Le dernier trimestre 2008 a vu en France la consommation continuer à augmenter et le produit intérieur fortement chuter, en raison de la baisse des investissements et du déstockage. Ce dernier facteur explique à lui tout seul les trois quarts du recul du PIB ! Ce sont d’ailleurs les nombreuses journées de chômage partiel dans l’automobile qui m’avaient conduit à prévoir dès novembre un quatrième trimestre « horrible ».
Les mouvements de stocks accentuent en effet les évolutions économiques, mais ne sont par définition pas durables : on ne peut très longtemps diminuer ou augmenter les stocks. Mais regardons comment cela se passe
Les stocks comprennent des produits finis ou des produits en cours de production : en raison de la durée nécessaire pour fabriquer un Airbus ou construire une maison, les en cours ne sont pas négligeables, en particulier dans certains secteurs. Cependant, pour la compréhension du sujet, nous allons pour l’instant parler uniquement des stocks de produits finis.
L’existence de stocks est la conséquence de la chaîne logistique et de la nécessité de pouvoir présenter le produit au client, mais surtout de pouvoir lui livrer rapidement : ce n’est que dans des produits de luxe (par exemple le sac Hermès) ou très spécifiques (un Airbus justement) qu’on peut se permettre de demander à son client d’attendre quelques mois, voire plus, pour être livré.
Imaginons donc une industrie dans laquelle le niveau de stock correspond à environ 3 mois de ventes ou de production (c’est normalement la même chose en moyenne !). Si je vends 100 par mois, j’ai donc un stock de 300. Bien sûr, mes ventes ne sont pas réellement constantes, et peuvent varier autour de cette valeur de 100, mais je cale ma production et mes stocks sur la moyenne constatée et sur mes prévisions.
Supposons que la crise financière conduise à deux mauvais mois en septembre et octobre 2008 : je ne vends que 80 chacun de ces deux mois. Mon stock est donc passé à 340. Au bout de cette période, les diverses analyses de mes services commerciaux concluent que le rythme de vente de 80 par mois va continuer au moins 6 mois. Dans ces conditions, mon objectif de stock devrait être limité à 3 fois 80 soit 240. J’ai donc un excédent de stock de 100. Si je veux le résorber sur les mois de novembre et décembre, il faut que sur ces deux mois, je produise au total 100 de moins que mon besoin moyen qui est devenu 80 par mois. Je dois donc produire (2*80) – 100 soit 60 sur deux mois, ou 30 par mois.
Dit autrement,la prise de conscience qu’il faut baisse en moyenne de 20% ma production, m’a conduit à réduire de 70% celle-ci sur les deux premiers mois qui suivent la décision !
Evidemment, une fois le niveau de stock remis au bon niveau, je devrai revenir à la production devenue normale, c'est-à-dire 80 par mois.
Mais maintenant, mon directeur financier me fait remarquer qu’avec la baisse des ventes, les résultats se sont fortement dégradés : j’ai donc perdu de l’argent, et ma trésorerie ne s’en porte pas bien. Non seulement cela coûte cher en intérêts versés, mais surtout les banques sont réticentes à me prêter de l’argent. Pour les rassurer et diminuer mes besoins, une solution consiste à faire passer le niveau de mes stocks de 3 à 2 mois.
J’avais réussi à réduire mon stock à 240 et il faut donc que je le diminue à 160. Pour y arriver sur un trimestre (le premier de 2009), il faut donc que je réduise une fois de plus ma production. Celle-ci devait être de 3*80 soit 240. Puisque je dois réduire de 80, je limiterais ma production à 160, soit environ 53 par mois.
Sur le 4ème trimestre 2008, j’aurais donc produit 100+60 donc 160 , et autant au premier trimestre 2009. Pour le responsable de la comptabilité nationale, il y aura encore eu au premier trimestre 2009 un effet déstockage (la valeur du stock est passé de 240 à 160) mais ma production s’est stabilisée.
Ce qui précède s’applique assez bien à l’automobile (encore que les constructeurs jugent que leurs stocks sont encore trop élevés), mais certains secteurs ont peut être été moins réactifs et déstockeront peut être surtout début 2009. L’enquête de la Banque de France a montré qu’une grande partie des industriels jugeaient leurs stocks trop élevés.
On comprend aussi que l’effet déstockage est d’autant plus fort que le volume de stock est élevé : il est faible pour les yaourts par exemple. Il est fort pour les produits à en cours important : s’il me faut 2 ans pour lancer et réaliser un programme de construction, je peux être amené à stopper pendant un an tout nouveau lancement si la crise me prend par surprise. C’est ainsi que l’Espagne est passée de 750 000 logements lancés en 2007 à 280 000 en 2008 et sans doute encore moins en 20009.
