La réforme des règles de la représentativité va t-elle modifier le paysage syndical, dans ses équilibres comme dans ses attitudes ? Il est trop tôt pour le dire, même si on constate ici ou là les premières conséquences de la loi votée en juillet 20O8, à la suite de la négociation des partenaires sociaux conclue au printemps 2008.
Rappelons les grands traits des nouvelles règles : il n’y a plus de présomption de représentativité réservée aux 5 centrales traditionnelles (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC), ce qui permet en particulier à l’UNSA et à SUD de se présenter dans n’importe quelle entreprise, à condition de trouver des candidats.
Par contre, ne sera considéré comme représentatif qu’un syndicat ayant obtenu 10% des suffrages exprimés au premier tour des élections au comité d’entreprise, ce qui menace les syndicats insuffisamment implantés. La CFTC craint évidemment pour son avenir, mais d’autres syndicats peuvent très bien se faire éliminer. Ainsi, chez Dunlop à Amiens, le leader CGT a été désavoué par son syndicat pour avoir signé un accord sur le temps de travail. Il est passé à l’UNSA et vient d’obtenir la majorité absolue des suffrages alors que la CGT n’a pas atteint les 10% et perd donc son délégué syndical. C’est à dire qu’elle perd la capacité à négocier et les heures de délégation correspondantes (15 h par mois plus tous les temps de négociation et de préparation qui sont généralement négociés pour tout nouveau sujet).
Enfin, un accord ne sera valable qu’à deux conditions : que l’ensemble des signataires aient réuni au moins 30% des voix (toujours au premier tour) et que des syndicats ensemble majoritaires ne fassent pas jouer leur droit d’opposition.
Application pratique : dans mon entreprise, deux syndicats sont présents. Pour la première fois, il y a quelques semaines, ces deux syndicats n’ont pas pris la même position dans une négociation, en l’occurrence sur l’intéressement. Avec l’accord de mes camarades, j’ai décidé de signer pour la CFDT. Comme nous avons obtenu plus de 50 % des voix, l’autre syndicat ne pouvait rien obtenir en faisant jouer son droit d’opposition (ce qu’il n’a pas fait). Cmme il avait obtenu plus de 30% des voix, il aurait pu signer seul. L’accord n’aurait alors été valable que si la CFDT n’avait pas fait jouer son droit d’opposition.
De fait, le droit d’opposition qui date de quelques années, donne la possibilité de trois positions différentes face à un projet d’accord : le signer, s’y opposer ou ne pas le signer mais ne pas s’opposer non plus. Le fait de s’opposer peut présenter dans certains cas un risque ; Ainsi, il y a quelques années, Sud et la CGT se sont opposés à un accord d’intéressement à la SNCF et les signataires ont bien fait comprendre qu’ils avaient ainsi fait perdre de l’argent aux salariés. Aux élections suivantes, la CGT a perdu 4% des voix (ce qui en l’occurrence n’est pas un recul très important).
Ces nouvelles règles mettront la CGT devant ses responsabilités : il n’est en effet pas rare qu’elle décide de ne pas signer un accord mais de laisser faire, en « profitant » du fait que des syndicats peu représentatifs signent, ce qui lui permet de dénoncer leur attitude. Il est probable qu’elle sera amenée à signer plus souvent (contrairement à ce qu’on imagine, la CGT signe un assez grand nombre d’accords, en particulier là où elle est seule). Rappelons que la CGT avait signé avec la CFDT les conclusions de la négociation sur le sujet il y a un an. Elle fait donc le pari qu’elle sera gagnante au final.
Si la CGT et la FDT ont été favorables à ces réformes, ce n’a pas été le cas des autres syndicats qui se sentent menacés. La CGC a obtenu que provisoirement le calcul puisse se faire par collège, ce qui devrait la protéger. Il n’empêche que sa criant a été assez forte pour qu’elle entame un processus de rapprochement avec l’UNSA, processus qui rencontre aujourd’hui des difficultés.
