La population active métropolitaine aurait augmenté de 1 million de personnes entre 2003 et 2008 d’après l’enquête emploi de l’INSEE. Ce résultat surprendra ceux qui en étaient restés aux très sérieuses études parues fin 2002, qui prévoyaient une pénurie de main d’œuvre d’ici 2010, en raison d’une quasi stabilisation de la population active et des nombreux départs du papy boom.
Aurait augmenté : le conditionnel est de mise car les chiffres fournis par l’INSEE contenant des erreurs manifestes (voir par exemple la ligne sur le nombre de chômeurs de 15/ 24 ans), la prudence est de mise. Cependant, l’INSEE faisant un titre de cette augmentation de la population active, on fera l’hypothèse que l’affirmation est juste, et que le reste n’est qu’une erreur de saisie.
Le rapport Seibel sur l’évolution
des métiers à l’horizon 2010 donnait des indications très intéressantes sur les
emplois en croissance ou en décroissance, mais partait sur une hypothèse
globale qui s’est révélée fausse. Son hypothèse centrale était que la
population active augmenterait de 300 000 unités à l’horizon 2010. Le rapport
envisageait des risques de pénurie dans certains métiers.
Des variantes à cette hypothèse
globale estimaient l’impact d’un doublement des flux migratoires (+220 000),
d’une baisse sensible du chômage à 5% (+ 400 000) ou d’une hausse de la
population active féminine (+60 000).
L’étude de la DARES à l’horizon
2015, parue fin 2006, faisait déjà le constat qu’on ne se trouvait pas dans la
situation prévue par le rapport précédent : la croissance plus faible que
prévue avait conduit à un chômage plus fort qu’espéré. Et l’étude
s’appesantissait notamment sur la difficulté de faire bouger l’âge de fin de
carrière, qui restait désespérément bloqué autour de 58.5 ans depuis une
quinzaine d’années.
Aujourd’hui, l’INSEE nous
explique que la croissance de la population est en grande partie due à
l’augmentation de la population totale, mais aussi à l’augmentation du taux
d’activité féminin, alors que le taux d’activité masculin est en baisse.
En première lecture, cette explication est étonnante : l’évolution de la population totale apparaît comme prévisible !
Il est vrai que le nombre annuel de naissances a un peu augmenté. Au total, l’accroissement naturel annuel moyen sur la période 2003/2008 (+286 en milliers) se situe au dessus de celui de la période 1999/2003 (+247). Le solde migratoire, lui n’a guère changé : +434 milliers sur 5 ans, contre 429 milliers sur les 5 années précédentes.
L’explication par le taux
d’activité obscurcit plus la question qu’elle ne l’éclaire.
En effet, il s’agit
ici du taux d’activité des plus de 15 ans. L’augmentation du nombre de
naissances se traduit pas une diminution mécanique de ce taux. Celui-ci exclut
les plus jeunes mais comprend le plus âgés.
La part des moins de 15 ans et
des plus de 65 ans est en augmentation en France, du fait d’une augmentation de
la natalité d’une part, de l’allongement de la durée de vie d’autre part.
En réalité, ce qui compte
évidemment, ce sont ceux qui sont en âge d’être actifs car ni trop jeunes ni
trop vieux. Habituellement, on s’intéresse donc aux 15/ 64 ans.
Reprenons donc le problème en le prenant par le bon sens.
En 2002, que donne l’examen de la
situation démographique et ses conséquences sur la population au travail ?
Si on considère que la population
active va jusqu’à 65 ans, ceux qui vont dépasser cet âge sont nés après 1938
(2003-65) et jusqu’à 1943 si on vise l’horizon 2008. Cela correspond aux
classes les plus creuses de la période 1920/ 2000, avec moins de 600 000
naissances par an. Du fait de la mortalité entre 0 et- 65 ans, la population
concernée est évidemment encore plus faible : à 60 ans, il reste environ
90% des classes d’âge, à 70 ans 80%,. Si on prend donc 85% à 65 ans, le nombre
de ceux qui dépassent 65 ans chaque année entre 2003 et 2008 est donc plus
proche de 500 000. (ce chiffre ne prend pas en compte l’immigration)
Ceux qui vont atteindre 15 ans
dans la période 2003/ 2008 sont nés entre 1988 et 1993, période où la natalité
s’affaiblit mais reste supérieure à 700 000 naissances par an.
Donc sur la période, on peut s’attendre à un accroissement de la population des 15/64 ans supérieure à 1 million, auxquels il faut ajouter la part des 15/64 ans dans l’immigration, soit une fraction non négligeable de plus de 400 000 personnes.
Si on prend un taux d’activité
dans la population des 15/64 ans, d’environ 70%, il fallait donc s’attendre à
une augmentation de environ 1 million de la population active sur la période.
On notera que c’est ce qui s’est produit !
Mais les membres du groupe de
travail dirigé par Seibel ont assez normalement raisonné autrement. Constatant
que l’âge de fin de carrière se situait en fait autour de 58 ou 59 ans plutôt
que 65 ans, ils se sont intéressés à ceux qui atteindraient cet âge entre 2003
et 2008.
Or il s’agit de ceux qui sont nés entre 1945 et 1949, soit la génération du baby boom ! Soit 850 000 naissances par an, à corriger de 10% de décès avant 60 ans, on trouve encore plus de 765 000 personnes à comparer aux 500 000 environ de tout à l’heure : sur 5 ans, l’écart est de 1.3 millions ! On comprend que même en tenant compte du taux d’activité de 70% pour corriger ces 1.3 millions, la prévision d’augmentation se soit limitée à 300 000 !
On pourrait expliquer autrement
le raisonnement : le taux d’activité des 60/64 ans est très faible, et
leur nombre va fortement augmenter, le taux d’activité des 15/64 ans va donc
baisser !
Au passage, remarquons qu’on
aurait également pu objecter sur la limite de 15 ans, mais là, le changement
d’âge limite n’a guère d’impact.
Maintenant qu’on a compris
l’analyse de départ, regardons ce qui s’est passé réellement.
Pour que le taux d’activité des
15/64 ans reste à peu près constant, alors que le nombre des 60/64 ans
augmentait de plus de 1 million, il a fallu d’une part que le taux d’activité
féminin continue à augmenter, et que d’autre part l’âge de fin de carrière
finisse par augmenter, les différentes lois dans ce domaine ayant fini par
payer.
Raisonner comme si toutes les
données de base étaient constantes ne pouvait donner qu’un résultat peu fiable,
et la meilleure leçon a tirer, c’est celle de la plasticité des constituants du
fonctionnement de l’économie.
Encore évidemment que cette plasticité soit limitée et que les évolutions constatées aillent dans le sens qu’on connaissait depuis longtemps (l’augmentation de l’activité féminine) ou dans le sens qu’on recherche depuis longtemps (l’augmentation de l’âge de fin de carrière).
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