La manière dont il aborde le sexe serait il une particularité de l’homme parmi les autres primates ? Pas forcément là où on l’attend, si l’on en croit le livre de Pascal Picq et Philippe Brenot « le sexe, l’homme et l’évolution » dont la présentation sera la dernière de mes lectures de vacances.
Le premier auteur, Pascal Picq, est un paléo anthropologue, en train de prendre la place d’Yves Coppens dans les médias. Il participe à la réflexion moderne qui élargit le regard sur nos origines par une comparaison avec les caractéristiques des grands singes, nos plus proches cousins, que l’on connaît aujourd’hui beaucoup mieux.
Je ne connaissais pas Pascal Brenot. Les deux auteurs se sont rencontrés en conseillant la même exposition à la Cité des sciences. Le deuxième est sexologue et a probablement rédigé les derniers chapitres du livre. Je dois dire qu’il ne m’a pas convaincu. C’est ainsi que page 290 on croit rêver en lisant sous la plume de deux scientifiques une reprise du fait que l’évolution du nombre de partenaires dans sa vie est passé pour les femmes de 1.8 en 1970 à 4.4 en 2006 contre une stabilité autour de 11 pour les hommes. Il suffit pourtant de réfléchir pour comprendre que c’est impossible et que ce sont les déclarations qui ont évolué. Mais cela n’empêche pas nos auteurs de conclure « on peut penser que le nombre de partenaires au cours de la vie des hommes et des femmes se rapprochera progressivement ».
Je suis également très sceptique sur les discours qui laissent à penser que c’est depuis quelques décennies seulement en Occident que les hommes et les femmes vivent une sexualité épanouie après des millénaires de répression, comme si dans le secret des alcôves nos ancêtres ne s’étaient jamais donné mutuellement du plaisir. Au passage on accusera le christianisme et la soumission des femmes aux hommes qu’il entraîne, en en donnant comme preuve page 249 la légende du Concile de Mâcon, qui aurait conclu que les femmes n’avaient pas d’âme (cette idée apparaissant dès la page 226).
Après ces âneries, on a du mal à faire confiance à ce qui est dit sur Freud, Foucault ou Kinsey, auteur du fameux rapport. Dommage, parce que c’est peut être tout à fait pertinent.
J’admettrais cependant que ce qui est dit dans les chapitres précédents est probablement de la plume de Pascal Picq et donc plus sérieux.
Les premiers chapitres reprennent l’histoire des ancêtres de l’homme pour arriver à l’homo sapiens. Ils posent sur la place du sexe et des relations hommes femmes plus de questions que de réponses, ce qu’on comprendra bien volontiers, quand on sait que les spécialistes ne s’appuient souvent que sur des morceaux de mandibules ou de fémur ! Une question majeure peut cependant être traitée quand il y a suffisamment de vestiges, celle du dimorphisme sexuel, c'est-à-dire des différences (en particulier de taille) entre les hommes et les femmes. Chez nos cousins les grands singes, celui-ci est très faible chez les chimpanzés et important chez les gorilles, l’espèce humaine se situant sur cet aspect entre les deux. Avec prudence, Pascal Picq essaie d’en tirer des enseignements.
Je retiendrais de tout cela deux idées clés
D’abord, on constate, bien avant le néolithique , le développement d’un art qui fait la part belle à l’image de la femme (dessins ou statuettes) et aux parures des deux sexes : la question de l’attirance sexuelle et de la séduction est posée depuis longtemps. Ce n’est pas une spécificité humaine mais on constate qu’elle participe au développement de l’art.
Ensuite, la bipédie a, par la modification de l’ossature qu’elle entraîne, réduit le passage pour l’accouchement. Celui-ci est devenu plus difficile et beaucoup plus long que chez les singes. Pour limiter cette difficulté, l’évolution a conduit à ce que le développement de la taille du cerveau soit reporté en partie après la naissance. Ainsi, celui du jeune chimpanzé représente à la naissance 75% du volume final quand celui de l’enfant n’atteint cette proportion qu’à 18 mois. On comprendra aisément que cela se traduit par une période de protection de l’enfant par sa mère beaucoup plus longue. Celle-ci a donc eu besoin de s’appuyer différemment sur un mâle que dans les autres espèces.
Mais c’est la comparaison entre les humains et les autres primates, sous la forme de 20 questions sur tout ce qui touche au sexe, qui est la plus originale par rapport à ce que j’avais pu lire ici ou là. L’idée est d’établir ce qui est spécifique de l’humanité et ce qui ne l’est pas
On apprend ainsi que les humains ont perdu ce qui existe chez presque tous les singes à savoir l’os pénien, qui supporte le sexe en érection lors du coït, et l’os clitoridien pour les femelles (et oui, les femelles primates ont-elles aussi un clitoris !). Le pénis de l’homme est nettement plus long que celui de nos cousins : en moyenne l’érection est de 12.7 centimètres chez l’homme, contre 3.2 chez le gorille, 3.8 chez l’orang-outan et 7.6 chez le chimpanzé. La permanence de la poitrine féminine est également une spécificité humaine, celle des femelles étant vide hors maternité chez les singes : la fonction érotique des seins est ainsi très largement développée dans l’espèce humaine
Les auteurs relèvent d’autres caractéristiques spécifiques ou non dans les relations sexuelles, mais je voudrais seulement souligner ce qu’ils disent sur l’inceste.
L’évitement de l’inceste est un phénomène très largement répandu chez les mammifères. Les mères ont une stratégie d’évitement vis-à-vis de leurs fils dès que ceux-ci arrivent à un âge où la question se pose. L’inceste père fille ou frère sœur est extrêmement rare. En pratique, les jeunes mâles quittent leur groupe. Cette pratique d’exogamie ne fonctionne pas de la même manière chez l’homme. Chez celui-ci en effet, ce sont les filles qui s’en vont et rejoignent le groupe de l‘homme avec lequel elles vont faire un couple.
Il semblerait que la domination du mâle soit plus forte chez les humains que chez les autres primates, y compris ceux qui présentent un dimorphisme sexuel fort, comme les gorilles, mais qui connaissent le phénomène de femelles dominantes en parallèle de celui des mâles dominants. Le viol et l’inceste seraient aussi des spécificités humaines.
Pour faire le lien avec mes autres lectures, je me suis demandé si ce que René Girard appelle la violence réciproque n’est pas la conséquence du fait que dans l’espèce humaine, ce sont les mâles et non les femelles qui restent dans le groupe, et doivent donc cohabiter avec leurs frères, sous la domination du père.
Le livre comprend bien sûr beaucoup d’autres choses. Il est très bien écrit et d’une lecture facile : je ne peux donc que conseiller de le lire, malgré mes remarques préalables.
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