Le critère de mesure des inégalités le plus utilisé consiste à comparer le revenu moyen des 10 % les plus bas à celui des 10 % les plus élevé. On sait que, sur ce critère, la France est assez égalitaire et que ce ratio est stable depuis plusieurs décennies. Mais peut être faut il regarder d’autres critères.
Les dossiers de Sciences Humaines donnent cette fois la parole à Louis Maurin, journaliste à Alternatives Economiques et directeur de l’Observatoire des inégalités. Le choix se révèle heureux, avec un intervenant nuancé, qui a l’intérêt de mettre l’accent sur des faits rarement mis en avant.
Le titre de l’article « inégalités de revenus : est ce la bonne question ? » donne une bonne idée du contenu. Louis Maurin commence par noter que la définition du pauvre comme ayant moins de 60 % du salaire médian (la norme était en France de 50 % jusqu’à l’alignement sur les critères internationaux en juin 2008) conduit à trouver 8 millions de pauvres en France et de fait à mélanger une France modeste avec les habitués des Restaurants du cœur. Dans la foulée, on finit par avoir une vision extensive des classes moyennes en y incluant ceux qui gagnent 4000 euros par mois alors que le salaire médian, dans le privé à temps complet se situe à 1552 euros mensuels en 2006 !
Après avoir noté que les classes moyennes se sentent les oubliés d’un système qui favorise les riches et subventionne les pauvres, il note que les inégalités de revenu ne sont peut être pas la question essentielle (d’où le titre de l’article). Il met l’accent sur le système éducatif français, très compétitif et favorable à ceux qui disposent d’un capital intellectuel. Au passage, il note que les classes « progressistes », généralement intellectuelles (notamment les enseignants), préfèrent regarder les revenus des riches que la situation scolaire qui les avantage, parlent de mixité scolaire mais font tout pour contourner la carte scolaire…
Tout en exprimant son pessimisme sur la possibilité de réformer le système scolaire, il pointe plusieurs propositions : apprendre à lire plus tard (le Danemark le fait à 7 ans), rendre l’école moins académique, réduire la place de la notation, décupler les moyens de l’aide aux enfants en difficulté, unifier les filières…
Dans un long paragraphe, il note que beaucoup des recompositions qui font débat aujourd’hui datent déjà de 20 ou 30 ans : transformations de la famille, insécurité notamment. Il rappelle aussi que la France a gagné trois ans d’espérance de vie depuis dix ans et pointe le mal endémique qu’est le chômage.
Pour finir, il insiste sur les inégalités hommes / femmes de manière très concrète : il considère ainsi que l’un des problèmes majeurs de la société française est le non paiement des pensions alimentaires alors que personne n’en parle. Il note « on ne peut décréter que les hommes passeront davantage la serpillière ; en même temps, je suis étonné que cette question soit ignorée dans les petites classes à l’école, où l’on perpétue des représentations très stéréotypées des rôles fille/ garçon ».
L’article m’a vraiment donné envie de lire d’autres réflexions de Louis Maurin. Il est vrai que je me méfie du discours sur les inégalités de revenu qui bloque les réflexions sur le SMIC dont le niveau relatif me paraît un facteur important de chômage. Et que par ailleurs je suis très inquiet de la manière dont l’école fabrique encore en grand nombre des jeunes non qualifiés et de fait exclus du système très tôt.
Le linguiste Bentolila considère que pour apprendre à lire, il faut maîtriser un vocabulaire suffisant pour comprendre ce qu’on lit, soit à son avis au moins 1200 mots. Il vaudrait mieux en effet apprendre à lire plus tard (en acceptant peut être des vitesses différentes). La remarque de Louis Maurin sur la bourgeoisie intellectuelle et son conservatisme m’a fait penser à ces instituteurs qui refusent scandaleusement d’appliquer les deux heures d’aide individuelle et qui en plus se prennent pour des héros de la désobéissance civique !
Les remarques sur les femmes m’ont fait penser à un article que j’avais écrit sur les constats Suédois concernant l’éducation fille / garçon. Et la remarque sur les pensions alimentaires rejoint un point de vue personnel : il n’est pas sûr du tout que les femmes, qui sont pourtant à l’origine de 80 % des divorces, soient vraiment gagnantes des transformations du modèle familial.
En tous cas, un des articles du Dossier de Sciences Humaines qui m’a le plus intéressé.
Louis Maurin est l’auteur de « Déchiffrer la société française » 2009
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