La crise économique a fait remonter le nombre de chômeurs à un niveau oublié depuis 10 ans, ces 3 millions de chômeurs atteint au début des années 80 et au milieu des années 90. Les perspectives de retournement sont encore éloignées, et le retour timide de la croissance s’accompagne d’une prévision d’augmentation du chômage en 2010.
Les dossiers de Sciences Humaines consacrent 3 pages au retour du chômage aux années 90. L’article, écrit par une économiste de l’OFCE, Marion Cochard, explique qu’après être passé de 3 à 11% entre 1975 et 1997, le taux de chômage a nettement baissé à la fin des années 90 puis dans les années qui ont suivi pour se retrouver à 7% début 2008.
L’auteur note ensuite que la forte proportion d’emplois précaires dans l’économie a permis aux entreprises d’adapter rapidement leurs effectifs à la crise, conduisant à une brutale augmentation du chômage, au détriment des jeunes et des peu qualifiés. Elle ajoute que l’ajustement n’est cependant pas terminé, et que les entreprises sont maintenant en train de diminuer leurs effectifs, pour rétablir leur productivité mise à mal par la crise. Elle conclut en prévoyant que le nombre de chômeurs pourrait se situer durant plusieurs années au niveau des trois millions.
Au delà de ces chiffres, l’article est doublement décevant. D’abord parce qu’il laisse croire que ce qui crée de l’emploi, ce sont les emplois aidés et qu’il suffirait d’avoir des emplois moins précaires pour qu’il ne baisse pas. Ensuite parce qu’il ne donne pas de clés de lecture pour comprendre les causes du chômage important que nous connaissons depuis 30 ans.
Rappelons donc quelques faits : les chocs pétroliers de 1973 et 1979 sont encaissés uniquement par les entreprises, et le chômage, qui se situe autour de 500 000 à 600 000 personnes au début des années 70 se met à grimper. Avec les mesures prises par la gauche à son arrivée au pouvoir en 1981 et 1982, la part des salaires dans la valeur ajoutée se situe 10 points au dessus de ce qu’elle était 10 ans auparavant. Évidemment, les entreprises et l’emploi trinquent. En 1984, la Régie Renault perd 10 milliards de francs et le chômage touche plus de 2 millions de personnes.
Le tournant de la rigueur de 1983 n’est évidemment pas la cause de la montée du chômage comme le laisserait penser une lecture rapide de l’article de Sciences Humaines. Il permet au contraire de rétablir les finances des entreprises, ce qui se traduit enfin début 1985 par une reprise des créations nettes d’emploi.
Malheureusement, l’économie française n’a pas réussi depuis à résorber les 1.5 millions de chômeurs supplémentaires qu’a coûté cet épisode. Pire, pendant certaines périodes, en particulier au moment de la crise de 1993 à 1997, le nombre de chômeurs a dépassé les 3 millions. La forte croissance de la fin des années 90 se traduit cependant par de très nombreuses créations d’emploi, et on s’est mis à espérer, comme le note l’article, à un retour au plein emploi. C’est ainsi que le rapport sur l’emploi à l’horizon 2010, rédigé en 2001, prévoit un taux de chômage de 5 % en 2010, grâce à la croissance d’une part, aux nombreux départs du papy boom d’autre part : à l’époque on annonce une pénurie de cadres à partir de 2005 !
Ce discours sur le papy boom, qui bien sûr s’est révélé faux, illustre l’idée fausse sur laquelle se sont construites la plupart des politiques de l’emploi depuis 1975 : tout se passe comme si on considérait que l’emploi est un gâteau fixe, qui ne peut augmenter (sauf avec des simili emplois, des TUC aux emplois jeunes) mais peut diminuer. Il faut donc empêcher qu’il diminue (donc Chirac installe le contrôle administratif des licenciements en 1974), diminuer le nombre des convives (d’où la retraite à 60 ans puis les pré retraites, les congés parentaux, l’aide au retour pour les immigrés etc.) et diminuer leur part (aides au temps partiel puis 35 heures).
