Olivier Ferrand met les pieds dans le plat dans un entretien au Monde de ce jour : le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs, il faut donc les faire contribuer à l’effort collectif, notamment par des mesures fiscales. Les réactions des commentateurs montrent que le sujet est brûlant
Olivier Ferrand est président du think tank « Terra Nova », proche du parti socialiste. Son avis n’engage évidemment pas celui-ci, mais ouvre une voie pour l’instant peu explorée
Équilibrer les caisses des retraites, c’est tout simplement assurer l’égalité entre les entrées et les sorties, c'est-à-dire aux frais de fonctionnement près, entre le produit des cotisations par le nombre de cotisants et le produit des pensions par le nombre de pensionnés.
Pendant des décennies, pour augmenter le montant des pensions et faire face à l’augmentation du nombre de pensionnés, on a augmenté le montant des recettes, en pratique, les taux de cotisation (patronal et salarial) appliqué au salaire brut. Ainsi, le taux de cotisation salarié pour la caisse de base, était de 6% début 1977 et de 7,7% dix ans plus tard. Cela signifie que le taux de cotisation a augmenté de plus de 28% sur cette période de dix ans.
Les négociations entre partenaires sociaux pour augmenter ces taux devenant de plus en plus difficiles, la réforme Balladur a réformé en 1993 les retraites du privé, notamment en faisant passer de 37,5 à 40, le nombre d’années de cotisations nécessaires pour une retraite à temps plein.
Il faut noter aussi que cette réforme touchait aussi au montant des pensions. D’une part par le calcul de celles-ci sur les 25 meilleures années et non les dix meilleures, d’autre part par l’indexation des pensions sur les prix et non les salaires.
Par la suite, c’est sur l’âge de la retraite et/ ou le nombre d’années de cotisation que les réformes (que seule la droite a mis en œuvre) ont porté. Le raisonnement est simple : en prolongeant les carrières, on joue à la fois sur les entrées (plus de cotisants) et sur les sorties (moins de pensionnés). On notera cependant que le mécanisme des carrières longues conduisait à raccourcir la carrière de certains.
La gauche, qui a fait passer la retraite de 65 à 60 ans en 1981, est très réticente vis-à-vis de cette mesure. Certains nient l’existence même d’un problème, d’autres proposent d’élargir l’assiette des cotisations au revenu du patrimoine.
Les propos d’Olivier Ferrand sont d’autant plus nouveaux que des voix continuent à s’élever sur les éléments de la réforme Balladur qui ont fait baisser le niveau des pensions. Pourtant, ils s’appuient explicitement sur une réalité qui a été décrite dans le rapport de janvier 2010 du COR, dont j'ai parlé ici.
Le président de Terra Nova note donc que si le montant des pensions est en moyenne inférieur de 9% au salaire moyen, l’écart disparaît quand on ne regarde que les hommes. Ensuite, quand on passe au niveau de vie, c'est-à-dire en tenant compte des éléments de patrimoine, les retraités ont 106% du niveau de vie des actifs. Ce chiffre ne ressort pas du rapport du COR, qui n’est de fait pas d’une grande clarté sur le sujet.
Il faut dire que la comparaison des niveaux de vie est complexe. En effet, on passe de la notion de revenu individuel (la pension) à celle de niveau de vie d’un ménage. Les retraités ont moins souvent des enfants à charge que les actifs, mais ils comprennent des femmes à faible pension (reflet d’une carrière souvent courte) alors que le taux d’activité féminin est élevé parmi les actifs.
Olivier Ferrand affirme ensuite tranquillement (et c’est repris en sous titre par le Monde) que « le niveau de vie de l’ensemble des retraités représente 106% de celui des actifs et 140% de celui des actifs de moins de 55 ans ». Toute personne habituée à raisonner en ordre de grandeur constate que ce dernier chiffre est probablement faux.
En effet, si l’on estime que les actifs de plus de 55 ans représentent 15% du total des actifs (en fait, cela doit être un peu moins), une simple règle de 3 montre que pour que l’affirmation ci-dessus soit juste, il faut que les actifs de plus de 55 ans aient un niveau de vie 3.1 fois supérieur à celui de ceux des moins de 55 ans. Même en tenant compte d’une structure familiale plus légère après 55 ans, cet écart parait énorme.
A moins que les bas salaires partant en retraite plus tôt, les actifs de plus de 55 ans soient surtout des hauts revenus? Mais la comparaison a t-elle alors un sens?
On peut d'ailleurs se demander si, les cadres vivant 7 ans de plus que les ouvriers, la population des retraités est représentative et comparable à celle des actifs?
Autre chiffre qui parait curieux, celui de 93% de la génération 1970 non concernée par l’âge légal de départ à 60 ans, donc qui concrètement n’aura pas ses 41 ans de cotisation à 60 ans, pour avoir commencé à travailler après 19 ans. On parle ici (ce qui n’a pas été ma compréhension immédiate) de ceux qui sont nés après 1970 et qui ont donc eu une scolarité longue : ils auront 60 ans après 2030…
Une fois admise l’idée que le revenu des retraités est élevé, toute l’astuce de Terra Nova est de proposer de jouer sur la fiscalité notamment en l’alignant sur celle des actifs, plutôt qu’une baisse des pensions.. Il est vrai que si on admet de jouer sur cette variable, les modalités peuvent être diverses.
Je retiens aussi cette phrase : « implicitement, on veut garantir la parité du niveau de vie entre retraités et actifs ». C’est en effet un principe intergénérationnel intéressant.
La réaction des abonnés du Monde (a priori mieux informés que la moyenne des citoyens) est intéressante.
Environ un sur 5 a une réaction positive, ce qui parait beaucoup (on sait que ceux qui sont contre s’expriment souvent plus que ceux qui sont pour, quelque soit le sujet).
Les autres principales réactions peuvent se résumer ainsi
Faux socialiste
Faites payer les riches
Ce n’est pas vrai
Les retraités aident leurs enfants
Il y a inégalités entre retraités
On verra si cette idée est reprise ou non par d’autres intervenants....
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