France 3 diffusait lundi et mercredi sous ce titre un documentaire très engagé dont je n’ai vu que le premier épisode. Sur des sujets importants, le plus étonnant est l’idée sous jacente que « c’était mieux avant ». Mais d’autres points étaient très discutables
Pour ceux qui n’ont pas vu ce premier épisode, il s’intéressait à deux situations :
Celle d’anciennes salariées d’un magasin Intermarché qui étaient aux Prud’hommes pour licenciement abusif (notamment pour fait syndical)
Celle de l’entreprise Carglass, dont le système de management était présenté comme aliénant
Le documentaire était suivi d’un court débat avec notamment François Chérèque
Le documentaire était porteur d’une thèse, assez explicite dans son titre (la mort du travail) et dans les commentaires. Dès le départ, on expliquait que la France est le pays où la productivité horaire est la plus élevée du monde (ce qui est vrai) et que cela se payait dans les conditions de vie au travail de tous, ce que le documentaire était sensé démontrer.
Le problème avec un film à thèse, c’est qu’on est vite persuadé que le réalisateur a sélectionné les faits qu’il a choisi de montrer pour illustrer sa thèse, et qu’il a trié dans ce qu’il a filmé ce qui pouvait aller dans son sens et rejeté ce qui n'y allait pas. Et c’était vraiment le sentiment que cela donnait lundi.
On trouvera dans ce rapport du Sénat une comparaison de la productivité dans les différents pays et selon les indicateurs choisis. On y voit que la France a toujours été en tête mais que l’écart avec l’Allemagne est apparu au début des années 80. Actuellement cet écart est de 10% avec l’Allemagne, et supérieur avec les autres pays.
L’explication habituelle des économistes est que la France a fait le choix de fait d’écarter du monde du travail les jeunes, les vieux et les moins qualifiés, globalement les moins productifs. Le fait que le décrochage se fasse au début des années 80, au moment où le chômage des non qualifiés a explosé et où l’âge de la retraite est passé de 65 à 60 ans, va dans le sens des explications habituelles.
La séquence sur Intermarché insistait sur le cas de plusieurs salariées (caissières notamment) qui contestaient leur licenciement
Comme l’a expliqué F Chérèque ensuite, les personnes qui ont acheté le magasin se sont sans doute fortement endettées pour cela, ce qui explique (sans le justifier évidemment) leur comportement.
Il y avait souvent, chez les créateurs des grandes surfaces qui se sont créés dans les années 80 notamment, une forte idéologie qu’on ne qualifiera guère de sociale. Pour ces adhérents de groupement du type Intermarché, Leclerc ou Super U, il y avait l’occasion de faire fortune au prix de beaucoup de travail.
La conséquence était souvent un mépris de leurs salariés selon l’idée que s’ils ne gagnaient pas plus, c’est qu’ils n’avaient pas leurs qualités d’entrepreneurs et de bosseurs.
Le syndicat est évidemment le diable puisqu’il vient mettre des bâtons dans leur action d’entrepreneurs, d’autant plus méprisable qu’il essaie de faire que les gens gagnent plus, non par leur travail, mais par leur action syndicale.
Comme on le voit, une idéologie pas super sociale. Je ne serais pas étonné que la directrice mise en cause soit dans ce genre d’idées. Ce qui ne veut pas dire que les salariés licenciés soient sans reproche.
Par exemple, l’une des salariées a été présentée comme licenciée parce qu’elle avait voté au premier tour des élections professionnelles. Or on apprend à la fin que son licenciement n’a pas été remis en cause par les prud’hommes, donc qu’il y avait d’autres choses dans le dossier, qui ne nous ont pas été présentées par le documentaire.
On notera en passant que le fait de gagner ou perdre aux prud’hommes prouve surtout qu’on a pensé à réunir des éléments écrits de preuve ou qu’on a eu la faiblesse de faire des actes sans prendre de précaution juridique, les remarques précédentes pouvant valoir pour les salariés comme pour les employeurs.
Carglass était présentée de l’intérieur, la société ayant accepté d’ouvrir ses portes à ce qui lui avait été présenté comme un documentaire sur « la France au travail ». Là où le directeur France, ancien DRH, présentait un modèle de management, basé sur la recherche de la meilleure qualité du service client possible, le réalisateur voyait un symbole d’aliénation, trompant les salariés sous le prétexte de la qualité client quand en fait la priorité est donnée à la rentabilité.
Deux méthodes de management peuvent en effet choquer le téléspectateur à travers les images sélectionnées.
On voit un séminaire de formation pour les responsables de centres de réparation. Le formateur joue manifestement avec le registre des émotions, avec des modes d’expression très physiques, qui peuvent facilement verser dans la manipulation. Pour le réalisateur, il n’y a pas de doute là-dessus. Je me méfie personnellement assez des formations type saut à l’élastique ou autres, mais il faut ici essayer de creuser.
