Les opposants aux réformes de l’Université et de l’hôpital s’élèvent contre une caractéristique commune à celles-ci : celle qui consiste à donner plus de pouvoir aux chefs d’établissement sur la gestion de leur personnel et sur l’organisation de l’établissement. Il est vrai que cet aspect des réformes est essentiel.
Un canadien, ancien patron d’hôpital reconverti dans le conseil m’expliquait il y a quelques années sa surprise en arrivant en France de découvrir les très grandes limites du pouvoir des directeurs d’hôpitaux publics dans notre beau pays.
Le pouvoir hospitalier se partage en effet entre le directeur d’établissement, issu d’une filière administrative et chargé de faire fonctionner l’établissement dans le respect des règles et des budgets, les médecins chefs de service et plus particulièrement la CME(commission médicale d’établissement) qui incarne le pouvoir médical et la directrice des soins infirmiers(DSI) qui incarne le pouvoir infirmier, faible mais essentiel : c’est celui de ceux qui « produisent » au jour le jour.
Il faut aussi compter le président du conseil d’administration, généralement le maire de la ville, dont le rôle est, dans notre pays égalitaire, d’obtenir de la puissance publique des dérogations aux règles notamment budgétaires, au bénéfice de l’établissement qu’il préside. L’hôpital public étant généralement le principal employeur local, y compris dans les grandes villes ( l’APHP à Paris par exemple ce sont 90 000 personnes !) la tentation est grande pour lui de pousser à maximiser les effectifs tout en négociant des subventions pour couvrir les déficits correspondants.
Dans ce système, qui s’occupe des agents ? Dans les services hospitaliers, le chef de services est un médecin, mais c’est la surveillante (une infirmière promue) qui fait tourner la boutique. Beaucoup (pas tous) des chefs de service se désintéressent du sujet, au mieux pour se centrer sur la technique médicale, au pis, pour pouvoir n’en faire qu’à leur tête et ne pas s’embarrasser de contraintes personnelles comme informer à l’avance de leurs horaires. Au niveau de l’établissement la DSI et le DRH coopèrent généralement car ce sont eux qui se préoccupent des agents.
La situation dans les établissements scolaires ressemble à la précédente. Le chef d’établissement est noyé dans les taches administratives et tout le pousse à une gestion bureaucratique. Le résultat est que dans les établissements difficiles, on a des responsables qui évitent des s’occuper de la vie de l’établissement (voir celui décrit dans la « journée de la jupe » par exemple) et d’autres qui prennent les problèmes à bras le corps avec le temps que cela demande, et qui ne tiennent pas forcément longtemps devant une telle charge de travail.
Dans ce système, quasiment personne n’a réellement de comptes à rendre sur son travail. Il est préférable de respecter les règles bureaucratiques que de chercher les meilleurs résultats possibles, ceux ci n’étant de toutes manières pas particulièrement définis. En conséquence chacun défini ses propres critères de recherche de résultats. Le personnel soignant comme le personnel enseignant étant en contact direct, l’un avec les malades, l’autre avec les élèves, sont incités par ce contact à rechercher le bien supposé des bénéficiaires de leur travail mais les comportements individuels sont par nature variable.
L’irresponsabilité édictée en règle est compensée par la bonne volonté et la conscience professionnelle des agents, contrepartie de l’autonomie plus ou moins grande qui leur est donnée : cette autonomie profite en effet beaucoup plus au personnel médical et aux enseignants qu’au personnel soignant.
Rétablir une véritable ligne hiérarchique est une condition indispensable pour que l’ensemble de l’organisation converge vers des objectifs collectifs. C’est bien pour cela qu’aussi bien Christian Blanc à la RATP il y a plus de 15 ans que Rose Marie Vandenberghe à l’APHP il y a peu ont pris le pouvoir confisqué par les fonctionnels du siège pour le donner aux opérationnels sur le terrain : en pratique cela consistait déjà à donner les moyens d ’agir aux responsables. Cela consistait aussi à l’enlever à ceux qui étaient dans une situation d’irresponsables, à qui la posture de fonctionnels de siège permettait d’affirmer que si leurs actions ne débouchaient pas, c’était la faute aux personnes de terrain qui n’y comprenaient rien. Bien entendu ces hauts irresponsables étaient recrutés sur leur diplôme d’origine au plus haut de la fonction publique (corpsards des ponts et chaussées dans un premier cas, je ne sais pas dans l’autre).
On voit aujourd’hui à la réaction des médecins d’hôpitaux qu’ils préfèrent (du moins ceux qui s’expriment) conserver leur indépendance. Il est vrai qu’ils ont toutes les raisons de penser que des objectifs collectifs iront dans le sens d’une plus grande prise en compte des contraintes économiques. Mais il est probable qu’il leur est difficile de comprendre, faute d’expérience vécue dans ce domaine, en quoi un fonctionnement moins ignorant du management des hommes pourrait leur être favorable.
Il faut pourtant noter que les agents de la RATP ont gardé un bon souvenir de C Blanc. On peut donc supposer que le système une fois en place leur a paru satisfaisant. Mais peut être aussi que la manière de le mettre en place y a contribué.
Un mode de management bureaucratique, tel qu’il existe peu ou prou dans la fonction publique est finalement en effet moins satisfaisant qu’un mode de management donnant le pouvoir à la hiérarchie, malgré tous les défauts qu’on peut imaginer et constater à ce dernier. La raison en ait probablement entre autres qu’il ne permet pas la reconnaissance des individus et que ceux ci n’aiment pas vraiment être considérés comme des numéros.
Il est à noter à titre d’exemple que les problèmes de harcèlement moral apparus après le vote de la loi sur le sujet l’ont plus été dans le public que dans le privé.
Le consultant que je suis, et qui intervient aussi bien dans le public que le privé, observe que les climats de travail sont généralement meilleurs dans le second que dans le premier. S’il y a évidemment beaucoup de variété dans ce domaine, il en est un où les différences sont flagrantes : la capacité à changer. Par exemple, une démarche de GPEC met trois ou quatre fois plus de temps à se réaliser dans le public, elle produit moins d’effet positif, quand elle aboutit !
Une remarque pour finir : si donner plus de pouvoir à la ligne hiérarchique est une bonne chose, les conséquences positives prendront du temps. Il faut en effet que les responsables apprennent à se servir de leurs nouveaux moyens et à prendre leurs responsabilités. Il est probable que cela permettra à la majorité de s’épanouir dans son travail. Mais cela sera difficile pour une minorité qui profitait du système bureaucratique pour cacher son incompétence et/ou sa paresse…
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