Les récents projets gouvernementaux de libéralisation de l’ouverture dominicale des commerces suscitent des débats passionnés (par exemple chez Koz), comme on les aime en France, c'est-à-dire en s’étripant sur les principes et en dédaignant les questions pratiques, sociales et économiques
Le
social d’abord
Les contraintes horaires subies par les salariés sont assez diverses, depuis le temps partiel et les horaires très variés des caissières dans les grandes surface jusqu’au travail de nuit ou du week-end, en passant par le travail saisonnier dans l’agriculture ou le tourisme.
Ces horaires atypiques peuvent répondre à des besoins incontournables comme la permanence dans les hôpitaux ou les centrales nucléaires, ou de simples logiques financières pour utiliser le plus longtemps possible des équipements. Entre ce noir et ce blanc existent bien sûr toutes les situations intermédiaires
Le travail posté s’est fortement développé depuis 30 ans. Il s’est donc trouvé des salariés pour accepter ces conditions, avec plus ou moins d’enthousiasme. On sait que les travailleurs à temps partiel se partagent à peu près à égalité entre ceux pour qui il s’agit d’un choix et ceux qui le subissent. Il y a probablement de la même manière tout un éventail de satisfaction chez ceux qui font des horaires atypiques.
On peut lire dans un commentaire écrit par l’auteur de « tribulations d’une caissière » : mes collègues ont toujours été unanimes sur ce point : non au travail le dimanche…mais si on était réellement payé 70 ou 100% en plus le dimanche, je pourrais comprendre que ça intéresse certains employés. Effectivement, ceux qui travaillent habituellement le dimanche sont prêts à manifester pour défendre leur pratique.
Mais on retrouve là une constante du temps de travail : les gens s’organisent autour de leurs horaires ce qui fait qu’ils répugnent à en changer.
Ce qui est frappant dans la gestion de ces horaires atypiques, c’est qu’il y a une espèce de consensus pour payer plus cher le travail du dimanche (quand il n’est pas rendu nécessaire par des raisons pratiques) que le travail de nuit, c'est-à-dire qu’on paye plus la contrainte sociale que la contrainte de santé. L’importance donnée au repos dominical et à la vie sociale qui va avec peut être un frein à la mise en place de systèmes horaires moins pernicieux comme je l’expliquai récemment.
Mais il y a de fortes différences de traitement des salariés selon les situations : ceux des commerces alimentaires n’ont guère de compensation au travail dominical quand les autres ont une prime de 70% (l’article 221 19 -ancienne numérotation- du code du travail prévoit une majoration d’un trentième du salaire mensuel par dimanche travaillé) voire 100% dans certaines enseignes !
L’économique
maintenant
Si les grandes surfaces peuvent payer ces majorations, c’est qu’elles s’y retrouvent en gain de productivité comme je l’expliquai il y a maintenant près de 2 ans. Je reproduis ci-dessous une partie de ce que j’écrivais alors
Le travail du dimanche augmente la productivité du capital et du travail !
La productivité du capital d’abord : une grande surface représente un capital immobilisé important. Or ce capital est sous utilisé : il fonctionne à plein régime le samedi, en sur régime certains samedis particulier et en sous régime les autres jours. Dans une semaine normale, les ventes du samedi représentent, suivant la zone, le type de produits, entre 30 et 50 % des ventes de la semaine. Comptons 30 % : cela signifie que les autres jours, le magasin ne réalise en moyenne que 14% de ses ventes (en réalité tous les jours ne sont pas égaux).
Si le même magasin ouvre le dimanche, une partie des clients du samedi se déplaceront vers le dimanche . Le samedi ne représentera plus alors que 25% du chiffres d’affaires. A chiffre d’affaire égal, le magasin a besoin d’une surface plus faible de 16%. On peut dire aussi qu’à surface égale il peut vendre 20% de plus. La productivité des capitaux investis est donc supérieure de 20%.
Pour comprendre ce qu’il en est sur la productivité du travail, il faut réfléchir au planning des équipes de vente. S’il y a par exemple dix vendeurs et qu’on les fait travailler tous le samedi, on en aura entre 6 et 7 les autres jours, ce qui donnera une certaine sous productivité. S’il n’y a que deux vendeurs, on comprend aisément qu’il est impossible d’adapter finement la force de vente à la fréquentation, (on met une ou deux personnes, point !). Donc, les vendeurs vont attendre le client une partie de leur temps.
On touche là une des principales différences entre le petit commerce et la grande distribution : dans cette dernière, le vendeur passe beaucoup moins de temps à attendre le client.
J’ai accompagné une grande enseigne de la grande distribution dans le passage aux 35 heures. On a pu montrer qu’avec la réduction du temps de travail, il était possible de réduire les effectifs hors samedi à condition d’avoir des secteurs à effectifs suffisamment importants (5 ou 6 vendeurs plutôt que 2 ou 3), donc en augmentant la polyvalence.
Si la grande surface est ouverte le dimanche et que 50% des ventes se font le week-end, il est possible en théorie de faire faire 50% des heures travaillées également le week-end : les vendeurs doivent pour cela travailler 17h 30 sur deux jours. En réalité, certaines tâches peuvent être reportées sur la semaine, et donc 15 à 16 heures suffisent. Dit autrement, en ouvrant le dimanche, une grande surface peut réduire fortement les temps morts de ses vendeurs et ainsi obtenir un gain important de productivité.
A qui profitent ces gains ? Aux salariés concernés d’abord, à travers la majoration du dimanche, aux actionnaires et aux clients (en fonction de la pression concurrentielle) ensuite.
C’est beaucoup plus incertain pour les petits commerces : ils peuvent espérer augmenter la productivité de leur capital, mais ils ont plus de mal à obtenir une organisation du temps de travail plus productive. Encore qu’il est facile de constater qu’avec deux personnes, on couvre très bien un fonctionnement avec deux présents le samedi et le dimanche et un seul les autres jours ( le raisonnement fait ici ne tient pas compte de la journée de fermeture hebdomadaire et d’une durée d’ouverture de plus de 8 heures par jour).
Si la productivité de la distribution augmente c’est au final toute l’économie qui en bénéficie : cela génère de la croissance et de l’augmentation du pouvoir d’achat
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