Hughes nous propose de réfléchir plutôt que de réagir émotionnellement à la question du lien entre la vie en entreprise et suicide, question dont on parle aujourd’hui à propos de France Télécom, hier à propos des prisons, avant-hier de Renault. Réfléchissons donc !
La première
chose à faire est probablement de parler chiffres. Parce que 24 suicides sur
l’effectif de France Télécom en 18 mois, c’est dans la moyenne, beaucoup,
énorme ?
Rue 89 s’est posé la question il
y a déjà près de deux semaines. L’article part du taux de suicide en France
dans la population des 25/64 ans, soit 21.6 pour 100 000 habitants. On notera
ici que le choix de mettre la limite à 64 ans augmente le taux car le taux de
suicide augmente avec l’âge.
L’article observe qu’il y a eu 12
suicides en 2008 chez France Télécom, pour un effectif de 102 254 employés,
soit un taux de 11.7 pour 100 000, presque la moitié du taux français. D’autres
calculs montrent que le taux est encore plus faible chez Renault ou Airbus
En effet, ce taux apparemment
modéré ne dédouane pas forcément l’entreprise : peut être est il élevé
pour des gens en emploi et qu’il est beaucoup plus élevé pour les chômeurs.
L’article ne conclue donc pas.
Il est possible et même probable
que le taux de suicide des chômeurs soit plus élevé que celui des personnes au
travail mais cela ne suffit pas à diviser par deux le taux en entreprise. Pour
diviser par deux ce taux avec environ 8% de chômeurs, il faudrait que le taux
de suicide dans cette population soit 12 fois plus fort que la moyenne, ce qui
parait énorme !. On notera que le taux de suicide en prison (115 en 2008
sur environ 60 000 détenus), est environ 9 fois plus élevé que la moyenne
nationale
Le billet de Rue 89 précise aussi
que les décès par suicide étaient plus élevés chez France Télécom en 2002, avec
un taux de 20.5 pour 100 000 employés (29 suicides sur l’année)
Avec de tels chiffres, on se
demande si la polémique est légitime !
Et pourtant, on ne peut que
souhaiter diminuer le nombre de suicides. Peut être que la polémique est le
signe positif d’une volonté d’agir, comme l’émotion entretenue par les médias
en 2002 sur les accidents de la route avait contribué à faire baisser ceux-ci,
en rendant plus légitime les actions sur la vitesse excessive
Or justement, regardons les
chiffres du suicide en général, là et là
En 2006, il y a eu environ 10 400
suicides en France, soit une baisse de 20% en 25 ans, mais un taux nettement
plus élevé que chez nos voisins. 2% des décès sont dus à un suicide (mais 2,9%
pour les hommes et 1% pour les femmes). Cette proportion est nettement plus
forte chez les jeunes (jusqu’à 1 sur 5), non comme on le croit souvent parce
que les jeunes se suicident plus, mais parce qu’ils meurent beaucoup moins. En
réalité, le taux de suicide augmente régulièrement avec l’âge : il était
en 2006 de 10 pour 100 000 habitants pour les hommes de 15 à 24 ans, de 40.1
pour ceux de 45 à 54 ans et de 100.2 pour ceux de plus de 85 ans.
Mais revenons pour finir à France
Télécom. Je lisais dans un commentaire d'un article de Raveline sur le suicide et les
fonctionnaires (où l’idée qu’on s’en fait) l’idée que les dirigeants de FT
avaient une conception assez spéciale de ce qu’on a le droit de faire dans le
privé, avec des méthodes qui laisseraient baba les américains
J’ai en effet souvent été frappé
de voir comment dans la fonction publique les dirigeants pouvaient se
désintéresser totalement des personnes dont ils étaient les supérieurs
hiérarchiques. Pas de sanction pour les comportements anormaux, pas de
récompense pour les bons comportements, et en réalité, pas d’action du tout. Il
est possible que certains de ces hauts fonctionnaires aient compris que en
droit du travail ils avaient des possibilités de contraintes sans voir qu’il
leur fallait aussi agir positivement, manager tout simplement
Mais France Télécom était depuis
longtemps une entreprise, probablement plus occupée à manager que dans la
fonction publique
Ce qui m’amène à une
promesse : prochainement quelques mots sur les bons comportements de
management des hommes !
Pourtant, j’ai lu (peut être sous
la plume de C Dejours, sans garantie) qu’il y a trente ans, on ne se suicidait
pas sur les lieux de travail. C’est possible, même si je connais au moins un
contre exemple. Mais cette remarque m’en a
rappelé une autre d’un sociologue parlant devant des responsables
d’entreprise « vous voudriez bien que le travail envahisse complètement la
vie de vos salariés . Toutes nos enquêtes montrent que les salariés
apprécient que la vie envahisse le travail : parmi les raisons qui font
qu’on apprécient son travail, c’est qu’on y construit son réseau social, qu’on
y fait la fête »
Les évolutions organisationnelles
de ces trente dernière années dans l’entreprise, notamment le passage du
taylorisme au toyotisme, ont conduit à responsabiliser les salariés, (ce qui
crée du stress) et à les faire se confronter aux autres, clients internes et
externes (et l’enfer , c’est les autres, comme le note François Dupuy dans "la
fatigue des élites"). D’une certaine manière, c’est aussi la vie qui est entrée
dans l’entreprise, parce que celles-ci ont eu besoin de salarié sujet et non
plus simple robot.
Avec la vie, le suicide est logiquement entré dans l’entreprise. Et la conséquence est que les entreprises ne peuvent s’en désintéresser. Si une grande part des réseaux sociaux se construisent là, c’est là que les tendances dépressives peuvent être décelées et combattues Vaste programme !
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