La réalité est pourtant tout autre : à partir de 1986, l’emploi salarié n’a cessé d’augmenter dans notre pays, dans des proportions importantes. La phrase de François Mitterrand en 1993, citée par l’article, « contre le chômage, on a tout essayé » illustre l’échec de politiques s’appuyant sur un mauvais diagnostic, ce qui a conduit Nicolas Baverez à ajouter « sauf ce qui marche » !
La bonne question, ce n’est pas de se demander comment empêcher l’emploi de diminuer, mais de se demander ce qui l’empêche de grossir plus vite !
Bien sûr, il faudrait distinguer le chômage conjoncturel et le chômage structurel (et pourquoi pas le chômage frictionnel !)
La récession de 2008 a créé un important chômage conjoncturel, et sa disparition dépendra de la vigueur de la reprise. Marion Cochard met en avant une rapidité de l’impact sur l’emploi en raison de la précarité de certains emplois. Il est vrai que cette adaptation est plus rapide qu’il y a 30 ans, mais il faut bien regarder de quoi on parle.
Le chômage touche 3% de la population active de plus qu’il y a deux ans. Mais environ 5% de la population active est entrée depuis moins de deux ans dans la vie active. En moyenne les sorties de l’emploi sur un an correspondent à 45% des effectifs et 15% des salariés sont au premier janvier dans une entreprise différente de celle où ils étaient un an avant. Si on raisonne sur deux ans, l’adaptation n’a rien eu d’extraordinaire.
L’adaptation de l’offre d’emploi à la demande se fait mal : il y a des pénuries dans certains métiers et du chômage dans d’autres. Le chômage structurel a régulièrement augmenté jusqu’au milieu des années 90. depuis, il ne semble pas se modifier. On peut en effet le mesurer en regardant le nombre d’emplois considérés comme difficile à pourvoir dans l’enquête « Besoins de Main d’œuvre ».
La proportion de ces emplois difficiles à pourvoir varie entre 40 et 60 % selon les années. Dans les années 2000, sa variation a accompagné l’évolution du chômage (de manière inverse bien sûr) mais en repassant par les mêmes montants (pour un taux de chômage donné, le taux de difficulté est constant). Bonne nouvelle, cela signifie que le chômage structurel n’augmente plus. Mauvaise nouvelle, cela signifie qu’il ne baisse pas , alors qu’il est à un niveau élevé, proche de 7%.
Pourquoi ce chômage structurel élevé ? On peut citer qualitativement plusieurs raisons, mais il serait intéressant d’en connaître le poids respectif.
D’abord, une mauvaise orientation scolaire, en particulier pour les filles, trop souvent orientées pour les moyennement qualifiées vers des métiers sans trop de débouchés.
Ensuite trop de jeunes sortant sans qualification du système scolaire, et ce sera de plus en plus un problème pour les garçons, dont les débouchés en emplois non qualifiés diminuent.
Autre problème, des acteurs qui sont trop difficiles, les entreprises parce qu’elles sur qualifient l’embauche (mauvaise habitude prise dans les années 80), et certains salariés qui ne vont pas assez vers les métiers où il y a du travail.
Un collègue me citait ainsi l’exemple d’une grande entreprise où le turn-over est très faible(c’est souvent le cas dans des entreprises qui pratiquent des salaires plus élevés que le marché)) et qui a fait récemment un plan de départs volontaires. Une partie importante de ceux qui sont partis avec un gros chèque n’ont pas trouvé d’emploi, parce qu’ils sur estiment leur valeur sur le marché du travail et se croient supérieurs car venant de l’entreprise en question !
Dernière cause possible, mais c’est une hypothèse personnelle, l’inadaptation d’une partie des jeunes au marché du travail : marché très exigeant, en particulier aujourd’hui en termes de comportement (autonomie, relationnel, énergie…) et auquel certains jeunes habitués au confort parental et aux règles souples de la fac ont du mal à s’habituer. Quand le marché est porteur, ces jeunes occupent plusieurs emplois successifs qui leur permettent de gagner en maturité, mais en période de crise, les difficultés rencontrées dévalorisent durablement leur CV pour la suite de leur carrière.
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