Benoît Hamon proposait mercredi de se servir des règles de l’OIT pour pousser à la relocalisation partielle de l’industrie en Europe. Frédéric LN, se montre choqué de l’assimilation du protectionnisme à « la mission civilisatrice de l’Europe » et y voit la marque de l’irréalisme de la dialectique.
Les propos du leader socialiste sont pourtant assez traditionnels dans une partie de la gauche, en particulier celle qui s’était mobilisée pour le non à la constitution européenne. Pour ce courant de pensée, les capitalistes agissent dans la mondialisation de manière doublement immorale : ils privent les ouvriers européens de leur travail et ils plongent les ouvriers des pays émergents dans des conditions de travail inadmissibles.
A partir de ces prémisses, Benoît Hamon peut tranquillement dire que les mesures qu’il propose pour lutter contre le capitalisme sauvage, mondialisé et ultralibéral, sont dans l’intérêt des ouvriers européens et de ceux des pays émergents. Il pourrait reprendre la fameuse phrase de Karl Marx « prolétaires de tous pays, unissez vous ».
Pour suivre Frédéric LN dans son propos, encore faut il montrer l’irréalisme du raisonnement anti-libéral ainsi exposé. Mais peut être faut il montrer au préalable la duplicité du raisonnement, que l’exposé de Benoît Hamon présente clairement..
En effet, et comme c’est pratiquement toujours le cas, la démonstration ne se fait pas dans le sens où je l’ai faite précédemment, c'est-à-dire en montrant le double impact de la mondialisation, en Europe et ailleurs. Au contraire, on part de la situation des ouvriers européens(ou français) pour bâtir une proposition, qu’on habille ensuite pour la rendre conforme aux dogmes bien pensant.
Concrètement, on veut protéger les emplois ouvriers français par du protectionnisme. Deux solutions sont proposées pour gêner les concurrents extérieurs :
des barrières douanières classiques (qu’on va parfois baptiser du joli nom de TVA sociale car c’est tellement mieux, même s’il s’agit en fait de faire cotiser les ouvriers étrangers à la sécurité sociale de ceux de notre pays, ce qui est une conception « civilisatrice » disons particulière)
l’élévation des coûts payés par les entreprises extérieures, dans le domaine social ou environnemental, car cela donne bien meilleure conscience.
Comme, en réalité, le seul but recherché est de protéger les emplois français, les règles imposées aux pays extérieurs sont calculées pour atteindre cet objectif et non pour amener les conditions des ouvriers étrangers à un standard affiché. Ainsi, pour les pays asiatiques, il s’agira d’imposer les règles de l’OIT, en espérant que cela suffise à les rendre non concurrentiels. Pour les pays d’Europe de l’Est, les règles de l’OIT ne suffiraient pas à protéger l’emploi français, il s’agira donc d’imposer l‘harmonie fiscale et sociale, en clair de multiplier le SMIC local par 2, 5 ou 10. C’est ce que voulaient les amis de Benoît Hamon lors de la campagne référendaire, ce qui prouve qu’à défaut d’être réellement internationalistes, ils sont cohérents dans leurs propositions !
Dans tous les cas, la bonne conscience est préservée puisqu’il s’agira d’améliorer la condition des ouvriers là bas. Des ouvriers théoriques bien sûr, puisque le but explicite est de ne pas délocaliser, donc de ne pas construire d’éventuelles usines exportatrices.
Au-delà de la démonstration du caractère nationaliste des raisonnements, il faut comprendre leur caractère irréel, dénoncé à juste titre par Frédéric LN.
« Ils plongent les ouvriers des pays émergents dans des conditions de travail inadmissibles »
Cette affirmation qui peut paraître juste aux yeux du français qui compare son niveau de revenu avec celui des ouvriers des pays concernés est en réalité fausse : une entreprise internationale qui s’installe en Indonésie, au Maroc ou en Estonie, va y proposer des salaires supérieurs à ceux du marché local, pour attirer et garder les meilleurs. Sa présence va contribuer à faire monter le niveau des salaires, pour deux raisons apparemment différentes, en réalité identiques.
La première est que l’afflux des entreprises étrangères et la création d’emplois qui lui est liée, va faire monter les salaires : l’augmentation de l’offre de travail favorise les demandeurs d’emploi.
La seconde est que l’arrivée des entreprises de pays développée se traduit par une forte amélioration de la productivité, par le biais de machines plus productives, mais surtout d’organisations plus efficaces.
Quand Renault a décidé de racheter Dacia en Roumanie et d’y construire la Logan, il a commencé à mettre les usines existantes aux normes organisationnelles françaises. Dans un premier temps, cela s’est traduit par une diminution radicale du nombre de salariés nécessaires pour construire un véhicule (ce phénomène étant compensé ensuite par une forte augmentation du nombre d’automobiles produites).
L’entreprise recherchant les salariés les plus efficaces, elle s’est mise au dessus du niveau du marché roumain pour les avoir. C’était possible, puisque le niveau de productivité avait été largement augmenté. Plus tard, quand les usines se sont mises à fonctionner de manière satisfaisante, les salaires ont été augmenté encore : l’arrivée de nombreuses entreprises a permis aux ouvriers de mener des grèves et on se souvient de celle qui s’est traduite par une augmentation de 27% des salaires chez les constructeurs de la Logan
Mais tout cela part de l’hypothèse que l’augmentation des revenus tire sa source de l’augmentation de la productivité par l’investissement, la compétence et l’organisation. Ce ne semble pas le point de vue de Benoît Hamon, qui brocarde la stratégie de Lisbonne sous prétexte que parier sur l’intelligence serait affirmer que les autres n’en ont pas. En réalité, la Chine, les USA ou la Suède parient sur l’intelligence mais Benoît Hamon préfère parier sur les discours populistes et l’ignorance des concepts de base de l’économie chez ses concitoyens.
PS pour Frédéric : j’aurais bien papoté avec toi (malgré nos désaccords profonds sur le cas Bayrou !), mais tu es parti trop vite. Ce n’est, j’espère, que partie remise !
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