Le concept de l’économie sociale est attrayant pour tout citoyen souhaitant plus de justice économique et se méfiant du rôle des actionnaires. La réalité est comme on l’imagine diverse, le fonctionnement des organismes concernés étant en général satisfaisant dans les premiers temps, toute la difficulté résidant à rendre pérenne ce caractère.
Une entreprise classique fait intervenir trois acteurs : les salariés, les clients et les actionnaires. Le principe des différentes formes d’économie sociale est d’essayer de réduire ce nombre à deux, les clients (mutuelles) ou les salariés (coopératives) étant en même temps les actionnaires. Dans d’autres cas, c’est l’Etat ou des donateurs qui jouent le rôle d’actionnaires de fait.
Un travailleur indépendant est de la même manière son propre actionnaire. Mais il peut aussi être amené à recruter un salarié (par exemple une assistante pour un médecin ou un dentiste). La situation peut s’observer aussi dans une coopérative, certains salariés refusant ou ne pouvant être coopérateurs (ce peut être le cas d’une personne assurant un CDD pendant un congé maternité). Le maintien de la réduction à deux acteurs seulement au lieu de trois n’est pas si facile que cela.
Dans une coopérative de petite taille, la gestion de la double responsabilité (actionnaire et salarié) n’est pas forcément facile (le gérant de la coopérative a l’autorité hiérarchique sur ses actionnaires !) mais peut avoir des avantages importants en terme de solidarité entre coopérateurs, en terme de compréhension de la politique d’entreprise par les salariés, en terme de motivation.
Ces avantages ont tendance à disparaître quand l’effectif devient plus nombreux. Quand dans une petite coopérative l’assemblée générale réunit tous les salariés, qui peuvent avoir ensemble une vraie réflexion, le processus devient avec l’accroissement de la taille plus lointain. Au-delà d’une certaine taille, l’Assemblée générale devient formelle, les vrais décisions sont prises par le conseil d’administration ou son bureau. Que la taille augmente encore et le choix de ceux qui représentent les coopérateurs n’est plus réellement de la responsabilité de ceux-ci, même s’il y a une élection formelle.
Le processus est évidemment le même dans une mutuelle, l’effectif des clients étant forcément relativement important.
Au-delà de cet éloignement, les membres du conseil d’administration deviennent un acteur en soi, d’autant plus spécifique que sa légitimité est relativement faible. Et comme n’importe quel acteur, il en vient à donner la priorité à sa logique d’intérêt propre, notamment à sa pérennité et celles de ses membres en tant qu’ayant cette fonction.
La traduction pratique en est une grande résistance aux opérations de regroupement
Par exemple, l’institution AGIRC ARCCO ayant observé que le nombre d’organismes gérant les retraites complémentaires était trop important pour une véritable efficacité, a demandé à ces organismes de fusionner. A coté des difficultés propres à chaque fusion, une difficulté a été de convaincre les administrateurs, la fusion se traduisant par nature par une réduction du nombre de postes. Bien sûr, d’autres arguments ont été présentés, mais on imagine assez ce que signifie de ne plus être président ou vice président de ceci ou de cela
On note un phénomène du même genre dans les Offices Publics de l’Habitat, organismes HLM dépendant des collectivités territoriales. Ils gèrent en moyenne quelques milliers de logements, avec moins de 100 salariés chacun. Avec cette taille, il est difficile de réunir les compétences nécessaires dans le domaine des finances ou du contrôle de gestion, des Ressources Humaines, de la gestion du patrimoine ou de la construction. Il faudrait en réalité fusionner les organismes pour que leur taille soit suffisante. Mais cela signifie une perte de pouvoir pour les (nombreux) administrateurs, pour l’élu municipal qui veut pouvoir dire à l’électeur qui l’a sollicité que c’est grâce à lui que sa demande a été satisfaite.
Bref, au-delà d’une certaine taille, les structures de l’économie sociale, quelles qu’elles soient, ont des gros problèmes de gouvernance. En cela elles se rapprochent des structures publiques, qui souffrent de problèmes semblables, les responsables d’établissements (scolaires ou hospitaliers par exemple) n’ayant qu’un pouvoir faible, généralement limité aux aspects administratifs.
On imagine assez bien comment cela peut se traduire dans des organismes de la taille des banques et la fragilité que cela induit en période de crise.
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