La CFTC risque évidemment de faire les frais des nouvelles règles, mais elle n’a pas pour l’instant cherché à se rapprocher d’autres centrales. Certains syndicats corporatistes, implantés parmi des salariés minoritaires sont également inquiets. La FGAAC, syndicat des conducteurs de trains, s’est ainsi alliée à la CFDT lors des récentes élections professionnelles à la SNCF. Le résultat n’est pas vraiment convainquant : c’est l’UNSA qui a progressé, ravissant la deuxième place à SUD. Il est vrai que l’alliance avec un syndicat corporatiste n’est pas forcément la tasse de thé des militants CFDT.
On se trouve aussi avec une situation imprévue : les voix obtenues par les syndicats n’ayant pas atteint les 10% ne comptant pas, un syndicat qui obtient 40 ou 45% des voix peut devenir incontournable.
Le gouvernement a fait paraître (le 13 novembre je crois) un décret d’application de la loi, qui met en œuvre les règles de validité des accords dès maintenant, ce qui pose un gros problème dans certaines entreprises. En effet, le poids de chaque syndicat se calcule en fonction des suffrages obtenus au premier tour (les listes sans étiquette ne peuvent pas se présenter au premier tour). Or, il y a un second tour si le nombre de votants au premier tour est inférieur à la moitié des inscrits : dans ce cas, la pratique est généralement de ne pas procéder au dépouillement. Le résultat est que dans de nombreuses entreprises qui n’ont pas récemment procédé à de nouvelles élections, on ignore le score obtenu au premier tour par les listes en présence. Il n’est dans ces conditions juridiquement pas possibles de réaliser un accord !!
La direction d’une entreprise peut appliquer de manière unilatérale certains éléments d’un accord, par exemple les augmentations salariales négociées au moment des NAO. Mais ce n’est pas le cas pour d’autres éléments, par exemple en ce qui concerne certains aspects de l’organisation du temps de travail. Le Monde, qui signalait ce problème il y a quelques semaines citait également la GPEC, ce qui m’a laissé assez dubitatif.
Il y a une obligation triennale de négocier la GPEC (depuis la loi du 18 janvier 2005) mais pas d’aboutir. Le fait de ne pas avoir abouti à un accord pourrait il être invoqué pour débouter un projet de PSE ? En tous les cas, il me paraît possible de mettre en œuvre les résultats de la négociation concernant l’information du comité d’entreprise sur les conséquences de la stratégie sur les emplois et les compétences comme le dispositif RH pour adapter les emplois et les compétences, c’est à dire les deux points définis par la loi…
Toutes ces règles vont elles contribuer à une réduction du nombre de syndicats, au moins dans une entreprise ou une branche donnée ? C’est l’objectif évidemment, la dispersion syndicale contribuant à la faiblesse du syndicalisme et par ailleurs pouvant coûter relativement cher aux entreprises (le temps passé en négociation augmente avec le nombre d’interlocuteurs, et il faut donner des heures de délégation à tous les syndicats …) ;
Mais au départ, on a le risque d’une augmentation du nombre de syndicats, si l’UNSA et SUD s’implantent. Diminution finale et augmentation au début : la lutte risque d’être chaude ! On pourrait penser que les syndicats qui ont le plus à gagner sont les plus gros, justement ceux qui ont signé la conclusion commune. Mais ce n’est pas si sûr. La CFDT est actuellement plutôt en difficulté, comme l’ont montré les élections prud’homales : ce n’est pas si facile d’être un syndicat constructif et réformiste en période de crise. Et la CGT a un problème de renouvellement de ses militants. L’UNSA, qui a une logique corporatiste de fait et d’histoire, et SUD, qui campe sur des positions très critiques envers le patronat et le capitalisme, bénéficient à priori de la situation la plus favorable.
On notera cependant pour finir que les évolutions des rapports de force sont en général très lents dans le milieu syndical. En effet, la force locale d’un syndicat est très liée aux personnes qui le représentent dans l’entreprise, et cela ne change pas vite !
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