Mais qu’en sera-t-il pour le deuxième trimestre 2009 ?
Reprenons notre exemple proche de la situation de l’automobile et imaginons deux scénarios.
Premier scénario optimiste : le plan OBAMA et la prime à la casse ont eu un certain effet et les ventes se sont redressées à 90 par mois à partir de mars. Un certain nombre d’indicateurs me font penser que cela peut continuer à ce rythme. Si j’estime que c’est le nouvel objectif, il faut que je réajuste mon stock : à deux mois à 90, il faut 180 et non plus 160. Le meilleur mois de mars a d’ailleurs fait que je n’ai plus que 150. Il faudrait donc que je produise (3*90) + (180-150), soit de fait 100 par mois de nouveau. Cela fait bien sûr hurler mon directeur financier qui plaide la prudence. Mais mon directeur commercial de son coté fait remarquer qu’il perd des ventes parce que son stock est trop tendu.
Finalement je décide de repasser à 100 par mois. Le trimestre suivant, j’aviserais de l’intérêt de continuer sur cette lancée pour continuer à augmenter mon stock et commencer à me rapprocher des 3 mois qui restent industriellement une norme sensée. Dit autrement, je passe du déstockage massif des deux derniers trimestres à une période de re stockage progressif.
Deuxième scénario, sans doute plus probable : la crise s’aggrave un peu partout, avec des défaillances de banques dans les pays de l’Europe de l’Est et des difficultés dans les pays asiatiques exportateurs. Mes ventes continuent à baisser et passent à 75 en janvier et février puis 70 en mars. Mes ventes cumulées sur le trimestre s’étant situées à 20 en dessous de ma prévision, mon stock est 20 au dessus de l’objectif de 160 que je m’étais assigné, malgré mes efforts. Pour le trimestre suivant, je vise donc des ventes à 70 par mois, un stock final à 140. Il me faut donc produire (3*70) – (160+ 20 – 140) soit 170 sur 3 mois et moins de 60 par mois ; Je continue à déstocker mais on notera que ma production ne baisse plus et qu’elle a même un tout petit peu augmenté.
Si je poursuis ce deuxième scénario, il arrivera un jour où mes ventes ne baissant plus, je vais me retrouver avec un stock trop faible et je vais devoir produire plus que je ne vends ; de la même façon que le déstockage a accentué l’effet de la récession, de même la reconstitution des stocks accentuera l’effet de la reprise quand elle viendra.
Mais quand viendra t-elle ?
L’enquête de la Banque de France en novembre montrait qu’une grande partie des industriels jugeaient leurs stocks trop élevés. La note de conjoncture de l’INSEE prévoyait que la variation des stocks contribuerait pour 0.4% au recul de l’activité. Au final, l’impact est nettement plus élevé, à 0.9%. Ce qui représente, rappelons, les ¾ du recul de l’activité.
Deux explications sont possibles : la crise est plus forte que prévue ou les industriels ont été plus réactifs qu’on ne l’imaginait. Il est probable que la réalité correspond à un mélange des deux explications.
L’Insee prévoyait une variation des stocks faiblement négative au premier semestre 2009 et voyait la reprise à partir du deuxième ou du troisième trimestre 2009. L’évolution récente de la Bourse fait penser à une date plus lointaine mais certaines enquêtes de conjoncture sont moins pessimistes qu’on ne s’y attendait.
Il faut aussi noter que cet effet de variation des stocks concerne principalement l’industrie (et aussi l’agriculture, la construction et le secteur primaires des matières premières. Dans le domaine des services, il n’y a généralement pas de stock, le service étant produit et consommé en même temps.
L’effet de déstockage dans l’industrie a touché aussi l’import export qui concerne beaucoup plus que la moyenne du PIB des produits. La baisse des ventes d’automobile à l’export se traduisent par une baisse de la production mais aussi par une baisse des importations de pièces détachées.
De plus, si la production baisse, les moyens de production ne sont pas saturés et il n’y a pas besoin d’investir pour les augmenter : seul persiste les investissements liés aux nouveaux produits et à la productivité.
On comprend pourquoi les pays où la part de l’industrie est assez faible (les USA notamment) ont eu un recul du PIB nettement plus faible que ceux où elle est forte, comme l’Allemagne, la Chine ou le Japon. Mais il est probable que dans ces pays le recul ne durera pas très longtemps (on ne peut descendre en dessous de stocks nuls), ce qui ne sera pas le cas des pays dont le système bancaire est malade comme les USA.
Mais bien sûr, si les clients de la Chine vont mal, ils lui achèteront moins. Le recul de la production ne sera provisoire que pour la partie qui correspond au déstockage.
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