Y a t-il un risque de perdre des savoir faire essentiels pour l’entreprise en faisant partir les anciens, comme l’affirme Matthieu dans un commentaire ? En fait il est devenu rare que des savoir faire que seuls les plus anciens détiennent soient encore très utiles. Par contre, un départ, en retraite ou pour une autre raison, peut être grave si l’emploi correspondant n’avait qu’un titulaire.
Une anecdote d’abord, histoire de faire plaisir à Matthieu. Elle m’a été rapportée il y a une quinzaine d’années et les faits étaient plus anciens. Je précise que l’une des actions que je menais alors visait à rendre impossible son renouvellement, en organisant la notation des problèmes rencontrés et des trucs et astuces utilisés pour les résoudre.
Donc cette fonderie d’aluminium avait un nombre considérable de produits, des petites séries conçues et produites à la demande de tel ou tel client. Il était fréquent qu’une production s’arrête pendant quelques mois ou années puis qu il y ait la demande de la produire de nouveau. C’est ainsi qu’en refaisant une série après deux ans d’arrêt, et en s’appuyant sur les indications conservées (les plans et les moules d’origine notamment) l’usine s’est retrouvé avec des taux de non qualité très importants, ce qui n’était pas le cas auparavant. Mais l’ouvrier concerné était parti en retraite. On a fini par aller le retrouver et apprendre qu’il avait effectivement un truc : il urinait dans le moule. Et cela fonctionnait !
Aujourd’hui, la tendance générale dans l’industrie et ailleurs est de maîtriser la qualité par la répétition des process, par leur intégration dans les méthodes, procédures, automatisme et systèmes d’information.
Ainsi, dans les caisses de retraite, les meilleurs liquidateurs étaient ceux qui connaissaient sur le bout des doigts l’ensemble des règles pouvant s’appliquer selon les secteurs, les parcours professionnels etc. Depuis peu, tout cela est intégré dans le logiciel qui fait les calculs, et qui est commun à toutes les caisses.
Cette automatisation ne se traduit pas forcément par un besoin moindre de compétences. Les conducteurs d’installation ont besoin de bien maîtriser ce qui se passe. Dans la chimie on considère ainsi qu’il faut environ un an en double pour devenir conducteur d’installation.
Bien sûr, quelle qu’en soit la raison, le départ d’un tel conducteur est une perte pour l’entreprise puisqu’il faut former son remplaçant. Mais son savoir faire n’est généralement pas perdu : il est détenu par d’autres titulaires. Le danger, ce sont les postes à un seul titulaire, ou les départs massifs, par exemple s’il y a un plan social et que la plupart des titulaires ont à peu près le même âge.
J’ai connu une usine pétro chimique qui s’était trouvée dans cette situation et qui a du faire des efforts importants pour rétablir une situation fortement dégradée en résultats qualité.
Là où je suis très sceptique, c’est sur l’idée que les anciens ont des compétences, un savoir faire, que n’ont pas ceux qui sont plus jeunes de 10 ou 15 ans. Pour avoir une telle situation, il faut soit que certaines responsabilités ne soient confiés qu’à des seniors de 50 (ou 55 ) ans au plus. Soit que le savoir faire corresponde à des événements auxquels les plus jeunes n’ont pas été confrontés, parce qu’ils ne sont pas advenus depuis.
Or, dans des cas de ce genre, et sauf exception du type de mon exemple au début, les événements en question n’existent tout simplement plus parce que les process ont changé ; Contrairement à ce qui se passait il y a 50 ans, les savoir faire anciens sont souvent obsolètes, parce que les règles et outils changent souvent.
Mon exemple des caisses de retraite est à cet égard un cas particulier : pour prendre en compte les droits à cotisation des trimestres effectués il y a 35 ans, il peut être utile de connaître les règles de l’époque. On se souvient qu’au moment du fameux bug de l’an 2000, il a fallu retrouver des gens qui connaissaient les langages informatiques de l’époque. Mais c’est bien parce que ce n’est pas courant qu’on en a parlé à l’époque.
Au début de ma carrière , quand j’étais responsable de creusements dans les mines, je devais savoir établir un plan de tir, c'est-à-dire l’endroit où on mettait chaque explosif et l’ordre d’explosion. J’avais développé un vrai savoir faire sur le sujet et écrit pour les agents de maîtrise un guide d’analyse du résultat d’un tir pour si nécessaire revoir le plan de tir et améliorer les résultats. J’ai quitté ce poste depuis (très) longtemps, mais je crois que je saurais encore le faire. Mais cela n’a aucun intérêt : les mines ont fermé et ce savoir faire est devenu inutile . Quand j’ai quitté la mine, la perte de ce savoir faire ne posait aucun problème. Et mon départ en retraite un jour ne sera pas une perte sur ce sujet !
Tout cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de savoir faire non explicites. Au contraire. Simplement, penser qu’ils sont l’exclusivité des seniors me parait erroné. Je crois au contraire que la génération des 35 / 45 ans a en moyenne plus de savoir faire utiles aujourd’hui que les seniors.
Et si les seniors ont des savoir faire spécifiques, il est extrêmement probable que ceux-ci sont obsolètes.
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