De ce qu’on voit dans le reportage, le résultat le plus frappant est que les participants doivent comprendre l’intérêt de motiver positivement les salariés et comprendre les réactions négatives que chacun peut avoir devant des reproches, surtout s’ils sont pas ou peu fondés. Ce n’est pas ce qu’on peut faire de pire comme méthode de management !
Deuxième sujet, une prime de qualité de service qui est attribuée en fonction d’enquêtes permanentes auprès des clients. Ces primes vont en priorité aux équipes les plus performantes. D’après ce qu’on comprend de ce qu’affirme le commentaire mais aussi de ce que dit le DG, le montant total des primes distribuées est fixe : ce n’est donc pas la valeur absolue de la qualité qui fait la prime, mais la place de l’équipe au sein de l’entreprise. Ce n’est pas un examen mais un concours, qui organise la compétition en interne
Ce mode de management est sans doute assez répandu et on ne peut l’approuver. Le documentaire explique qu’il y a la même logique de mise en compétition à l’embauche, mais la séquence filmée ne permet pas réellement de le comprendre.
Par contre, l’impression donnée par les images est celles de salariés plutôt de bonne humeur. Si on avait seulement les images et pas le son, on conclurait que les choses se passent plutôt bien.
Venons en maintenant à d’autres séquences que je vais reprocher au réalisateur.
La première montre un salarié qui explique qu’il a pu se faire des amis dans l’entreprise. Un zoom montre ensuite qu’il est seul en train de se sustenter dans un espace cafétéria.
La seconde présente un responsable de centre, allant à son travail le long de la nationale. Le commentaire explique que le rêve de jeunesse de ce cadre était de travailler dans un centre équestre et qu’il se trouve maintenant loin de la nature
La troisième montre un ouvrier qui discute avec la reporter à propos de la prime, puis qui semble se sentir piégé : il demande d’arrêter de filmer.
Dans les trois cas, le réalisateur a bénéficié de la confiance des salariés et il trahit cette confiance dans son reportage. Comment qualifier ce comportement, sinon pour le condamner ?
Et comment le réalisateur peut il donner des leçons de management aux autres après de telles méthodes ?
Ceux qui ont lu le livre de J Steinbeck « en un combat douteux » se souviennent peut être qu’à la fin du livre, le leader syndical professionnel utilise le cadavre d’un homme assassiné pour soulever les grévistes, et les pousser dans un sens justement contraire à ce que voulait la personne assassiné. D’où le titre.
Le documentaire m’a donné cette même impression de combat douteux.
Plus globalement, il ressort des commentaires l’idée que l’évolution de l’organisation du travail et du management est négative, ce qu’on peut traduire par l’idée que « c’était mieux avant ».
Le documentaire évoque une idée déjà présente, me semble t-il, dans des écrits de C Desjours, celle que les collectifs de travail ont disparu.
J’avoue ne pas comprendre sur quoi repose cette affirmation. Il est vrai que l’une des évolutions les plus négatives ces dernières années dans le travail, c’est le développement du travail posté ou à horaires décalés. Mais cela ne supprime pas forcément le sentiment de faire partie d’un collectif de travail. Les nouvelles organisations, au moins dans l'industrie, favorisent plutôt le travail en équipe et la coopération. A noter que la prime qualité évoquée plus loin se faisait par équipe et non individuellement.
N’oublions pas que la section syndicale n’est acceptée dans l’entreprise que depuis 1968 et qu’on a connu des cas de chasse aux syndicalistes chez Peugeot largement après cette date. C’est JM Folz, patron jusqu’en 2006 qui en a réhabilité certains
Il est vrai que la réalité des entreprises a beaucoup changé depuis 30 ans. D’abord avec une certaine régression industrielle et le fort développement des services. Ensuite avec l’importance de plus en plus grande donnée à la relation, au sein du processus interne ou face aux clients.
Dans cette évolution, il y a certainement des dérives ici ou là. De là à dire que la situation a empiré partout, il y a un pas que seuls les convaincus d’avance franchiront.
En réalité, le travail est globalement moins physiquement fatiguant qu’il y a 40 ou 50 ans. D’autres difficultés sont maintenant mises en évidence, comme le stress par exemple.
Il est difficile de savoir si ces difficultés sont simplement plus regardées qu’avant ou si elles ont réellement augmentées. Mes souvenirs personnels ont trait à des conditions de travail infiniment plus dures qu’aujourd’hui, avec des rapports hiérarchiques très rudes. Mais je reconnais que tout cela n’était pas forcément représentatif.
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