L’impôt sur le revenu est le principal impôt progressif dans notre pays, et donc un instrument redistributif efficace. Dans tous les pays développés, son taux marginal a été baissé dans les trente dernières années. Faut il revenir sur cette tendance et est ce possible ?
Les dossiers de Sciences Humaines analysent cette fois ci les propositions de Thomas Piketty et Emmanuel Saez sur le sujet. Les deux pages consacrées au « retour de l’impôt » permettent de faire un peu d’histoire puis d’exposer rapidement les thèses des deux économistes.
Avant d’exposer les principales idées du dossier, rappelons le fonctionnement de l’impôt sur le revenu. Celui ci fonctionne généralement par tranche de revenu. Une première tranche de base, généralement faible (voire nulle) supporte un taux 0 donc entraîne un impôt nul. La tranche supérieure supporte un taux léger, puis la tranche encore supérieure un taux plus élevé. Par exemple on pourrait avoir une tranche de 10 000 euros à 0 %, une tranche de 20 000 euros à 25 %, une tranche de 20 000 euros à 50 % et le reste au taux de 75 %. Une personne ayant un revenu annuel de 90 000 euros verserait 0 sur les premiers 10 000, 5 000 euros sur les 20 000 suivant, 10 000 euros sur la tranche suivante et 30 000 euros sur les 40 000 de sa dernière tranche, ce qui ferait un total de 45 000 euros. Son taux moyen d’imposition serait donc de 50 %, les 75 % versés sur la dernière tranche composant son taux marginal d’imposition. C’est essentiellement du taux marginal qu’il va être question ici.
Roosevelt avait monté le taux marginal aux USA à 90 %. Après la guerre, on trouvait des taux aussi élevés dans les pays scandinaves et au Royaume Uni. Mais au début des années 80, la plupart des pays ont baissé leur taux marginal. Déjà ramené à 70 % dans les années 70 aux USA, il n’y est plus que de 35 %. En France, il a été ramené de 60 à 40 % sans même parler des effets du bouclier fiscal.
Les partisans de cette baisse ont couvert les logiques d’intérêt des plus taxés par des arguments économiques d’efficacité : trop d’impôt tue l’impôt a expliqué l’économiste reaganien Arthur Laffer, en faisant sur le coin d’une nappe de restaurant ce qui deviendra la courbe de Laffer. Au dessus d’un certain taux, l’effet de découragement à travailler plus et le développement de la fraude conduisent à une réduction de l’impôt perçu quand on augmente le taux.
On imagine assez bien en effet que si on passe de 99 % de taux marginal à 100 %, les personnes imposés n’ont aucun intérêt à gagner dans la tranche imposée à 100 %. Mais en dessous de ce taux maximal, où se trouve le taux idéal qui correspond au maximum de la courbe de Laffer ?
Piketty et Saez ont montré que les effets attendus par Laffer n’étaient pas démontrés par les études empiriques, le cas des joueurs professionnels qui peuvent choisir leur pays de travail sur des critères de fiscalité constituant plutôt une exception. Pour eux, dans le cas de la France, il serait possible sans difficulté de monter le taux marginal pour les 1% de plus hauts revenus à 75 %. Ils proposent de passer déjà à 60 %, au moment où les USA d’Obama et le Royaume Uni de Brown s’apprêtent à augmenter leurs propres taux.
Les auteurs estiment que c’est le seul moyen de mettre fin aux rémunérations exorbitantes des grands patrons. Ils proposent de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG pour créer un impôt progressif et retenu à la source. Ils recommandent cependant, et c’est la fin de l’article, de nettoyer le système de toutes les niches fiscales et autres abattement, y compris le système du quotient familial.
Je suis tout à fait partisan de ce nettoyage des niches fiscales et des abattements, qui contribuent au flou et au sentiment d’inégalité concernant notre système. Je n’en dirai pas autant du quotient familial, mais la question mériterait un plus long développement.
Je suis assez surpris du raisonnement consistant à dire qu’un taux marginal plus élevé ferait baisser les rémunérations des grands patrons : on pourrait s’attendre à l’effet inverse. Un argument cependant en faveur de ce raisonnement, est le constat que la montée forcenée de ces rémunérations a à peu près coïncidé avec la baisse des taux marginaux.
Un autre problème, que j’imagine les deux économistes analyseront dans leur ouvrage promis pour fin 2010, est celui des transferts entre modalités de rémunération. Un dirigeant de PME peut se verser un salaire et / ou des dividendes : pourquoi la fiscalité favoriserait elle l’un ou l’autre de ces choix ? Un dirigeant de grandes entreprises peut se voir verser un bonus sur résultat ou des stock options. La deuxième solution se traduit de fait par des impôts sur les plus-values, impôts relativement légers et en tous les cas non progressifs : comment éviter les transferts entre systèmes aux dépens de la collectivité ?
Pour finir, comment définir un taux juste ? Dans l’affaire, ceux qui ont plaidé pour le bouclier fiscal en mettant en avant le cas de la pauvre vieille propriétaire de son appartement parisien ou celui de l’agriculteur de l’île de Ré, ne sont pas très crédibles, mais les Français qui sont tous d’accord pour faire payer ceux qui sont plus riches qu’eux le sont ils plus ?
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