Mythologie des cotés ghettos 2009
L Wacquant Parias urbains, Ghetto, Banlieue État 2006
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