La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Les événements en cours dans l’économie mondiale sont là pour nous le rappeler. Le monde bouge, pas forcément dans le sens où on le voudrait, et alors qu’on voudrait au contraire qu’il soit immobile dans certains domaines. Mais nos attentes sont elles seulement compatibles entre elles ?
Face à la crise qui secoue la finance et par ricochet toute l’économie, on peut annoncer la faillite du capitalisme : certains ne s’en priveront pas. On peut au contraire penser que ce qui se passe est normal, inhérent au système, et qu’il ne s’agit ni de la première, ni de la dernière crise. On peut aller plus loin et estimer que cette crise va permettre d’éliminer les canards boiteux et laisser la place aux plus efficaces. En tant que français, ne devrions nous pas nous réjouir en constatant que les fleurons de notre pays s’en sortent plutôt bien, que AXA a gagné de nombreuses places au palmarès de l’assurance, que BNP Paribas est en train d’acheter la partie belge de Fortis pour un prix inespéré ?
A court terme, notre pays va cependant payer la crise par une récession, dont il est difficile de mesurer l’ampleur à ce stade, mais qui se traduira par des pertes d’emploi pour certains (les intérimaires par exemple), par des difficultés à trouver un travail pour les jeunes qui viennent d’arriver sur le marché du travail et probablement aussi pour la promotion suivante. Si chaque changement a souvent ses gagnants, il a presque toujours ses perdants. Dans une situation déjà vécue comme difficile, ces perdants ne sont pas une bonne nouvelle.
Le problème est que je ne vois pas bien de solution alternative, ni dans un monde qui serait immobile, ni dans un monde qui serait « régulé ».
Dans un monde immobile, les enfants ont la même profession que leurs parents, ils habitent au même endroit et reproduisent les habitudes des générations précédentes. Il n’est pas question d’être différents ni d’introduire des innovations. On dira que j’exagère. Mais ce genre de monde a existé, et certains discours écologistes ne sont pas loin de conduire à cet idéal. Après tout, les Amish sont de plus en plus populaires, paraît il ! Mais ils laissent leurs adolescents arrivants à l’âge adulte choisir : ils ont le droit à la différence.
On ne peut pas, comme le font pourtant les Verts parisiens, gêner la circulation des voitures alors que les transports en commun sont saturés, limiter la hauteur des immeubles et vouloir en même temps laisser entrer tous les sans papiers. Dit autrement, on ne peut pas ne prendre qu’une face de la pièce du changement et ne pas vouloir de l’autre face.
Plutôt qu’un monde immobile, certains ont rêvé d’un monde de progrès et ont cru l’avoir trouvé du coté de Moscou. Au delà de tous les défauts du système, dont la baisse de l’espérance de vie à partir des années 70 a été l’expression à mon sens la plus frappante, le monde soviétique est progressivement devenu un monde immobile, de la même manière que l’Etat Français est progressivement gagné par la paralysie bureaucratique.
Je vais reprendre une histoire que j’ai sans doute déjà racontée et qui se trouve avoir environ 25 ans, donc un peu avant la chute du mur. A l’époque, je participais à une commission d’évaluation des ressources charbonnières du Nord de la France, au titre de mon syndicat. La CGT avait fait venir des syndicalistes russes, du bassin du Donbass je crois, pour témoigner de la possibilité d’exploiter des veines peu épaisses, de 50 ou 60 cm d’épaisseur (cela veut dire qu’on se ballade et qu’on travaille dans un boyau de 50 à 60 cm de hauteur).
Nous avions demandé à ces syndicalistes quelle solution ils avaient adopté face aux problèmes de silicose. Réponse : développement des sanatoriums. Cela faisait 30 ans que le bassin du Nord avait pris des mesures radicales pour abattre la poussière et éviter l’apparition de la maladie, le pays du « socialisme réel » se contentait de sanatoriums !. Mais les dirigeants russes avaient un autre problème : le gisement du Donbass était en cours d’épuisement et les mineurs locaux ne voulaient pas déménager vers la Sibérie et ses immenses réserves. Dit autrement, le monde soviétique ne savait pas gérer le changement et s’enfermait dans ses habitudes. C’est ainsi qu’il a été incapable de réagir aux problèmes écologiques nées de l’industrialisation massive quand l’Occident révisait fondamentalement ses pratiques industrielles dans ce domaine.
A force d’être incapable de gérer le changement, la société bloquée qu’était devenue l’URSS s’est effondrée. Le résultat a été évidemment bien pire socialement que les crises répétitives que connaissait régulièrement l’Occident capitaliste.
Il y a trop de raisons (la démographie pour commencer) qui font que le monde bouge pour pouvoir l’éviter. Il y a alors deux questions : comment faire pour aider les perdants des changements à ne pas sombrer et comment faire pour que ces changements successifs aillent plutôt dans le sens du progrès pour l’humanité ? Comme faire à l’échelle d’un pays, d’une société, ce que fait Toyota avec son Kaisen (= progrès permanent), qui a contribué à en faire la première entreprise automobile mondiale (pas forcément sans douleur pour ses salariés d’ailleurs) ?
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